En effet,
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite?
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ve?
lations ont paru.
L'ancien Testament, l'E?
van-
gile, et, sous plusieurs rapports, la re? formation, e? taient, selon
leur temps, parfaitement en harmonie avec les progre`s des es-
prits; et peut-e^tre sommes-nous a` la veille d'un de? veloppement
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? SUR LA RELIGION. 515
du christianisme, qui rassemblera dans un me^me foyer tous les
rayons e? pars, et qui nous fera trouver dans la religion plus que
la morale, plus quele bonheur, plus que la philosophie, plus que
le sentiment me^me, puisque chacun de ces biens sera multiplie?
par sa re? union avec les autres.
Quoi qu'il en soit, il est peut-e^tre inte? ressant de connai^tre sous
quel point de vue la religion est conside? re? e en Allemagne, et com-
ment on a trouve? le moyen d'y rattacher tout le syste`me litte? raire et philosophique dont j'ai trace? l'esquisse. C'est une chose
imposante que cet ensemble de pense? es qui de? veloppe a` nos yeux
l'ordre moral tout entier, et donne a` cet e? difice sublime le de? -
vouement pour base, et la Divinite? pour fai^te.
C'est au sentiment de l'infini que la plupart des e? crivains alle-
mands rapportent toutes les ide? es religieuses. L'on demande s'il
est possible de concevoir l'infini; cependant, ne le conc? oit-on pas,
au moins d'une manie`re ne? gative, lorsque, dans les mathe? mati-
ques , on ne peut supposer aucun terme a` la dure? e ni a` l'e? tendue?
Cet infini consiste dans l'absence des bornes; mais le sentiment
de l'infini, tel que l'imagination et le coeur l'e? prouvent, est posi-
tif et cre? ateur.
L'enthousiasme que le beau ide? al nous fait e? prouver, cette
e? motion pleine de trouble et de purete? tout ensemble, c'est le
sentiment de l'infini qui l'excite. Nous nous sentons comme de? ga-
ge? s, par l'admiration, des entraves de la destine? e humaine, et il
nous semble qu'on nous re? ve`le des secrets merveilleux, pour
affranchir l'a^me a` jamais dela langueur et du de? clin. Quand
nous contemplons le ciel e? toile? , ou` des e? tincelles de lumie`re sont
des univers comme le no^tre, ou` la poussie`re brillante de la voie
lacte? e trace avec des mondes une route dans le firmament, notre
pense? e se perd dans l'infini, notre coeur bat pour l'inconnu,
pour l'immense, et nous sentons que ce n'est qu'au dela` des ex-
pe? riences terrestres que notre ve? ritable vie doit commencer. En-
fin , les e? motions religieuses, plus que toutes les autres encore,
re? veillent en nous le sentiment de l'infini; mais, en le re? veillant,
elles le satisfont; et c'est pour cela sans doute qu'un homme d'un
grand esprit disait: << Que la cre? ature pensante n'e? tait heureuse
que quand l'ide? e de l'infini e? tait devenue pour elle une jouis-
<< sauce, au lieu d'e^tre un poids. >>
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? 516 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
En effet, quand nous nous livrons en entier aux re? flexions, aux images, aux de? sirs qui de? passent les limites de l'expe? rience,
c'est alors seulement que nous respirons. Quand on veut s'en
tenir aux inte? re^ts, aux convenances, aux lois de ce monde, le
ge? nie, la sensibilite? , l'enthousiasme, agitent pe? niblement notre
a^me; mais ils l'inondent de de? lices quand on les consacre a` ce
souvenir, a` cette attente de l'infini qui se pre? sente, dans la me? ta-
physique, sous la forme des dispositions inne? es ; dans la vertu .
sous celle du de? vou^ment; dans les arts, sous celle de l'ide? al, et
dans la religion elle-me^me, sous celle de l'amour divin.
Le sentiment de l'infini est le ve? ritable attribut de l'a^me :tout
ce qui est beau dans tous les genres excite en nous l'espoir et le
de? sir d'un avenir e? ternel et d'une existence sublime; on ne peut
entendre ni le vent dans la fore^t, ni les accords de? licieux des
voix humaines; on ne peut e? prouver l'enchantement de l'e? lo-
quence ou de la poe? sie ; enfin, surtout, enfin on ne peut aimer
avec innocence, avec profondeur, sans e^tre pe? ne? tre? de religion et
d'immortalite? .
Tous les sacrifices de l'inte? re^t personnel viennent du besoin de
se mettre en harmonie avec ce sentiment de l'infini dont on e? prouve
tout le charme, quoiqu'on ne puisse l'exprimer. Si la puissance
du devoir e? tait renferme? e dans le court espace de cette vie, com-
ment donc aurait-elle plus d'empire que les passions sur notre
a^me? qui sacrifierait des bornes a` des bornes? Tout ce qui finit
est si court? dit saint Augustin; les instants de jouissance que
peuvent valoir les penchants terrestres, et les jours de paix qu'as-
sure une conduite morale, diffe? reraient de bien peu, si des e? mo-
tions sans limite et sans terme ne s'e? levaient pas au fond du coeur
de l'homme qui se de? voue a` la vertu.
Beaucoup de gens nieront ce sentiment de l'infini; et, certes,
ils sont sur un excellent terrain pour le nier, car il est impossible
de le leur expliquer; ce n'est pas quelques mots de plus qui
re? ussiront a` leur faire comprendre ce que l'univers ne leur a pas
dit. La nature a reve^tu l'infini des divers symboles qui peuvent le
faire arriver jusqu'a` nous: la lumie`re et les te? ne`bres, l'orage et
le silence, le plaisir et la douleur, tout inspire a` l'homme cette
religion universelle dont son coeur est le sanctuaire.
Un homme dont j'ai de? ja` eu l'occasion deparier, INI. Ancillon,
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? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e? lever et la
de? gager du temps. L'oeuvre de la vie, c'est de sacrifier les inte? -
re^ts de notre existence passage`re a` cette immortalite? qui com-
mence pour nous de`s a` pre? sent, si nous en sommes de? ja` dignes;
et non-seulement la plupart des religions ont ce me^me but, mais
les beaux-arts, la poe? sie, la gloire et l'amour, sont des religions
dans lesquelles il entre plus ou moinsd'alliage.
Cette expression : c'est divin, qui est passe? e en usage pour
vanter les beaute? s de la nature et de l'art, cette expression est
une croyance parmi les Allemands; ce n'est point par indiffe? -
rence qu'ils sont tole? rants, c'est parce qu'ils ont de l'universalite?
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? 518 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
dans leur manie`re de sentir et de concevoir la religion.
En effet,
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite? dans les traits d'un pe`re; l'autre, dans l'innocence
d'un enfant; l'autre, dans le ce? leste regard des vierges de Ra-
phae? l, dans la musique, dans la poe? sie, dans la nature, n'im-
porte : car tous s'entendent, si tous sont anime? s par le principe
religieux, ge? nie du monde et de chaque homme.
Des esprits supe? rieurs ont e? leve? des doutes sur tel ou tel
dogme; et c'e? tait un grand malheur que la subtilite? de la dia-
lectique ou les pre? tentions de l'amour-propre pussent troubler
et refroidir le sentiment de la foi. Souvent aussi la re? flexion se
trouvait a` l'e? troit dans ces religions intole? rantes dont on avait
fait, pour ainsi dire, un code pe? nal, et qui donnaient a` la the? o-
logie toutes les formes d'un gouvernement despotique. Mais
qu'il est sublime, ce culte qui nous fait pressentir une jouissance
ce? leste dans l'inspiration du ge? nie, comme dans la vertu la plus
obscure; dans les affections les plus tendres, comme dans les
peines les plus ame`res; dans la tempe^te, comme dans les beaux
jours ; dans la fleur, comme dans le che^ne; dans tout, hors le
calcul, hors le froid mortel de l'e? goi? sme, qui nous se? pare de la
nature bienfaisante, et nous donne la vanite? seule pour mobile,
la vanite? dont la racine est toujours venimeuse! qu'elle est belle
la religion qui consacre le monde entier a` son auteur, et se sert
de toutes nos faculte? s pour ce? le? brer les rites saints du merveil-
leux univers!
Loin qu'une telle croyance interdise les lettres ni les sciences,
la the? orie de toutes les ide? es et le secret de tous les talents lui
appartiennent; il faudrait que la nature et la Divinite? fussent
en contradiction, si la pie? te? since`re de? fendait aux hommes de se
servir de leurs faculte? s, et de gou^ter les plaisirs qu'elles don-
nent. Il y a de la religion dans toutes les oeuvres du ge? nie; il y a
du ge? nie dans toutes les pense? es religieuses. L'esprit est d'une
moins illustre origine, il sert a` contester; mais le ge? nie est cre? a-
teur. La source ine? puisable des talents et des vertus, c'est le
sentiment de l'infini, qui a sa part dans toutes les actions ge? ne? -
reuses et dans toutes les conceptions profondes.
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? SUH LA RELIGION. 519
La religion n'est rien si elle n'est pas tout, si l'existence n'en
est pas remplie, si l'on n'entretient pas sans cesse dans l'a^me
cette foi a` l'invisible, ce de? vouement, cette e? le? vation de de? sirs,
qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre
nature nous expose.
Ne? anmoins, comment la religion pourrait-elle nous e^tre sans
cesse pre? sente, si nous ne la rattachions pas a` tout ce qui doit
occuper une belle vie, les affections de? voue? es, les me? ditations
philosophiques et les plaisirs de l'imagination? Un grand nom-
bre de pratiques sont recommande? es aux fide`les, afin qu'a` tous
les moments du jour la religion leur soit rappele? e par les obli-
gations qu'elle impose; mais si la vie entie`re pouvait e^tre natu-
rellement et sans effort un culte de tous les instants, ne serait-ce
pas mieux encore? puisque l'admiration pour le beau se rapporte
toujours a` la Divinite? , et que l'e? lan me^me des pense? es fortes
nous fait remonter vers notre origine, pourquoi donc la puissance
d'aimer, la poe? sie, la philosophie, ne seraient-elles pas les co~
Jcnnes du temple dela foi?
CHAPITRE II. Du Protestantisme.
C'e? tait chez les Allemands qu'une re? volution ope? re? e parles
ide? es devait avoir lieu; car le trait saillant de cette nation me? -
ditative est l'e? nergie de la conviction inte? rieure. Quand une fois
une opinion s'est empare? e des te^tes allemandes, leur patience et
leur perse? ve? rance a` la soutenir font singulie`rement honneur a` la
force de la volonte? dans l'homme.
En lisant les de? tails de la mort de Jean Hus et de Je? ro^me de
Prague, les pre? curseurs de la re? formation, on voit un exemple
frappant de ce qui caracte? rise les chefs du protestantisme en Al-
lemagne, la re? union d'une foi vive avec l'esprit d'examen. Leur
raison n'a point fait tort a` leur croyance, ni leur croyance a` leur
raison; et leurs faculte? s morales ont agi toujours ensemble.
Partout, en Allemagne, on trouve des traces des diverses
luttes religieuses qui, pendant plusieurs sie`cles, ont occupe? la
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? 520 DU PROTESTANTISME.
nation entie`re. On montre encore dans la cathe? drale de Prague
des bas-reliefs ou` les de? vastations commises par les hussites sont
repre? sente? es, et la partie de l'e? glise que les Sue? dois ont incen-
die? e dans la guerre de trente ans n'est point reba^tie. Non loin
de la`, sur le pont, est place? e la statue de saint Jean Ne? pomuce`ne, qui aima mieux pe? rir dans les flots que de re? ve? ler les fai-
blesses qu'une reine infortune? e lui avait confesse? es. Les monu-
ments , et me^me les ruines qui attestent l'influence de la religion
sur les hommes inte? ressent vivement notre a^me; car les guerres
d'opinion, quelque cruelles qu'elles soient, font plus d'hon-
neur aux nations que les guerres d'inte? re^t.
Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a pro-
duits, celui dont le caracte`re e? tait le plus allemand: sa fermete?
avait quelque chose de rude; sa conviction allaitjusqu'a` l'ente^te-
ment; le courage de l'esprit e? tait en lui le principe du courage
de l'action : ce qu'il avait de passionne? dans l'a^me ne le de? tour-
nait point des e? tudes abstraites; et quoiqu'il attaqua^t de certains
abus et de certains dogmes comme des pre? juge? s, ce n'e? tait point
l'incre? dulite? philosophique, mais un fanatisme a` lui qui l'inspi-
rait.
Ne? anmoins la re? formation a introduit dans le monde l'exa-
men en fait de religion. Il en est re? sulte? pour les uns le scep-
ticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des ve? -
rite? s religieuses : l'esprit humain e? tait arrive? a` une e? poque ou`
il devait ne? cessairement examiner pour croire. La de? couverte de
l'imprimerie, la multiplicite? des connaissances et l'investigation
philosophique de la ve? rite? , ne permettaient plus cette foi aveu-
gle dont on s'e? tait jadis si bien trouve? . L'enthousiasme religieux
ne pouvait renai^tre que par l'examen et la me? ditation. C'est
Luther qui a mis la Bible et l'E? vangile entre les mains de tout
le monde; c'est lui qui a donne? l'impulsion a` l'e? tude de l'anti-
quite? ; car en apprenant l'he? breu pour lire la Bible, etle grec
pour lire le Nouveau Testament, on a cultive? les langues an-
ciennes, et les esprits se sont tourne? s vers les recherches histo-
riques.
L'examen peut affaiblir cette foi d'habitude que leshommes
font bien de conserver tant qu'ils le peuvent; mais quand
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? DU PROTESTANTISME. 521
l'homme sort de l'examen plus religieux qu'il n'y e? tait entre? ,
c'est alors que la religion est invariablement fonde? e; c'est alors
qu'il y a paix entre elle et les lumie`res, et qu'elles se servent
mutuellement.
Quelques e? crivains ont beaucoup de? clame? contre le syste`me
de la perfectibilite? , et l'on aurait dit, a` les entendre, que c'e? tait
une ve? ritable atrocite? , de croire notre espe`ce perfectible. Il suf-
fit, en France, qu'un homme de tel parti ait soutenu telle opinion,
pour qu'il ne soit plus du bon gou^t de l'adopter; et tous les mou-
tons du me^me troupeau viennent donner, les uns apre`s les autres,
leurs coups de te^te aux ide? es, qui n'en restent pas moins ce qu'el-
les sont.
Il est tre`s-probable que le genre humain est susceptible d'e? du-
cation, aussi bien que chaque homme, et qu'il y a des e? poques
marque?
gile, et, sous plusieurs rapports, la re? formation, e? taient, selon
leur temps, parfaitement en harmonie avec les progre`s des es-
prits; et peut-e^tre sommes-nous a` la veille d'un de? veloppement
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? SUR LA RELIGION. 515
du christianisme, qui rassemblera dans un me^me foyer tous les
rayons e? pars, et qui nous fera trouver dans la religion plus que
la morale, plus quele bonheur, plus que la philosophie, plus que
le sentiment me^me, puisque chacun de ces biens sera multiplie?
par sa re? union avec les autres.
Quoi qu'il en soit, il est peut-e^tre inte? ressant de connai^tre sous
quel point de vue la religion est conside? re? e en Allemagne, et com-
ment on a trouve? le moyen d'y rattacher tout le syste`me litte? raire et philosophique dont j'ai trace? l'esquisse. C'est une chose
imposante que cet ensemble de pense? es qui de? veloppe a` nos yeux
l'ordre moral tout entier, et donne a` cet e? difice sublime le de? -
vouement pour base, et la Divinite? pour fai^te.
C'est au sentiment de l'infini que la plupart des e? crivains alle-
mands rapportent toutes les ide? es religieuses. L'on demande s'il
est possible de concevoir l'infini; cependant, ne le conc? oit-on pas,
au moins d'une manie`re ne? gative, lorsque, dans les mathe? mati-
ques , on ne peut supposer aucun terme a` la dure? e ni a` l'e? tendue?
Cet infini consiste dans l'absence des bornes; mais le sentiment
de l'infini, tel que l'imagination et le coeur l'e? prouvent, est posi-
tif et cre? ateur.
L'enthousiasme que le beau ide? al nous fait e? prouver, cette
e? motion pleine de trouble et de purete? tout ensemble, c'est le
sentiment de l'infini qui l'excite. Nous nous sentons comme de? ga-
ge? s, par l'admiration, des entraves de la destine? e humaine, et il
nous semble qu'on nous re? ve`le des secrets merveilleux, pour
affranchir l'a^me a` jamais dela langueur et du de? clin. Quand
nous contemplons le ciel e? toile? , ou` des e? tincelles de lumie`re sont
des univers comme le no^tre, ou` la poussie`re brillante de la voie
lacte? e trace avec des mondes une route dans le firmament, notre
pense? e se perd dans l'infini, notre coeur bat pour l'inconnu,
pour l'immense, et nous sentons que ce n'est qu'au dela` des ex-
pe? riences terrestres que notre ve? ritable vie doit commencer. En-
fin , les e? motions religieuses, plus que toutes les autres encore,
re? veillent en nous le sentiment de l'infini; mais, en le re? veillant,
elles le satisfont; et c'est pour cela sans doute qu'un homme d'un
grand esprit disait: << Que la cre? ature pensante n'e? tait heureuse
que quand l'ide? e de l'infini e? tait devenue pour elle une jouis-
<< sauce, au lieu d'e^tre un poids. >>
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 516 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
En effet, quand nous nous livrons en entier aux re? flexions, aux images, aux de? sirs qui de? passent les limites de l'expe? rience,
c'est alors seulement que nous respirons. Quand on veut s'en
tenir aux inte? re^ts, aux convenances, aux lois de ce monde, le
ge? nie, la sensibilite? , l'enthousiasme, agitent pe? niblement notre
a^me; mais ils l'inondent de de? lices quand on les consacre a` ce
souvenir, a` cette attente de l'infini qui se pre? sente, dans la me? ta-
physique, sous la forme des dispositions inne? es ; dans la vertu .
sous celle du de? vou^ment; dans les arts, sous celle de l'ide? al, et
dans la religion elle-me^me, sous celle de l'amour divin.
Le sentiment de l'infini est le ve? ritable attribut de l'a^me :tout
ce qui est beau dans tous les genres excite en nous l'espoir et le
de? sir d'un avenir e? ternel et d'une existence sublime; on ne peut
entendre ni le vent dans la fore^t, ni les accords de? licieux des
voix humaines; on ne peut e? prouver l'enchantement de l'e? lo-
quence ou de la poe? sie ; enfin, surtout, enfin on ne peut aimer
avec innocence, avec profondeur, sans e^tre pe? ne? tre? de religion et
d'immortalite? .
Tous les sacrifices de l'inte? re^t personnel viennent du besoin de
se mettre en harmonie avec ce sentiment de l'infini dont on e? prouve
tout le charme, quoiqu'on ne puisse l'exprimer. Si la puissance
du devoir e? tait renferme? e dans le court espace de cette vie, com-
ment donc aurait-elle plus d'empire que les passions sur notre
a^me? qui sacrifierait des bornes a` des bornes? Tout ce qui finit
est si court? dit saint Augustin; les instants de jouissance que
peuvent valoir les penchants terrestres, et les jours de paix qu'as-
sure une conduite morale, diffe? reraient de bien peu, si des e? mo-
tions sans limite et sans terme ne s'e? levaient pas au fond du coeur
de l'homme qui se de? voue a` la vertu.
Beaucoup de gens nieront ce sentiment de l'infini; et, certes,
ils sont sur un excellent terrain pour le nier, car il est impossible
de le leur expliquer; ce n'est pas quelques mots de plus qui
re? ussiront a` leur faire comprendre ce que l'univers ne leur a pas
dit. La nature a reve^tu l'infini des divers symboles qui peuvent le
faire arriver jusqu'a` nous: la lumie`re et les te? ne`bres, l'orage et
le silence, le plaisir et la douleur, tout inspire a` l'homme cette
religion universelle dont son coeur est le sanctuaire.
Un homme dont j'ai de? ja` eu l'occasion deparier, INI. Ancillon,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e? lever et la
de? gager du temps. L'oeuvre de la vie, c'est de sacrifier les inte? -
re^ts de notre existence passage`re a` cette immortalite? qui com-
mence pour nous de`s a` pre? sent, si nous en sommes de? ja` dignes;
et non-seulement la plupart des religions ont ce me^me but, mais
les beaux-arts, la poe? sie, la gloire et l'amour, sont des religions
dans lesquelles il entre plus ou moinsd'alliage.
Cette expression : c'est divin, qui est passe? e en usage pour
vanter les beaute? s de la nature et de l'art, cette expression est
une croyance parmi les Allemands; ce n'est point par indiffe? -
rence qu'ils sont tole? rants, c'est parce qu'ils ont de l'universalite?
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? 518 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
dans leur manie`re de sentir et de concevoir la religion.
En effet,
chaque homme peut trouver dans une des merveilles de l'uni-
vers celle qui parle plus puissamment a` son a^me : l'un admire
la Divinite? dans les traits d'un pe`re; l'autre, dans l'innocence
d'un enfant; l'autre, dans le ce? leste regard des vierges de Ra-
phae? l, dans la musique, dans la poe? sie, dans la nature, n'im-
porte : car tous s'entendent, si tous sont anime? s par le principe
religieux, ge? nie du monde et de chaque homme.
Des esprits supe? rieurs ont e? leve? des doutes sur tel ou tel
dogme; et c'e? tait un grand malheur que la subtilite? de la dia-
lectique ou les pre? tentions de l'amour-propre pussent troubler
et refroidir le sentiment de la foi. Souvent aussi la re? flexion se
trouvait a` l'e? troit dans ces religions intole? rantes dont on avait
fait, pour ainsi dire, un code pe? nal, et qui donnaient a` la the? o-
logie toutes les formes d'un gouvernement despotique. Mais
qu'il est sublime, ce culte qui nous fait pressentir une jouissance
ce? leste dans l'inspiration du ge? nie, comme dans la vertu la plus
obscure; dans les affections les plus tendres, comme dans les
peines les plus ame`res; dans la tempe^te, comme dans les beaux
jours ; dans la fleur, comme dans le che^ne; dans tout, hors le
calcul, hors le froid mortel de l'e? goi? sme, qui nous se? pare de la
nature bienfaisante, et nous donne la vanite? seule pour mobile,
la vanite? dont la racine est toujours venimeuse! qu'elle est belle
la religion qui consacre le monde entier a` son auteur, et se sert
de toutes nos faculte? s pour ce? le? brer les rites saints du merveil-
leux univers!
Loin qu'une telle croyance interdise les lettres ni les sciences,
la the? orie de toutes les ide? es et le secret de tous les talents lui
appartiennent; il faudrait que la nature et la Divinite? fussent
en contradiction, si la pie? te? since`re de? fendait aux hommes de se
servir de leurs faculte? s, et de gou^ter les plaisirs qu'elles don-
nent. Il y a de la religion dans toutes les oeuvres du ge? nie; il y a
du ge? nie dans toutes les pense? es religieuses. L'esprit est d'une
moins illustre origine, il sert a` contester; mais le ge? nie est cre? a-
teur. La source ine? puisable des talents et des vertus, c'est le
sentiment de l'infini, qui a sa part dans toutes les actions ge? ne? -
reuses et dans toutes les conceptions profondes.
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? SUH LA RELIGION. 519
La religion n'est rien si elle n'est pas tout, si l'existence n'en
est pas remplie, si l'on n'entretient pas sans cesse dans l'a^me
cette foi a` l'invisible, ce de? vouement, cette e? le? vation de de? sirs,
qui doivent triompher des penchants vulgaires auxquels notre
nature nous expose.
Ne? anmoins, comment la religion pourrait-elle nous e^tre sans
cesse pre? sente, si nous ne la rattachions pas a` tout ce qui doit
occuper une belle vie, les affections de? voue? es, les me? ditations
philosophiques et les plaisirs de l'imagination? Un grand nom-
bre de pratiques sont recommande? es aux fide`les, afin qu'a` tous
les moments du jour la religion leur soit rappele? e par les obli-
gations qu'elle impose; mais si la vie entie`re pouvait e^tre natu-
rellement et sans effort un culte de tous les instants, ne serait-ce
pas mieux encore? puisque l'admiration pour le beau se rapporte
toujours a` la Divinite? , et que l'e? lan me^me des pense? es fortes
nous fait remonter vers notre origine, pourquoi donc la puissance
d'aimer, la poe? sie, la philosophie, ne seraient-elles pas les co~
Jcnnes du temple dela foi?
CHAPITRE II. Du Protestantisme.
C'e? tait chez les Allemands qu'une re? volution ope? re? e parles
ide? es devait avoir lieu; car le trait saillant de cette nation me? -
ditative est l'e? nergie de la conviction inte? rieure. Quand une fois
une opinion s'est empare? e des te^tes allemandes, leur patience et
leur perse? ve? rance a` la soutenir font singulie`rement honneur a` la
force de la volonte? dans l'homme.
En lisant les de? tails de la mort de Jean Hus et de Je? ro^me de
Prague, les pre? curseurs de la re? formation, on voit un exemple
frappant de ce qui caracte? rise les chefs du protestantisme en Al-
lemagne, la re? union d'une foi vive avec l'esprit d'examen. Leur
raison n'a point fait tort a` leur croyance, ni leur croyance a` leur
raison; et leurs faculte? s morales ont agi toujours ensemble.
Partout, en Allemagne, on trouve des traces des diverses
luttes religieuses qui, pendant plusieurs sie`cles, ont occupe? la
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? 520 DU PROTESTANTISME.
nation entie`re. On montre encore dans la cathe? drale de Prague
des bas-reliefs ou` les de? vastations commises par les hussites sont
repre? sente? es, et la partie de l'e? glise que les Sue? dois ont incen-
die? e dans la guerre de trente ans n'est point reba^tie. Non loin
de la`, sur le pont, est place? e la statue de saint Jean Ne? pomuce`ne, qui aima mieux pe? rir dans les flots que de re? ve? ler les fai-
blesses qu'une reine infortune? e lui avait confesse? es. Les monu-
ments , et me^me les ruines qui attestent l'influence de la religion
sur les hommes inte? ressent vivement notre a^me; car les guerres
d'opinion, quelque cruelles qu'elles soient, font plus d'hon-
neur aux nations que les guerres d'inte? re^t.
Luther est, de tous les grands hommes que l'Allemagne a pro-
duits, celui dont le caracte`re e? tait le plus allemand: sa fermete?
avait quelque chose de rude; sa conviction allaitjusqu'a` l'ente^te-
ment; le courage de l'esprit e? tait en lui le principe du courage
de l'action : ce qu'il avait de passionne? dans l'a^me ne le de? tour-
nait point des e? tudes abstraites; et quoiqu'il attaqua^t de certains
abus et de certains dogmes comme des pre? juge? s, ce n'e? tait point
l'incre? dulite? philosophique, mais un fanatisme a` lui qui l'inspi-
rait.
Ne? anmoins la re? formation a introduit dans le monde l'exa-
men en fait de religion. Il en est re? sulte? pour les uns le scep-
ticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des ve? -
rite? s religieuses : l'esprit humain e? tait arrive? a` une e? poque ou`
il devait ne? cessairement examiner pour croire. La de? couverte de
l'imprimerie, la multiplicite? des connaissances et l'investigation
philosophique de la ve? rite? , ne permettaient plus cette foi aveu-
gle dont on s'e? tait jadis si bien trouve? . L'enthousiasme religieux
ne pouvait renai^tre que par l'examen et la me? ditation. C'est
Luther qui a mis la Bible et l'E? vangile entre les mains de tout
le monde; c'est lui qui a donne? l'impulsion a` l'e? tude de l'anti-
quite? ; car en apprenant l'he? breu pour lire la Bible, etle grec
pour lire le Nouveau Testament, on a cultive? les langues an-
ciennes, et les esprits se sont tourne? s vers les recherches histo-
riques.
L'examen peut affaiblir cette foi d'habitude que leshommes
font bien de conserver tant qu'ils le peuvent; mais quand
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? DU PROTESTANTISME. 521
l'homme sort de l'examen plus religieux qu'il n'y e? tait entre? ,
c'est alors que la religion est invariablement fonde? e; c'est alors
qu'il y a paix entre elle et les lumie`res, et qu'elles se servent
mutuellement.
Quelques e? crivains ont beaucoup de? clame? contre le syste`me
de la perfectibilite? , et l'on aurait dit, a` les entendre, que c'e? tait
une ve? ritable atrocite? , de croire notre espe`ce perfectible. Il suf-
fit, en France, qu'un homme de tel parti ait soutenu telle opinion,
pour qu'il ne soit plus du bon gou^t de l'adopter; et tous les mou-
tons du me^me troupeau viennent donner, les uns apre`s les autres,
leurs coups de te^te aux ide? es, qui n'en restent pas moins ce qu'el-
les sont.
Il est tre`s-probable que le genre humain est susceptible d'e? du-
cation, aussi bien que chaque homme, et qu'il y a des e? poques
marque?
