le`ve a
beau dire des injures a` ces stupides ba^tons, ils agissent sans
rela^che; et la maison eu^t e?
beau dire des injures a` ces stupides ba^tons, ils agissent sans
rela^che; et la maison eu^t e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
unit en lui d'e?
tonnants
contrastes; on retrouve dans ses poe? sies beaucoup de traces du
caracte`re des habitants du Midi; il est plus en train de l'exis-
tence que les Septentrionaux ; il sent la nature avec plus de vi-
gueur et de se? re? nite? ; son esprit n'en a pas moins de profondeur,
mais son talent a plus de vie; on y trouve un certain genre de
nai? vete? qui re? veille a` la fois le souvenir de la simplicite? antique
et de celle du moyen a^ge: ce n'est pas la nai? vete? de l'innocence,
c'est celle de la force. On aperc? oit dans les poe? sies de Goethe
qu'il de? daigne une foule d'obstacles, de convenances, de criti-
ques et d'observations qui pourraient lui e^tre oppose? es. 11 suit
son imagination ou` elle le me`ne, et un certain orgueil en masse
l'affranchit des scrupules de l'amour-propre. Goethe est en poe? sie
un artiste puissamment mai^tre de la nature, et plus admirable
encore quand il n'ache`ve pas ses tableaux; car ses esquisses ren-
ferment toutes le germe d'une belle fiction : mais ses fictions
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 167
termine? es ne supposent pas toujours une heureuse esquisse.
Dans ses e? le? gies, compose? es a` Rome, il ne faut pas chercher
des descriptions de l'Italie ; Goethe nefaitpresque jamais ce qu'on
attend de lui, et quand il y a de la pompe dans une ide? e, elle
lui de? plai^t; il veut produire de l'effet par une route de? tourne? e,
et comme a` l'insu de l'auteur et du lecteur. Ses e? le? gies peignent
l'effet de l'Italie sur toute son existence, cette ivresse du bon-
heur, dont un beau ciel le pe? ne`tre. Il raconte ses plaisirs, me^me
les plus vulgaires, a` la manie`re de Properce; et de temps en
temps quelques beaux souvenirs de la ville mai^tresse du monde
donnent a` l'imagination un e? lan d'autant plus vif qu'elle n'y
e? tait pas pre? pare? e.
Une fois il raconte comment il rencontra, dans la campagne
de Rome, une jeune femme qui allaitait son enfant, assise sur
un de? bris de colonne antique: il voulut la questionner sur les
ruines dont sa cabane e? tait environne? e; elle ignorait ce dont il
lui parlait ; tout entie`re aux affections dont son a^me e? tait rem-
plie, elle aimait, et le moment pre? sent existait seul pour elle.
On lit dans un auteur grec, qu'une jeune fille, habile dans
l'art de tresser les fleurs, lutta contre son amant Pausias, qui
savait les peindre. Goethe a compose? sur ce sujet une idylle char-
mante. L'auteur de cette idylle est aussi celui de Werther.
Depuis le sentiment qui donne de la gra^ce, jusqu'au de? sespoir
qui exalte le ge? nie, Goethe a parcouru toutes les nuances de
l'amour.
Apre`s s'e^tre fait grec dans Pausias, Goethe nous conduit en
Asie, par une romance pleine de charmes, la Bayade`re. Un
dieu de l'Inde (Mahadoeh) se reve^t de la forme mortelle, pour
juger des peines et des plaisirs des hommes, apre`s les avoir
<<prouve? s. Il voyage a` travers l'Asie, observe les grands et le
peuple; et comme un soir, au sortir d'une ville, il se prome`ne
sur les bords du Gange, une bayade`re l'arre^te, et l'engage a` se
reposer dans sa demeure. Il y a tant de poe? sie, une couleur si
orientale, dans la peinture des danses de cette bayade`re, des
parfums et des fleurs dont elle s'entoure, qu'on ne peut juger
d'apre`s nos moeurs un tableau qui leur est tout a` fait e? tranger.
Le dieu de l'Inde inspire un amour ve? ritable a` cette femme e? ga-
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? 168 DE LA POESIE ALLEMANDE.
re? e, et, touche? du retour vers le bien qu'une affection since`re
doit toujours inspirer, il veut e? purer l'a^me de la bayade`re par
l'e? preuve du malheur.
A son re? veil elle trouve son amant mort a` ses co^te? s : les pre^-
tres de Brama emportent le corps sans vie que le bu^cher doit
consumer. La bayade`re veut s'y pre? cipiter avec celui qu'elle
aime; mais les pre^tres la repoussent, parce que, n'e? tant pas
son e? pouse, elle n'a pas le droit de mourir avec lui. La baya-
de`re , apre`s avoir ressenti toutes les douleurs de l'amour et de
la honte, se pre? cipite dans le bu^cher malgre? les brames. Le
dieu la rec? oit dans ses bras; il s'e? lance hors des flammes, et
porte au ciel l'objet de sa tendresse, qu'il a rendu digne de son
choix.
Zelter, un musicien original, a mis sur cette romance un air
tour a` tour voluptueux et solennel, qui s'accorde singulie`rement
bien avec les paroles. Quand on l'entend, on se croit au milieu
de l'Inde et de ses merveilles; et qu'on ne dise pas qu'une ro-
mance est un poe`me trop court pour produire un tel effet. Les
premie`res notes d'un air, les premiers vers d'un poe`me trans-
portent l'imagination dans la contre? e et dans le sie`cle qu'on
veut peindre; mais si quelques mots ont cette puissance, quel-
ques mots aussi peuvent de? truire l'enchantement. Les sorciers
jadis faisaient ou empe^chaient les prodiges, a` l'aide de quelques
paroles magiques. Il en est de me^me du poe`te; il peut e? voquer
le passe? ou faire reparai^tre le pre? sent, selon qu'il se sert d'ex-
pressions conformes ou non au temps ou au pays qu'il chante,
selon qu'il observe ou ne? glige les couleurs locales, et ces petites
circonstances inge? nieusement invente? es, qui exercent l'esprit,
dans la fiction comme dans la re? alite? , a` de? couvrir la ve? rite? sans
qu'on vous la dise.
Une autre romance de Goethe produit un effet de? licieux par
les moyens les plus simples: c'est le Pe? cheur. Un pauvre homme
s'assied sur le bord d'un fleuve, un soir d'e? te? ; et, tout en jetant
sa ligne, il contemple l'eau claire et limpide qui vient baigner
doucement ses pieds nus. La nymphe de ce fleuve l'invite a` s'y
plonger; elle lui peint les de? lices de l'onde pendant la chaleur,
le plaisir que le soleil trouve a` se rafrai^chir la nuit dans la mer,
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE>> 169
le calme de la lune, quand ses rayons se reposent et s'endor-
ment au sein des flots ; enfin, le pe^cheur, attire? , se? duit, entrai^ne? ,
s'avance vers la nymphe , et disparai^t pour toujours. Le fond
de cette romance est peu de chose; mais ce qui est ravissant,
c'est l'art de faire sentir le pouvoir myste? rieux que peuvent
exercer les phe? nome`nes de la nature. On dit qu'il y a des per-
sonnes qui de? couvrent les sources cache? es sous la terre, par l'a-
gitation nerveuse qu'elles leur causent: on croit souvent recon-
nai^tre dans la poe? sie allemande ces miracles de la sympathie
entre l'homme et les e? le? ments. Le poete allemand comprend la
nature, non pas seulement en poete, mais en fre`re; et l'on di-
rait que des rapports de famille lui parlent pour l'air, l'eau,
les fleurs, les arbres, enfin pour toutes les beaute? s primitives
de la cre? ation.
Il n'est personne qui n'ait senti l'attrait inde? finissable que les
vagues font e? prouver, soit par le charme de la frai^cheur, soit
par l'ascendant qu'un mouvement uniforme et perpe? tuel pour-
rait prendre insensiblement sur une existence passage`re et pe? -
rissable. La romance de Goethe exprime admirablement le plai-
sir toujours croissant qu'on trouve a` conside? rer les ondes pures
d'un fleuve : le balancement du rhythme et de l'harmonie imite
celui des flots, et produit sur l'imagination un effet analogue.
L'a^me dela nature se fait connai^tre a` nous de toutes parts et
sous mille formes diverses. La campagne fertile, comme les
de? serts abandonne? s, la mer, comme les e? toiles, sont soumises
aux me^mes lois ; et l'homme renferme en lui-me^me des sensa-
tions, des puissances occultes qui correspondent avec le jour,
avec la nuit, avec l'orage : c'est cette alliance secre`te de notre
e^tre avec les merveilles de l'univers qui donne a` la poe? sie sa
ve? ritable grandeur. Le poete sait re? tablir l'unite? du monde phy-
sique avec le monde moral ; son imagination forme un lien entre
l'un et l'autre.
Plusieurs pie`ces de Goethe sont remplies de gaiete? ; mais on y
trouve rarement le genre de plaisanterie auquel nous sommes
accoutume? s : il est pluto^t frappe? par les images que par les ridi-
cules; il saisit avec un instinct singulier l'originalite? des ani-
maux , toujours nouvelle et toujours la me^me. La Me? nagerie
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? 170 DE LA POE? S1E ALLEMANDE.
de Lily, le Chant de noce dans le vieux cha^teau, peignent
ces animaux, non comme des hommes, a` la manie`re de La
Fontaine, mais comme des cre? atures bizarres dans lesquelles la
nature s'est e? gaye? e. Goethe sait aussi trouver dans le merveil-
leux une source de plaisanteries d'autant plus aimables, qu'au-
cun but se? rieux ne s'y fait apercevoir.
Une chanson, intitule? e l'E? le`ve du Sorcier, me? rite d'e^tre cite? e
sous ce rapport. Le disciple d'un sorcier a entendu son mai^tre
murmurer quelques paroles magiques, a` l'aide desquelles il se
fait servir par un manche a` balai : il les retient, et commande
au balai d'aller lui chercher de l'eau a` la rivie`re pour laver sa
maison. Le balai part et revient, apporte un seau, puis un
autre, puis un autre encore, et toujours ainsi sans disconti-
nuer. L'e? le`ve voudrait l'arre^ter, mais il a oublie? les mots dont
il faut se servir pour cela: le manche a` balai, fide`le a` son of-
fice, va toujours a` la rivie`re, et toujours y puise de l'eau, dont
il arrose et biento^t submergera la maison. L'e? le`ve, dans sa fu-
reur, prend une hache, et coupe en deux le manche a` balai:
alors les deux morceaux du ba^ton deviennent deux domestiques
au lieu d'un, et vont chercher de l'eau, et la re? pandent a` l'envi
dans les appartements avec plus de ze`le que jamais. L'e?
le`ve a
beau dire des injures a` ces stupides ba^tons, ils agissent sans
rela^che; et la maison eu^t e? te? perdue si le mai^tre ne fu^t pas
arrive? a` temps pour secourir l'e? le`ve, en se moquant de sa
ridicule pre? somption. L'imitation maladroite des grands secrets
de l'art est tre`s-bien peinte dans cette petite sce`ne.
Il nous reste a` parler de la source ine? puisable des effets poe? -
tiques en Allemagne, la terreur: les revenants etles sorciers
plaisent au peuple comme aux hommes e? claire? s: c'est un reste
de la mythologie du Nord; c'est une disposition qu'inspirent
assez naturellement les longues nuits des climats septentrionaux:
et d'ailleurs, quoique le christianisme combatte toutes les crain-
tes non fonde? es, les superstitions populaires ont toujours une
analogie quelconque avec la religion dominante. Presque toutes
les opinions vraies ont a` leur suite une erreur; elle se place dans
l'imagination, comme l'ombre a` co^te? de la re? alite? : c'est un luxe
de croyance qui s'attache d'ordinaire a` la religion comme ii
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? DE I. \ POESIE ALLEMANDE. 171
l'histoire ; je ne sais pourquoi l'on de? daignerait d'en faire usage.
Shakespeare a tire? des effets prodigieux des spectres et de la
magie, et la poe? sie ne saurait e^tre populaire quand elle me? prise
ce qui exerce un empire irre? fle? chi sur l'imagination. Le ge? nie et
le gou^t peuvent pre? sider a` l'emploi de ces contes : il faut qu'il
y ait d'autant plus de talent dans la manie`re de les traiter, que
le fond en est vulgaire; mais peut-e^tre que c'est dans cette
re? union seule que consiste la grande puissance d'un poe`me. 11
est probable que les e? ve? nements raconte? s dans l'Iliade et dans
l'Odysse? e e? taient chante? s par les nourrices avant qu'Home`re eu
fit le chef-d'oeuvre de l'art.
Bu`rger est de tous les Allemands celui qui a le mieux saisi
cette veine de superstition qui conduit si loin dans le fond du
coeur. Aussi ses romances sont-elles connues de tout le monde
en Allemagne. La plus fameuse de toutes, Lenore, n'est pas,
je crois, traduite en franc? ais,ou du moins il serait bien diffi-
cile qu'on pu^t en exprimer tous les de? tails, ni par notre prose,
ni par nos vers. Une jeune fille s'effraye de n'avoir point de nou-
velles de son amant, parti pour l'arme? e; la paix se fait; tous
les soldats retournent dans leurs foyers. Les me`res retrouvent
leurs fils, les soeurs leurs fre`res, les e? poux leurs e? pouses; les
trompettes guerrie`res accompagnent les chants de la paix, et la
joie re`gne dans tous les coeurs. Lenore parcourt en vain les
rangs des guerriers; elle n'y voit point son amant; nul ne peut
lui dire ce qu'il est devenu. Elle se de? sespe`re : sa me`re voudrait
la calmer; mais le jeune coeur de Lenore se re? volte contre la
douleur; et, dans son e? garement, elle renie la Providence. Au
moment ou` le blasphe`me est prononce? , l'on sent dans l'histoire
quelque chose de funeste, et de`s cet instant l'a^me est constam-
ment e? branle? e.
A minuit, un chevalier s'arre^te a` la porte de Lenore : elle
entend le hennissement du cheval et le cliquetis des e? perons:
le chevalier frappe; elle descend et reconnai^t son amant. Il lui
demande de le suivre a` l'instant, car il n'y a pas un moment a`
perdre, dit-il, avant de retournera` l'arme? e. Elle s'e? lance; il la
place derrie`re lui sur son cheval, et part avec la promptitude de
l'e? clair. Il traverse au galop, pendant la nuit, des pays arides
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? 172 DE LA l'OE? SIE ALLEMANDE.
et de? serts; la jeune fille est pe? ne? tre? e de terreur, et lui demande
sans cesse raison de la rapidite? de sa course; le chevalier presse
encore plus les pas de son cheval par ses cris sombres et sourds ,
et prononce a` voix basse ces mots : les morts vont vite, les
morts vont vite. Lenore lui re? pond: Ahl laisse en paix les
morts! Mais toutes les fois qu'elle lui adresse des questions in-
quie`tes, il lui re? pe`te les me^mes paroles funestes.
En approchant de l'e? glise ou` il la menait, disait-il, pour s'unir
avec elle, l'hiver et les frimas semblent changer la nature elle-
me^me en un affreux pre? sage: des pre^tres portent en pompe un
cercueil, et leur robe noire trai^ne lentement sur la neige, linceul
de la terre; l'effroi de la jeune fille augmente, et toujours sou
amant la rassure avec un me? lange d'ironie et d'insouciance qui
fait fre? mir. Tout ce qu'il dit est prononce? avec une pre? cipitation
monotone, comme si de? ja`, dans son langage, l'on ne sentait plus
l'accent de la vie; il lui promet de la conduire dans la demeure
e? troite et silencieuse ou` leurs noces doivent s'accomplir. On voit
de loin le cimetie`re, a` co^te? de la porte de l'e? glise : le chevalier
frappe a` cette porte, elle s'ouvre ; il s'y pre? cipite avec son cheval,
qu'il fait passer au milieu des pierres fune? raires ; alors le cheva-
lier perd par degre? s l'apparence d'un e^tre vivant ; il se change en
squelette, et la terre s'entr'ouvre pour engloutir sa mai^tresse .
et lui.
Je ne me suis assure? ment pas flatte? e de faire connai^tre, par ce
re? cit abre? ge? , le me? rite e? tonnant de cette romance : toutes les ima-
ges, tous les bruits, en rapport avec la situation de l'a^me , sont
merveilleusement exprime? s par la poe? sie: les syllabes, les rimes,
tout l'art des paroles et de leurs sons est employe? pour exciter la
terreur. La rapidite? des pas du cheval semble plus solennelle et
plus lugubre que la lenteur me^me d'une marche fune`bre. L'e? ner-
gie avec laquelle le chevalier ha^te sa course, cette pe? tulance de
ia mort cause un trouble inexprimable ; et l'on se croit emporte?
par le fanto^me, comme la malheureuse qu'il entrai^ne avec lui
dans l'abi^me.
11 y a quatre traductions de la romance de Le? nore en anglais;
mais la premie`re de toutes, sans comparaison, c'est celle de
M. Spencer, le poe`te anglais qui connai^t le mieux le ve? ritable esprit
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 17:',
des langues e? trange`res. L'analogie de l'anglais avec l'allemand
permet d'y faire sentir en entier l'originalite? du style et de la
versification de Burger ; et non-seulement on peut retrouver dans
la traduction le? s me^mes ide? es que dans l'original, mais aussi les
me^mes sensations; et rien n'est plus ne? cessaire pour connai^tre
un ouvrage des beaux-arts. Il serait difficile d'obtenir le me^me
re? sultat en francais, ou` rien de bizarre n'est naturel.
Bu`rger a fait une autre romance moins ce? le`bre, mais aussi
tre`s-originale, intitule? e : le fe? roce Chasseur. Suivi de ses valets
et de sa meute nombreuse, il part pour la chasse un dimanche,
au moment ou` les cloches du village annoncent le service divin.
Un chevalier, dont l'armure est blanche, se pre? sente a` lui, et le
conjure de ne pas profaner le jour du Seigneur ; un autre cheva-
her, reve^tu d'armes noires, lui fait honte de se soumettre a` des
pre? juge? s qui ne conviennent qu'aux vieillards et aux enfants : le
chasseur ce`de aux mauvaises inspirations ; il part, et arrive pre`s
du champ d'une pauvre veuve; elle se jette a` ses pieds pour le
supplier de ne pas de? vaster la moisson, en traversant les ble? s
avec sa suite ; le chevalier aux armes blanches supplie le chas-
seur d'e? couter la pitie? ; le chevalier noir se moque de ce pue? ril
sentiment-, le chasseur prend la fe? rocite? pour de l'e? nergie, et ses
chevaux foulent aux pieds l'espoir 'du pauvre et de l'orphelin.
Enfin, le cerf poursuivi se re? fugie dans la cabane d'un vieil er-
mite; le chasseur veut y mettre le feu pour eu faire sortir sa
proie ; l'ermite embrasse ses genoux, il veut attendrir le furieux
qui menace son humble demeure ; une dernie`re fois, le bon ge? nie,
sous la forme du chevalier blanc, parle encore ; le mauvais ge? -
nie , sous celle du chevalier noir, triomphe; le chasseur tue
l'ermite, et tout a` coup il est change? en fanto^me, et sa propre
meute veut le de? vorer. Une superstition populaire a donne? lieu
a` cette romance: l'on pre? tend qu'a` minuit, dans de certaines
saisons de l'anne? e, ou voit au-dessus de la fore^t ou` cet e? ve? ne-
ment doit s'e^tre passe? , un chasseur dans les nuages, poursuiti
jusqu'au jour par ses chiens furieux.
Ce qu'il y a de vraiment beau dans cette poe? sie de Bu`rger, c'est
la peinture de l'ardente volonte? du chasseur : elle e? tait d'abord
innocente, comme toutes les (acuite? s de l'a^me; mais elle se de-
1"'.
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? 174 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
prave toujours de plus en plus, chaque fois qu'il re? siste a` sa cons-
cience, et ce`de a` ses passions. Il n'avait d'abord que l'enivrement
de la force; il arrive enfin a` celui du crime, et la terre ne peut
plus le porter. Les bons et les mauvais penchants de l'homme
sont tre`s-bien caracte? rise? s par les deux chevaliers blanc et noir;
les mots, toujours les me^mes, que le chevalier blanc prononce
pour arre^ter le chasseur, sont aussi tre`s-inge? nieusement combi-
ne? s. Les anciens et les poetes du moyen a^ge ont parfaitement
connu l'effroi que cause, dans de certaines circonstances, le re-
tour des me^mes paroles ; il semble qu'on re?
contrastes; on retrouve dans ses poe? sies beaucoup de traces du
caracte`re des habitants du Midi; il est plus en train de l'exis-
tence que les Septentrionaux ; il sent la nature avec plus de vi-
gueur et de se? re? nite? ; son esprit n'en a pas moins de profondeur,
mais son talent a plus de vie; on y trouve un certain genre de
nai? vete? qui re? veille a` la fois le souvenir de la simplicite? antique
et de celle du moyen a^ge: ce n'est pas la nai? vete? de l'innocence,
c'est celle de la force. On aperc? oit dans les poe? sies de Goethe
qu'il de? daigne une foule d'obstacles, de convenances, de criti-
ques et d'observations qui pourraient lui e^tre oppose? es. 11 suit
son imagination ou` elle le me`ne, et un certain orgueil en masse
l'affranchit des scrupules de l'amour-propre. Goethe est en poe? sie
un artiste puissamment mai^tre de la nature, et plus admirable
encore quand il n'ache`ve pas ses tableaux; car ses esquisses ren-
ferment toutes le germe d'une belle fiction : mais ses fictions
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 167
termine? es ne supposent pas toujours une heureuse esquisse.
Dans ses e? le? gies, compose? es a` Rome, il ne faut pas chercher
des descriptions de l'Italie ; Goethe nefaitpresque jamais ce qu'on
attend de lui, et quand il y a de la pompe dans une ide? e, elle
lui de? plai^t; il veut produire de l'effet par une route de? tourne? e,
et comme a` l'insu de l'auteur et du lecteur. Ses e? le? gies peignent
l'effet de l'Italie sur toute son existence, cette ivresse du bon-
heur, dont un beau ciel le pe? ne`tre. Il raconte ses plaisirs, me^me
les plus vulgaires, a` la manie`re de Properce; et de temps en
temps quelques beaux souvenirs de la ville mai^tresse du monde
donnent a` l'imagination un e? lan d'autant plus vif qu'elle n'y
e? tait pas pre? pare? e.
Une fois il raconte comment il rencontra, dans la campagne
de Rome, une jeune femme qui allaitait son enfant, assise sur
un de? bris de colonne antique: il voulut la questionner sur les
ruines dont sa cabane e? tait environne? e; elle ignorait ce dont il
lui parlait ; tout entie`re aux affections dont son a^me e? tait rem-
plie, elle aimait, et le moment pre? sent existait seul pour elle.
On lit dans un auteur grec, qu'une jeune fille, habile dans
l'art de tresser les fleurs, lutta contre son amant Pausias, qui
savait les peindre. Goethe a compose? sur ce sujet une idylle char-
mante. L'auteur de cette idylle est aussi celui de Werther.
Depuis le sentiment qui donne de la gra^ce, jusqu'au de? sespoir
qui exalte le ge? nie, Goethe a parcouru toutes les nuances de
l'amour.
Apre`s s'e^tre fait grec dans Pausias, Goethe nous conduit en
Asie, par une romance pleine de charmes, la Bayade`re. Un
dieu de l'Inde (Mahadoeh) se reve^t de la forme mortelle, pour
juger des peines et des plaisirs des hommes, apre`s les avoir
<<prouve? s. Il voyage a` travers l'Asie, observe les grands et le
peuple; et comme un soir, au sortir d'une ville, il se prome`ne
sur les bords du Gange, une bayade`re l'arre^te, et l'engage a` se
reposer dans sa demeure. Il y a tant de poe? sie, une couleur si
orientale, dans la peinture des danses de cette bayade`re, des
parfums et des fleurs dont elle s'entoure, qu'on ne peut juger
d'apre`s nos moeurs un tableau qui leur est tout a` fait e? tranger.
Le dieu de l'Inde inspire un amour ve? ritable a` cette femme e? ga-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 168 DE LA POESIE ALLEMANDE.
re? e, et, touche? du retour vers le bien qu'une affection since`re
doit toujours inspirer, il veut e? purer l'a^me de la bayade`re par
l'e? preuve du malheur.
A son re? veil elle trouve son amant mort a` ses co^te? s : les pre^-
tres de Brama emportent le corps sans vie que le bu^cher doit
consumer. La bayade`re veut s'y pre? cipiter avec celui qu'elle
aime; mais les pre^tres la repoussent, parce que, n'e? tant pas
son e? pouse, elle n'a pas le droit de mourir avec lui. La baya-
de`re , apre`s avoir ressenti toutes les douleurs de l'amour et de
la honte, se pre? cipite dans le bu^cher malgre? les brames. Le
dieu la rec? oit dans ses bras; il s'e? lance hors des flammes, et
porte au ciel l'objet de sa tendresse, qu'il a rendu digne de son
choix.
Zelter, un musicien original, a mis sur cette romance un air
tour a` tour voluptueux et solennel, qui s'accorde singulie`rement
bien avec les paroles. Quand on l'entend, on se croit au milieu
de l'Inde et de ses merveilles; et qu'on ne dise pas qu'une ro-
mance est un poe`me trop court pour produire un tel effet. Les
premie`res notes d'un air, les premiers vers d'un poe`me trans-
portent l'imagination dans la contre? e et dans le sie`cle qu'on
veut peindre; mais si quelques mots ont cette puissance, quel-
ques mots aussi peuvent de? truire l'enchantement. Les sorciers
jadis faisaient ou empe^chaient les prodiges, a` l'aide de quelques
paroles magiques. Il en est de me^me du poe`te; il peut e? voquer
le passe? ou faire reparai^tre le pre? sent, selon qu'il se sert d'ex-
pressions conformes ou non au temps ou au pays qu'il chante,
selon qu'il observe ou ne? glige les couleurs locales, et ces petites
circonstances inge? nieusement invente? es, qui exercent l'esprit,
dans la fiction comme dans la re? alite? , a` de? couvrir la ve? rite? sans
qu'on vous la dise.
Une autre romance de Goethe produit un effet de? licieux par
les moyens les plus simples: c'est le Pe? cheur. Un pauvre homme
s'assied sur le bord d'un fleuve, un soir d'e? te? ; et, tout en jetant
sa ligne, il contemple l'eau claire et limpide qui vient baigner
doucement ses pieds nus. La nymphe de ce fleuve l'invite a` s'y
plonger; elle lui peint les de? lices de l'onde pendant la chaleur,
le plaisir que le soleil trouve a` se rafrai^chir la nuit dans la mer,
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE>> 169
le calme de la lune, quand ses rayons se reposent et s'endor-
ment au sein des flots ; enfin, le pe^cheur, attire? , se? duit, entrai^ne? ,
s'avance vers la nymphe , et disparai^t pour toujours. Le fond
de cette romance est peu de chose; mais ce qui est ravissant,
c'est l'art de faire sentir le pouvoir myste? rieux que peuvent
exercer les phe? nome`nes de la nature. On dit qu'il y a des per-
sonnes qui de? couvrent les sources cache? es sous la terre, par l'a-
gitation nerveuse qu'elles leur causent: on croit souvent recon-
nai^tre dans la poe? sie allemande ces miracles de la sympathie
entre l'homme et les e? le? ments. Le poete allemand comprend la
nature, non pas seulement en poete, mais en fre`re; et l'on di-
rait que des rapports de famille lui parlent pour l'air, l'eau,
les fleurs, les arbres, enfin pour toutes les beaute? s primitives
de la cre? ation.
Il n'est personne qui n'ait senti l'attrait inde? finissable que les
vagues font e? prouver, soit par le charme de la frai^cheur, soit
par l'ascendant qu'un mouvement uniforme et perpe? tuel pour-
rait prendre insensiblement sur une existence passage`re et pe? -
rissable. La romance de Goethe exprime admirablement le plai-
sir toujours croissant qu'on trouve a` conside? rer les ondes pures
d'un fleuve : le balancement du rhythme et de l'harmonie imite
celui des flots, et produit sur l'imagination un effet analogue.
L'a^me dela nature se fait connai^tre a` nous de toutes parts et
sous mille formes diverses. La campagne fertile, comme les
de? serts abandonne? s, la mer, comme les e? toiles, sont soumises
aux me^mes lois ; et l'homme renferme en lui-me^me des sensa-
tions, des puissances occultes qui correspondent avec le jour,
avec la nuit, avec l'orage : c'est cette alliance secre`te de notre
e^tre avec les merveilles de l'univers qui donne a` la poe? sie sa
ve? ritable grandeur. Le poete sait re? tablir l'unite? du monde phy-
sique avec le monde moral ; son imagination forme un lien entre
l'un et l'autre.
Plusieurs pie`ces de Goethe sont remplies de gaiete? ; mais on y
trouve rarement le genre de plaisanterie auquel nous sommes
accoutume? s : il est pluto^t frappe? par les images que par les ridi-
cules; il saisit avec un instinct singulier l'originalite? des ani-
maux , toujours nouvelle et toujours la me^me. La Me? nagerie
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? 170 DE LA POE? S1E ALLEMANDE.
de Lily, le Chant de noce dans le vieux cha^teau, peignent
ces animaux, non comme des hommes, a` la manie`re de La
Fontaine, mais comme des cre? atures bizarres dans lesquelles la
nature s'est e? gaye? e. Goethe sait aussi trouver dans le merveil-
leux une source de plaisanteries d'autant plus aimables, qu'au-
cun but se? rieux ne s'y fait apercevoir.
Une chanson, intitule? e l'E? le`ve du Sorcier, me? rite d'e^tre cite? e
sous ce rapport. Le disciple d'un sorcier a entendu son mai^tre
murmurer quelques paroles magiques, a` l'aide desquelles il se
fait servir par un manche a` balai : il les retient, et commande
au balai d'aller lui chercher de l'eau a` la rivie`re pour laver sa
maison. Le balai part et revient, apporte un seau, puis un
autre, puis un autre encore, et toujours ainsi sans disconti-
nuer. L'e? le`ve voudrait l'arre^ter, mais il a oublie? les mots dont
il faut se servir pour cela: le manche a` balai, fide`le a` son of-
fice, va toujours a` la rivie`re, et toujours y puise de l'eau, dont
il arrose et biento^t submergera la maison. L'e? le`ve, dans sa fu-
reur, prend une hache, et coupe en deux le manche a` balai:
alors les deux morceaux du ba^ton deviennent deux domestiques
au lieu d'un, et vont chercher de l'eau, et la re? pandent a` l'envi
dans les appartements avec plus de ze`le que jamais. L'e?
le`ve a
beau dire des injures a` ces stupides ba^tons, ils agissent sans
rela^che; et la maison eu^t e? te? perdue si le mai^tre ne fu^t pas
arrive? a` temps pour secourir l'e? le`ve, en se moquant de sa
ridicule pre? somption. L'imitation maladroite des grands secrets
de l'art est tre`s-bien peinte dans cette petite sce`ne.
Il nous reste a` parler de la source ine? puisable des effets poe? -
tiques en Allemagne, la terreur: les revenants etles sorciers
plaisent au peuple comme aux hommes e? claire? s: c'est un reste
de la mythologie du Nord; c'est une disposition qu'inspirent
assez naturellement les longues nuits des climats septentrionaux:
et d'ailleurs, quoique le christianisme combatte toutes les crain-
tes non fonde? es, les superstitions populaires ont toujours une
analogie quelconque avec la religion dominante. Presque toutes
les opinions vraies ont a` leur suite une erreur; elle se place dans
l'imagination, comme l'ombre a` co^te? de la re? alite? : c'est un luxe
de croyance qui s'attache d'ordinaire a` la religion comme ii
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? DE I. \ POESIE ALLEMANDE. 171
l'histoire ; je ne sais pourquoi l'on de? daignerait d'en faire usage.
Shakespeare a tire? des effets prodigieux des spectres et de la
magie, et la poe? sie ne saurait e^tre populaire quand elle me? prise
ce qui exerce un empire irre? fle? chi sur l'imagination. Le ge? nie et
le gou^t peuvent pre? sider a` l'emploi de ces contes : il faut qu'il
y ait d'autant plus de talent dans la manie`re de les traiter, que
le fond en est vulgaire; mais peut-e^tre que c'est dans cette
re? union seule que consiste la grande puissance d'un poe`me. 11
est probable que les e? ve? nements raconte? s dans l'Iliade et dans
l'Odysse? e e? taient chante? s par les nourrices avant qu'Home`re eu
fit le chef-d'oeuvre de l'art.
Bu`rger est de tous les Allemands celui qui a le mieux saisi
cette veine de superstition qui conduit si loin dans le fond du
coeur. Aussi ses romances sont-elles connues de tout le monde
en Allemagne. La plus fameuse de toutes, Lenore, n'est pas,
je crois, traduite en franc? ais,ou du moins il serait bien diffi-
cile qu'on pu^t en exprimer tous les de? tails, ni par notre prose,
ni par nos vers. Une jeune fille s'effraye de n'avoir point de nou-
velles de son amant, parti pour l'arme? e; la paix se fait; tous
les soldats retournent dans leurs foyers. Les me`res retrouvent
leurs fils, les soeurs leurs fre`res, les e? poux leurs e? pouses; les
trompettes guerrie`res accompagnent les chants de la paix, et la
joie re`gne dans tous les coeurs. Lenore parcourt en vain les
rangs des guerriers; elle n'y voit point son amant; nul ne peut
lui dire ce qu'il est devenu. Elle se de? sespe`re : sa me`re voudrait
la calmer; mais le jeune coeur de Lenore se re? volte contre la
douleur; et, dans son e? garement, elle renie la Providence. Au
moment ou` le blasphe`me est prononce? , l'on sent dans l'histoire
quelque chose de funeste, et de`s cet instant l'a^me est constam-
ment e? branle? e.
A minuit, un chevalier s'arre^te a` la porte de Lenore : elle
entend le hennissement du cheval et le cliquetis des e? perons:
le chevalier frappe; elle descend et reconnai^t son amant. Il lui
demande de le suivre a` l'instant, car il n'y a pas un moment a`
perdre, dit-il, avant de retournera` l'arme? e. Elle s'e? lance; il la
place derrie`re lui sur son cheval, et part avec la promptitude de
l'e? clair. Il traverse au galop, pendant la nuit, des pays arides
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? 172 DE LA l'OE? SIE ALLEMANDE.
et de? serts; la jeune fille est pe? ne? tre? e de terreur, et lui demande
sans cesse raison de la rapidite? de sa course; le chevalier presse
encore plus les pas de son cheval par ses cris sombres et sourds ,
et prononce a` voix basse ces mots : les morts vont vite, les
morts vont vite. Lenore lui re? pond: Ahl laisse en paix les
morts! Mais toutes les fois qu'elle lui adresse des questions in-
quie`tes, il lui re? pe`te les me^mes paroles funestes.
En approchant de l'e? glise ou` il la menait, disait-il, pour s'unir
avec elle, l'hiver et les frimas semblent changer la nature elle-
me^me en un affreux pre? sage: des pre^tres portent en pompe un
cercueil, et leur robe noire trai^ne lentement sur la neige, linceul
de la terre; l'effroi de la jeune fille augmente, et toujours sou
amant la rassure avec un me? lange d'ironie et d'insouciance qui
fait fre? mir. Tout ce qu'il dit est prononce? avec une pre? cipitation
monotone, comme si de? ja`, dans son langage, l'on ne sentait plus
l'accent de la vie; il lui promet de la conduire dans la demeure
e? troite et silencieuse ou` leurs noces doivent s'accomplir. On voit
de loin le cimetie`re, a` co^te? de la porte de l'e? glise : le chevalier
frappe a` cette porte, elle s'ouvre ; il s'y pre? cipite avec son cheval,
qu'il fait passer au milieu des pierres fune? raires ; alors le cheva-
lier perd par degre? s l'apparence d'un e^tre vivant ; il se change en
squelette, et la terre s'entr'ouvre pour engloutir sa mai^tresse .
et lui.
Je ne me suis assure? ment pas flatte? e de faire connai^tre, par ce
re? cit abre? ge? , le me? rite e? tonnant de cette romance : toutes les ima-
ges, tous les bruits, en rapport avec la situation de l'a^me , sont
merveilleusement exprime? s par la poe? sie: les syllabes, les rimes,
tout l'art des paroles et de leurs sons est employe? pour exciter la
terreur. La rapidite? des pas du cheval semble plus solennelle et
plus lugubre que la lenteur me^me d'une marche fune`bre. L'e? ner-
gie avec laquelle le chevalier ha^te sa course, cette pe? tulance de
ia mort cause un trouble inexprimable ; et l'on se croit emporte?
par le fanto^me, comme la malheureuse qu'il entrai^ne avec lui
dans l'abi^me.
11 y a quatre traductions de la romance de Le? nore en anglais;
mais la premie`re de toutes, sans comparaison, c'est celle de
M. Spencer, le poe`te anglais qui connai^t le mieux le ve? ritable esprit
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? DE LA POE? SIE ALLEMANDE. 17:',
des langues e? trange`res. L'analogie de l'anglais avec l'allemand
permet d'y faire sentir en entier l'originalite? du style et de la
versification de Burger ; et non-seulement on peut retrouver dans
la traduction le? s me^mes ide? es que dans l'original, mais aussi les
me^mes sensations; et rien n'est plus ne? cessaire pour connai^tre
un ouvrage des beaux-arts. Il serait difficile d'obtenir le me^me
re? sultat en francais, ou` rien de bizarre n'est naturel.
Bu`rger a fait une autre romance moins ce? le`bre, mais aussi
tre`s-originale, intitule? e : le fe? roce Chasseur. Suivi de ses valets
et de sa meute nombreuse, il part pour la chasse un dimanche,
au moment ou` les cloches du village annoncent le service divin.
Un chevalier, dont l'armure est blanche, se pre? sente a` lui, et le
conjure de ne pas profaner le jour du Seigneur ; un autre cheva-
her, reve^tu d'armes noires, lui fait honte de se soumettre a` des
pre? juge? s qui ne conviennent qu'aux vieillards et aux enfants : le
chasseur ce`de aux mauvaises inspirations ; il part, et arrive pre`s
du champ d'une pauvre veuve; elle se jette a` ses pieds pour le
supplier de ne pas de? vaster la moisson, en traversant les ble? s
avec sa suite ; le chevalier aux armes blanches supplie le chas-
seur d'e? couter la pitie? ; le chevalier noir se moque de ce pue? ril
sentiment-, le chasseur prend la fe? rocite? pour de l'e? nergie, et ses
chevaux foulent aux pieds l'espoir 'du pauvre et de l'orphelin.
Enfin, le cerf poursuivi se re? fugie dans la cabane d'un vieil er-
mite; le chasseur veut y mettre le feu pour eu faire sortir sa
proie ; l'ermite embrasse ses genoux, il veut attendrir le furieux
qui menace son humble demeure ; une dernie`re fois, le bon ge? nie,
sous la forme du chevalier blanc, parle encore ; le mauvais ge? -
nie , sous celle du chevalier noir, triomphe; le chasseur tue
l'ermite, et tout a` coup il est change? en fanto^me, et sa propre
meute veut le de? vorer. Une superstition populaire a donne? lieu
a` cette romance: l'on pre? tend qu'a` minuit, dans de certaines
saisons de l'anne? e, ou voit au-dessus de la fore^t ou` cet e? ve? ne-
ment doit s'e^tre passe? , un chasseur dans les nuages, poursuiti
jusqu'au jour par ses chiens furieux.
Ce qu'il y a de vraiment beau dans cette poe? sie de Bu`rger, c'est
la peinture de l'ardente volonte? du chasseur : elle e? tait d'abord
innocente, comme toutes les (acuite? s de l'a^me; mais elle se de-
1"'.
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? 174 DE LA POE? SIE ALLEMANDE.
prave toujours de plus en plus, chaque fois qu'il re? siste a` sa cons-
cience, et ce`de a` ses passions. Il n'avait d'abord que l'enivrement
de la force; il arrive enfin a` celui du crime, et la terre ne peut
plus le porter. Les bons et les mauvais penchants de l'homme
sont tre`s-bien caracte? rise? s par les deux chevaliers blanc et noir;
les mots, toujours les me^mes, que le chevalier blanc prononce
pour arre^ter le chasseur, sont aussi tre`s-inge? nieusement combi-
ne? s. Les anciens et les poetes du moyen a^ge ont parfaitement
connu l'effroi que cause, dans de certaines circonstances, le re-
tour des me^mes paroles ; il semble qu'on re?
