L'esprit militaire a
toujours
e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
sente?
comme un he?
ros de trage?
die, il n'avait point voulu
braver Gessler : il ressemble en tout a` ce que sont d'ordinaire les
paysans de l'Helve? tie, calmes dans leurs habitudes, amis du re-
pos, mais terribles quand on agite dans leur a^me les sentiments
que la vie champe^tre y tient assoupis. On voit encore pre`s d'Altorf, dans le canton d'Uri, une statue de pierre grossie`rement
travaille? e, qui repre? sente Tell et son fils, apre`s que la pomme a
e? te? tire? e. Le pe`re tient d'une main son fils, et de l'autre il presse
son arc sur son coeur, pour le remercier de l'avoir si bien servi. Tell est conduit enchai^ne? sur la me^me barque dans laquelle
Gessler traverse le lac de Lucerne; l'orage e? clate pendant le pas-
sage; l'homme barbare a peur, et demande du secours a` sa victime : on de? tache les liens de Tell, il conduit lui-me^me la bar-
que au milieu de la tempe^te, et s'approchant des rochers il s'e? -
lance sur le rivage escarpe? . Le re? cit de cet e? ve? nement commence
le quatrie`me acte. A peine arrive? dans sa demeure, Tell est averti
qu'il ne peut espe? rer d'y vivre en paix avec sa femme et ses en-
fants , et c'est alors qu'il prend la re? solution de tuer Gessler. Il
n'a point pour but d'affranchir son pays du joug e? tranger, il ne
sait pas si l'Autriche doit ou non gouverner la Suisse -, il sait qu'un
homme a e? te? injuste envers un homme; il sait qu'un pe`re a e? te?
force? de lancer une fle`che pre`s du coeur de son enfant, et il pense
que l'auteur d'un tel forfait doit pe? rir.
Son monologue est superbe: il fre? mit du meurtre, et cepen-
dant il n'a pas le moindre doute sur la le? gitimite? de sa re? solution.
Il compare l'innocent usage qu'il a fait jusqu'a` ce jour de sa fle`-
che , a` la chasse et dans les jeux, avec la se? ve`re action qu'il va
commettre : il s'assied sur un banc de pierre , pour attendre au
de? tour d'un chemin Gessler qui doit passer. -- <<Ici, dit-il, s'a-
<< re? te le pe`lerin, qui continue son voyage apre`s un court repos;
<< le moine pieux qui va pour accomplir sa mission sainte, le mar-
<< chand qui vient des pays lointains, et traverse cette route pour
aller a` l'autre extre? mite? du monde : tous poursuivent leur che-
<< min pour achever leurs affaires, et mon affaire a` moi, c'est lo
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 548 GUILLAUME TELL.
<< meurtre! Jadis le pe`re ne rentrait jamais dans sa maison sans
<< re? jouir ses enfants, en leur rapportant quelques fleurs des Al-
<<pes, un oiseau rare, un coquillage pre? cieux, tel qu'on en
? trouve sur les montagnes; et maintenant ce pe`re est assis sur
le rocher, et des pense? es de mort l'occupent; il veut la vie de
* son ennemi; mais il la veut pour vous, mes enfants, pour vous
<< prote? ger, pour vous de? fendre; c'est pour sauver vos jours et
votre douce innocence qu'il tend son arc vengeur. >>
Peu de temps apre`s on aperc? oit de loin Gessler descendre de
la montagne. Une malheureuse femme dont il fait languir le
mari dans les prisons, se jette a` ses pieds et le conjure de lui ac-
corder sa de? livrance; il la me? prise et la repousse: elle insiste
encore, elle saisit la bride de son cheval, et lui demande de l'e? -
craser sous ses pas, ou de lui rendre celui qu'elle aime. Gessler,
indigne? contre ses plaintes, se reproche de laisser encore trop de
liberte? au peuple suisse. --Je veux, dit-il, briser leur re? sistance
opinia^tre ; je veux courber leur audacieux esprit d'inde? pendance;
je veux publier une loi nouvelle dans ce pays; je veux. . . --
Comme il prononce ce mot, la fle`che mortelle l'atteint; il tombe
en s'e? criant: -- C'est le trait de Tell. -- Tu dois le reconnai^tre,
s'e? crie Tell du haut du rocher, -r- Les acclamations du peuple
se font biento^t entendre, et les libe? rateurs de la Suisse rem-
plissent le serment qu'ils avaient fait de s'affranchir du joug de
l'Autriche.
Il semble que la pie`ce devrait finir naturellement la`, comme
celle de Marie Stuart a` sa mort; mais dans l'une et l'autre Schil-
ler a ajoute? une espe`ce d'appendice ou d'explication, qu'on ne
peut plus e? couter quand la catastrophe principale est termine? e,
Klisabeth reparai^t apre`s l'exe? cution de Marie; on est te? moin de
son trouble et de sa douleur en apprenant le de? part de Leicester
pour la France. Cette justice poe? tique doit se supposer, et non
se repre? senter; le spectateur ne soutient pas la vue d'Elisabeth,
apre`s avoir e? te? te? moin des derniers momentsde Marie. Dans Gu^
laumeTell, au cinquie`me acte, Jean le Parricide, qui assassina
son oncle l'empereur Albert, parce qu'il lui refusait son he? ritage,
vient, de? guise? en moine, demander un asile a` Tell; il se persuade que leurs actions sont pareilles, et Tell le repousse avec horreur,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? GOETZ DE RERLICH1KGEK. 249
en lui montrant combien leurs motifs sont diffe? rents. C'est une
ide? e juste et inge? nieuse, que de mettre en opposition ces deux
hommes; toutefois ce contraste, qui plai^t a` la lecture, ne re? us-
sit point au the? a^tre. L'esprit est detre`s-peu de chose dans les effets
dramatiques; il en faut pour les pre? parer, mais s'il en fallait
pour les sentir, le public me^me le plus spirituel s'y refuserait.
On supprime au the? a^tre l'acte accessoire de Jean le Parricide,
et la toile tombe au moment ou` la fle`che perce le coeur de Gessler. Peu de temps apre`s la premie`re repre? sentation de Guillaume
Tell, le trait mortel atteignit aussi le digne auteur de ce bel ou-
vrage. Gessler pe? rit au moment ou` les desseins les plus cruels
l'occupaient; Schiller n'avait dans son a^me que de ge? ne? reuses
pense? es. Ces deux volonte? s si contraires, la mort, ennemie de
tous les projets de l'homme, les a de me^me brise? es.
CHAPITRE XXI.
Goetz de Rcrlichingen, et le comte dlEgmont.
La carrie`re dramatique de Goethe peut e^tre conside? re? e sous
deux rapports diffe? rents. Dans les pie`ces qu'il a faites pour e^tre
repre? sente? es, il y a beaucoup de gra^ce et d'esprit, mais rien de
plus. Dans ceux de ses ouvrages dramatiques, au contraire, qu'il
est tre`s-difficile de jouer, on trouve un talent extraordinaire 11
parai^t que le ge? nie de Goethe ne peut se renfermer dans les li-
mites du the? a^tre; quand il veut s'y soumettre, il perd une por-
tion de son originalite? , et ne la retrouve tout entie`re que quand
il peut me^ler a` son gre? tous les genres. Un art, quel qu'il soit,
ne saurait e^tre sans bornes; la peinture, la sculpture, l'archi-
tecture, sont soumises a` des lois qui leur sont particulie`res, et
de me^me l'art dramatique ne produit de l'effet qu'a` de certaines
conditions: ces conditions restreignent quelquefois le sentiment
et la pense? e; mais l'ascendantdu spectacle est tel sur les hommes
rassemble? s, qu'on a tort de ne pas se servir de cette puissance,
sous pre? texte qu'elle exige des sacrifices que ne ferait pas l'ima-
gination livre? e a` elle-me^me. Comme il n'y a pas en Allemagne
une capitale ou` l'on trouve re? uni tout ce qu'il faut pour avoir un
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? J50 OOETZ DE RERLICHINGEN.
bon the? a^tre, les ouvrages dramatiques sont beaucoup plus souvent lus que joue? s :et de la` vient que les auteurs composent leurs
ouvrages d'apre`s le point de vue de la lecture, et non pas d'a-
pre`s celui de la sce`ne.
Goethe fait presque toujours de nouveaux essais en litte? rature.
Quand le gou^t allemand lui parai^t pencher vers un exce`s quel-
conque, il tente aussito^t de lui donner une direction oppose? e. On dirait qu'il administre l'esprit de ses contemporains comme son
empire, et que ses ouvrages sont des de? crets, qui tour a` tour au-
torisent ou bannissent les abus qui s'introduisent dans l'art.
Goethe e? tait fatigue? de l'imitation des pie`ces franc? aises en Al-
lemagne, et il avait raison; car un Franc? ais me^me le serait aussi.
En conse? quence, il composa un drame historique a` la manie`re de
Shakespeare, Goetz de Berlichingen. Cette pie`ce n'e? tait pas des-
tine? e au the? a^tre; mais on pouvait cependant la repre? senter, comme
toutes celles de Shakespeare du me^me genre. Goethe a choisi la
me^me e? poque de l'histoire que Schiller dans ses Brigands; mais,
au lieu de montrer un homme qui s'affranchit de tous les liens
de la morale et de la socie? te? , il a peint un vieux chevalier, sous
le re`gne de Maximilien, de? fendant encore la vie chevaleresque,
et l'existence fe? odale des seigneurs, qui donnaient tant d'ascen-
dant a` leur valeur personnelle.
Goetz de Berlichingen fut surnomme? la Main de Fer, parce
que, ayant perdu sa main droite a` la guerre, il s'en fit faire une
a` ressort, avec laquelle il saisissait tre`s-bien la lance; c'e? tait un
chevalier ce? le`bre dans son temps par son courage et sa loyaute? .
Ce mode`le est heureusement choisi pour repre? senter quelle e? tait
l'inde? pendance des nobles, avant que l'autorite? du gouvernement
pesa^t sur tous. Dans le moyen a^ge, chaque cha^teau e? tait une
forteresse, chaque seigneur un souverain. L'e? tablissement des
troupes de ligne et l'invention de l'artillerie change`rent tout a`
fait l'ordre social; il s'introduisit une espe`ce de force abstraite
qu'on nomme E? tat ou nation; mais les individus perdirent gra-
duellement toute leur importance. Un caracte`re tel que celui de
Goetz dut souffrir de ce changement, lorsqu'il s'ope? ra.
L'esprit militaire a toujours e? te? plus rude en Allemagne que
partout ailleurs, et c'est la` qu'on peut se figurer ve? ritablement
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? GOETZ DE REHLICHI1NGEN. 251
ces hommes de fer dont on voit encore les images dans les ar-
senaux de l'Empire. Ne? anmoins la simplicite? des moeurs cheva-
leresques est peintedans la pie`cede Goethe avec beaucoup dechar
nies. Ce vieux Goetz, vivant dans les combats, dormant avec son armure, sans cesse a` cheval, ne se reposant que quand il est
assie? ge? , employant tout pour la guerre, ne voyant qu'elle; ce
vieux Goetz, dis-je, donne la plus haute ide? e de l'inte? re^t et de
l'activite? que la vie avait alors. Ses qualite? s comme ses de? fauts
sont fortement prononce? s; rien n'est plus ge? ne? reux que son atta-
chement pour Weislingen, autrefois son ami, depuis son adver-
saire, et souvent me^me trai^tre envers lui. La sensibilite? que mon-
tre un intre? pide guerrier remue l'a^me d'une fac? on toute nou-
velle; nous avons du temps pour aimer, dans notre vie oisive;
mais ces e? clairs d'e? motion qui font lire au fond du coeur, a` tra-
vers une existence orageuse, causent un attendrissement profond.
On a si peur de rencontrer l'affectation dans le plus beau don
du ciel, dans la sensibilite? , que l'on pre? fe`re quelquefois la ru-
desse elle-me^me, comme garant de la franchise.
La femme de Goetz s'offre a` l'imagination telle qu'un ancien
portrait de l'e? cole flamande, ou` le ve^tement, le regard, la tran-
quillite? me^me de l'attitude, annoncent une femme soumise a` son
e? poux, ne connaissant que lui, n'admirant que lui, et se croyant
destine? e a` le servir, comme il l'est a` la de? fendre. On voit en con-
traste avec cette femme par excellence, une cre? ature tout a` fait
perverse, Ade? lai? de, qui se? duit Weislingen, et le fait manquer
a` ce qu'il avait promis a` son ami; elle l'e? pouse, et biento^t lui de-
vient infide`le. Elle se fait aimer avec passion de son page, et
trouble ce malheureux jeune homme au point de l'entrai^ner a`
donner a` son mai^tre une coupe empoisonne? e. Ces traits sont
forts; mais peut-e^tre est-il vrai que, quand les moeurs sont tre`s-pures en ge? ne? ral, celle qui s'en e? carte est biento^t entie`rement
corrompue; le de? sir de plaire n'est de nos jours qu'un lien d'af-
fection et de bienveillance; mais dans la vie se? ve`re et domestique
d'autrefois, c'e? tait un e? garement qui pouvait entrai^ner a` tous les
autres. Cette criminelle Ade? lai? de donne lieu a` l'une des plus
belles sce`nes de la pie`ce, la se? ance du tribunal secret.
Des juges myste? rieux, inconnus l'un a` l'autre, toujours mas-
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? 252 GOETZ DE JiMil. lCIUflCEN.
que? s, et se rassemblant pendant la nuit, punissaient dans le si-
lence, et gravaient seulement sur le poignard qu'ils enfon-
c? aient dans le sein du coupable ce mot terrible: TRIRUNAL
SECHET. Ils pre? venaient le condamne? , en faisant crier trois fois
sous les fene^tres de sa maison: Malheur, malheur, malheur'.
Alors l'infortune? savait que partout, dans l'e? tranger, dans son
concitoyen, dans son parent me^me, il pouvait trouver son meur-
trier. La solitude, la foule,les villes, les campagnes, tout e? tait
rempli parla pre? sence invisible de cette conscience arme? e qui
poursuivait les criminels. On conc? oit comment cette terrible ins-
titution pouvait e^tre ne? cessaire, dans un temps ou` chaque
homme e? tait fort contre tous, au lieu que tous doivent e^tre forts
contre chacun. Il fallait que la justice surpri^t le criminel avant
qu'il pu^t s'en de? fendre: mais cette punition, qui planait dans
les airs comme une ombre vengeresse, cette sentence mortelle,
que pouvait receler le sein me^me'd'un ami, frappait d'une in-
vincible terreur.
C'est encore un beau moment que celui ou` Goetz, voulant se
de? fendre dans son cha^teau, ordonne qu'on arrache le plomb de
ses fene^tres pour en faire des balles. Il y a dans cet homme un
me? pris de l'avenir, et une intensite? de force dans le pre? sent,
tout a` fait admirable. Enfin Goetz voit pe? rir tous ses compagnons
d'armes; il reste blesse? , captif, et n'ayant aupre`s de lui que son
e? pouse et sa soeur. Il n'est plus entoure? que de femmes, lui qui
voulait vivre au milieu d'hommes, et d'hommes indomptables,
pour exercer avec eux la puissance de son caracte`re et de son
bras. Il songe au nom qu'il doit laisser apre`s lui; il re? fle? chit,
puisqu'il va mourir. Il demande a` voir encore une fois le soleil,
pense a` Dieu, dont il ne s'est point occupe? , mais dont il n'a jamais doute? , et meurt courageux et sombre, regrettant la guerre
plus que la vie.
Ou aime beaucoup cette pie`ce en Allemagne; les moeurs et
les costumes nationaux de l'ancien temps y sont fide`lement re-
pre? sente? s, et tout ce qui tient a` la chevalerie ancienne remue le
coeur des Allemands. Goethe, le plus insouciant de tous les
hommes, parce qu'il est su^r de gouverner son public,ne s'est
pas donne? la peine de mettre sa pie`ce en vers; c'est le dessin
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? LE COMTE DF. GMONT. 2. S3
d'un grand tableau, mais un dessin a` peine acheve? . On sent
dans l'e? crivain une telle impatience de tout ce qui pourrait res-
sembler a` l'affectation, qu'il de? daigne me^me l'art ne? cessaire
pour donner une forme durable a` ce qu'il compose. Il y a des
traits de ge? nie ca` et la` dans son drame, comme des coups de
pinceau de Michel-Ange; mais c'est un ouvrage qui laisse ou
pluto^t qui fait de? sirer beaucoup de choses. Le re`gne de Maximilien, pendant lequel l'e? ve? nement principal se passe, n'y est
pas assez caracte? rise? . Enfin, on oserait reprocher a` Goethe de
n'avoir pas mis assez d'imagination dans la forme et dans le
langage de cette pie`ce. C'est volontairement et par syste`me qu'il
s'y est refuse? ; il a voulu que ce drame fu^t la chose me^me, et il
faut que le charme de l'ide? al pre? side a` tout dans les ouvrages
dramatiques. Les personnages des trage? dies sont toujours en
danger d'e^tre vulgaires ou factices, et le ge? nie doit les pre? server
e? galement de l'un et de l'autre inconve? nient. Shakespeare ne
cesse pas d'e^tre poete dans ses pie`ces historiques, ni Racine
d'observer exactement les moeurs des He? breux, dans sa trage? die
lyrique d'Athalie. Le talent dramatique ne saurait se passer ni
dela nature, ni de l'art; l'art ne tient en rien a` l'artifice, c'est une
inspiration parfaitement vraie et spontane? e, qui re? pand sur les
circonstances particulie`res l'harmonie universelle, et sur les
moments passagers la dignite? des souvenirs durables.
Le comte d'Egmont me parai^t la plus belle des trage? dies de
Goethe; il l'a e? crite, sans doute, lorsqu'il composait Werther:
la me^me chaleur d'a^me se retrouve dans ces deux ouvrages. La
pie`ce commence au moment ou` Philippe II, fatigue? de la dou-
ceur du gouvernement de Marguerite de Parme, dans les Pays-Bas, envoie le duc d'Albe pour la remplacer. Le roi est inquiet
de la popularite? qu'ont acquise le prince d'Orange et le comte
d'Egmont; il les soupc? onne de favoriser en secret les partisans
de la re? formation. Tout est re? uni pour donner l'ide? e la plus se? -
duisante du comte d'Egmont; on le voit adore? de ses soldats, a`
la te^te desquels il a remporte? tant de victoires. La princesse es-
pagnole se fie a` sa fide? lite? , bien qu'elle sache par lui-me^me
combien il bla^me la se? ve? rite? dont on use envers les protestants;
t Itt MAt t . '2i?
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 254 LE COMTE D EGkONT.
les citoyens de la ville de Bruxelles le conside`rent comme le de? -
fenseur de leurs liberte? s aupre`s du tro^ne; enfin le prince d'O-
range, dont la politique profonde et la prudence silencieuse
sont si connues dans l'histoire, rele`ve encore la ge? ne? reuse im-
prudence du comte d'Egmont, en le suppliant vainement de
partir avec lui avant l'arrive? e du duc d'Albe. Le prince d'Orange
est un caracte`re noble et sage; un de? vouement he? roi? que, mais
inconside? re? , peut seul re?
braver Gessler : il ressemble en tout a` ce que sont d'ordinaire les
paysans de l'Helve? tie, calmes dans leurs habitudes, amis du re-
pos, mais terribles quand on agite dans leur a^me les sentiments
que la vie champe^tre y tient assoupis. On voit encore pre`s d'Altorf, dans le canton d'Uri, une statue de pierre grossie`rement
travaille? e, qui repre? sente Tell et son fils, apre`s que la pomme a
e? te? tire? e. Le pe`re tient d'une main son fils, et de l'autre il presse
son arc sur son coeur, pour le remercier de l'avoir si bien servi. Tell est conduit enchai^ne? sur la me^me barque dans laquelle
Gessler traverse le lac de Lucerne; l'orage e? clate pendant le pas-
sage; l'homme barbare a peur, et demande du secours a` sa victime : on de? tache les liens de Tell, il conduit lui-me^me la bar-
que au milieu de la tempe^te, et s'approchant des rochers il s'e? -
lance sur le rivage escarpe? . Le re? cit de cet e? ve? nement commence
le quatrie`me acte. A peine arrive? dans sa demeure, Tell est averti
qu'il ne peut espe? rer d'y vivre en paix avec sa femme et ses en-
fants , et c'est alors qu'il prend la re? solution de tuer Gessler. Il
n'a point pour but d'affranchir son pays du joug e? tranger, il ne
sait pas si l'Autriche doit ou non gouverner la Suisse -, il sait qu'un
homme a e? te? injuste envers un homme; il sait qu'un pe`re a e? te?
force? de lancer une fle`che pre`s du coeur de son enfant, et il pense
que l'auteur d'un tel forfait doit pe? rir.
Son monologue est superbe: il fre? mit du meurtre, et cepen-
dant il n'a pas le moindre doute sur la le? gitimite? de sa re? solution.
Il compare l'innocent usage qu'il a fait jusqu'a` ce jour de sa fle`-
che , a` la chasse et dans les jeux, avec la se? ve`re action qu'il va
commettre : il s'assied sur un banc de pierre , pour attendre au
de? tour d'un chemin Gessler qui doit passer. -- <<Ici, dit-il, s'a-
<< re? te le pe`lerin, qui continue son voyage apre`s un court repos;
<< le moine pieux qui va pour accomplir sa mission sainte, le mar-
<< chand qui vient des pays lointains, et traverse cette route pour
aller a` l'autre extre? mite? du monde : tous poursuivent leur che-
<< min pour achever leurs affaires, et mon affaire a` moi, c'est lo
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 548 GUILLAUME TELL.
<< meurtre! Jadis le pe`re ne rentrait jamais dans sa maison sans
<< re? jouir ses enfants, en leur rapportant quelques fleurs des Al-
<<pes, un oiseau rare, un coquillage pre? cieux, tel qu'on en
? trouve sur les montagnes; et maintenant ce pe`re est assis sur
le rocher, et des pense? es de mort l'occupent; il veut la vie de
* son ennemi; mais il la veut pour vous, mes enfants, pour vous
<< prote? ger, pour vous de? fendre; c'est pour sauver vos jours et
votre douce innocence qu'il tend son arc vengeur. >>
Peu de temps apre`s on aperc? oit de loin Gessler descendre de
la montagne. Une malheureuse femme dont il fait languir le
mari dans les prisons, se jette a` ses pieds et le conjure de lui ac-
corder sa de? livrance; il la me? prise et la repousse: elle insiste
encore, elle saisit la bride de son cheval, et lui demande de l'e? -
craser sous ses pas, ou de lui rendre celui qu'elle aime. Gessler,
indigne? contre ses plaintes, se reproche de laisser encore trop de
liberte? au peuple suisse. --Je veux, dit-il, briser leur re? sistance
opinia^tre ; je veux courber leur audacieux esprit d'inde? pendance;
je veux publier une loi nouvelle dans ce pays; je veux. . . --
Comme il prononce ce mot, la fle`che mortelle l'atteint; il tombe
en s'e? criant: -- C'est le trait de Tell. -- Tu dois le reconnai^tre,
s'e? crie Tell du haut du rocher, -r- Les acclamations du peuple
se font biento^t entendre, et les libe? rateurs de la Suisse rem-
plissent le serment qu'ils avaient fait de s'affranchir du joug de
l'Autriche.
Il semble que la pie`ce devrait finir naturellement la`, comme
celle de Marie Stuart a` sa mort; mais dans l'une et l'autre Schil-
ler a ajoute? une espe`ce d'appendice ou d'explication, qu'on ne
peut plus e? couter quand la catastrophe principale est termine? e,
Klisabeth reparai^t apre`s l'exe? cution de Marie; on est te? moin de
son trouble et de sa douleur en apprenant le de? part de Leicester
pour la France. Cette justice poe? tique doit se supposer, et non
se repre? senter; le spectateur ne soutient pas la vue d'Elisabeth,
apre`s avoir e? te? te? moin des derniers momentsde Marie. Dans Gu^
laumeTell, au cinquie`me acte, Jean le Parricide, qui assassina
son oncle l'empereur Albert, parce qu'il lui refusait son he? ritage,
vient, de? guise? en moine, demander un asile a` Tell; il se persuade que leurs actions sont pareilles, et Tell le repousse avec horreur,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? GOETZ DE RERLICH1KGEK. 249
en lui montrant combien leurs motifs sont diffe? rents. C'est une
ide? e juste et inge? nieuse, que de mettre en opposition ces deux
hommes; toutefois ce contraste, qui plai^t a` la lecture, ne re? us-
sit point au the? a^tre. L'esprit est detre`s-peu de chose dans les effets
dramatiques; il en faut pour les pre? parer, mais s'il en fallait
pour les sentir, le public me^me le plus spirituel s'y refuserait.
On supprime au the? a^tre l'acte accessoire de Jean le Parricide,
et la toile tombe au moment ou` la fle`che perce le coeur de Gessler. Peu de temps apre`s la premie`re repre? sentation de Guillaume
Tell, le trait mortel atteignit aussi le digne auteur de ce bel ou-
vrage. Gessler pe? rit au moment ou` les desseins les plus cruels
l'occupaient; Schiller n'avait dans son a^me que de ge? ne? reuses
pense? es. Ces deux volonte? s si contraires, la mort, ennemie de
tous les projets de l'homme, les a de me^me brise? es.
CHAPITRE XXI.
Goetz de Rcrlichingen, et le comte dlEgmont.
La carrie`re dramatique de Goethe peut e^tre conside? re? e sous
deux rapports diffe? rents. Dans les pie`ces qu'il a faites pour e^tre
repre? sente? es, il y a beaucoup de gra^ce et d'esprit, mais rien de
plus. Dans ceux de ses ouvrages dramatiques, au contraire, qu'il
est tre`s-difficile de jouer, on trouve un talent extraordinaire 11
parai^t que le ge? nie de Goethe ne peut se renfermer dans les li-
mites du the? a^tre; quand il veut s'y soumettre, il perd une por-
tion de son originalite? , et ne la retrouve tout entie`re que quand
il peut me^ler a` son gre? tous les genres. Un art, quel qu'il soit,
ne saurait e^tre sans bornes; la peinture, la sculpture, l'archi-
tecture, sont soumises a` des lois qui leur sont particulie`res, et
de me^me l'art dramatique ne produit de l'effet qu'a` de certaines
conditions: ces conditions restreignent quelquefois le sentiment
et la pense? e; mais l'ascendantdu spectacle est tel sur les hommes
rassemble? s, qu'on a tort de ne pas se servir de cette puissance,
sous pre? texte qu'elle exige des sacrifices que ne ferait pas l'ima-
gination livre? e a` elle-me^me. Comme il n'y a pas en Allemagne
une capitale ou` l'on trouve re? uni tout ce qu'il faut pour avoir un
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? J50 OOETZ DE RERLICHINGEN.
bon the? a^tre, les ouvrages dramatiques sont beaucoup plus souvent lus que joue? s :et de la` vient que les auteurs composent leurs
ouvrages d'apre`s le point de vue de la lecture, et non pas d'a-
pre`s celui de la sce`ne.
Goethe fait presque toujours de nouveaux essais en litte? rature.
Quand le gou^t allemand lui parai^t pencher vers un exce`s quel-
conque, il tente aussito^t de lui donner une direction oppose? e. On dirait qu'il administre l'esprit de ses contemporains comme son
empire, et que ses ouvrages sont des de? crets, qui tour a` tour au-
torisent ou bannissent les abus qui s'introduisent dans l'art.
Goethe e? tait fatigue? de l'imitation des pie`ces franc? aises en Al-
lemagne, et il avait raison; car un Franc? ais me^me le serait aussi.
En conse? quence, il composa un drame historique a` la manie`re de
Shakespeare, Goetz de Berlichingen. Cette pie`ce n'e? tait pas des-
tine? e au the? a^tre; mais on pouvait cependant la repre? senter, comme
toutes celles de Shakespeare du me^me genre. Goethe a choisi la
me^me e? poque de l'histoire que Schiller dans ses Brigands; mais,
au lieu de montrer un homme qui s'affranchit de tous les liens
de la morale et de la socie? te? , il a peint un vieux chevalier, sous
le re`gne de Maximilien, de? fendant encore la vie chevaleresque,
et l'existence fe? odale des seigneurs, qui donnaient tant d'ascen-
dant a` leur valeur personnelle.
Goetz de Berlichingen fut surnomme? la Main de Fer, parce
que, ayant perdu sa main droite a` la guerre, il s'en fit faire une
a` ressort, avec laquelle il saisissait tre`s-bien la lance; c'e? tait un
chevalier ce? le`bre dans son temps par son courage et sa loyaute? .
Ce mode`le est heureusement choisi pour repre? senter quelle e? tait
l'inde? pendance des nobles, avant que l'autorite? du gouvernement
pesa^t sur tous. Dans le moyen a^ge, chaque cha^teau e? tait une
forteresse, chaque seigneur un souverain. L'e? tablissement des
troupes de ligne et l'invention de l'artillerie change`rent tout a`
fait l'ordre social; il s'introduisit une espe`ce de force abstraite
qu'on nomme E? tat ou nation; mais les individus perdirent gra-
duellement toute leur importance. Un caracte`re tel que celui de
Goetz dut souffrir de ce changement, lorsqu'il s'ope? ra.
L'esprit militaire a toujours e? te? plus rude en Allemagne que
partout ailleurs, et c'est la` qu'on peut se figurer ve? ritablement
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? GOETZ DE REHLICHI1NGEN. 251
ces hommes de fer dont on voit encore les images dans les ar-
senaux de l'Empire. Ne? anmoins la simplicite? des moeurs cheva-
leresques est peintedans la pie`cede Goethe avec beaucoup dechar
nies. Ce vieux Goetz, vivant dans les combats, dormant avec son armure, sans cesse a` cheval, ne se reposant que quand il est
assie? ge? , employant tout pour la guerre, ne voyant qu'elle; ce
vieux Goetz, dis-je, donne la plus haute ide? e de l'inte? re^t et de
l'activite? que la vie avait alors. Ses qualite? s comme ses de? fauts
sont fortement prononce? s; rien n'est plus ge? ne? reux que son atta-
chement pour Weislingen, autrefois son ami, depuis son adver-
saire, et souvent me^me trai^tre envers lui. La sensibilite? que mon-
tre un intre? pide guerrier remue l'a^me d'une fac? on toute nou-
velle; nous avons du temps pour aimer, dans notre vie oisive;
mais ces e? clairs d'e? motion qui font lire au fond du coeur, a` tra-
vers une existence orageuse, causent un attendrissement profond.
On a si peur de rencontrer l'affectation dans le plus beau don
du ciel, dans la sensibilite? , que l'on pre? fe`re quelquefois la ru-
desse elle-me^me, comme garant de la franchise.
La femme de Goetz s'offre a` l'imagination telle qu'un ancien
portrait de l'e? cole flamande, ou` le ve^tement, le regard, la tran-
quillite? me^me de l'attitude, annoncent une femme soumise a` son
e? poux, ne connaissant que lui, n'admirant que lui, et se croyant
destine? e a` le servir, comme il l'est a` la de? fendre. On voit en con-
traste avec cette femme par excellence, une cre? ature tout a` fait
perverse, Ade? lai? de, qui se? duit Weislingen, et le fait manquer
a` ce qu'il avait promis a` son ami; elle l'e? pouse, et biento^t lui de-
vient infide`le. Elle se fait aimer avec passion de son page, et
trouble ce malheureux jeune homme au point de l'entrai^ner a`
donner a` son mai^tre une coupe empoisonne? e. Ces traits sont
forts; mais peut-e^tre est-il vrai que, quand les moeurs sont tre`s-pures en ge? ne? ral, celle qui s'en e? carte est biento^t entie`rement
corrompue; le de? sir de plaire n'est de nos jours qu'un lien d'af-
fection et de bienveillance; mais dans la vie se? ve`re et domestique
d'autrefois, c'e? tait un e? garement qui pouvait entrai^ner a` tous les
autres. Cette criminelle Ade? lai? de donne lieu a` l'une des plus
belles sce`nes de la pie`ce, la se? ance du tribunal secret.
Des juges myste? rieux, inconnus l'un a` l'autre, toujours mas-
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? 252 GOETZ DE JiMil. lCIUflCEN.
que? s, et se rassemblant pendant la nuit, punissaient dans le si-
lence, et gravaient seulement sur le poignard qu'ils enfon-
c? aient dans le sein du coupable ce mot terrible: TRIRUNAL
SECHET. Ils pre? venaient le condamne? , en faisant crier trois fois
sous les fene^tres de sa maison: Malheur, malheur, malheur'.
Alors l'infortune? savait que partout, dans l'e? tranger, dans son
concitoyen, dans son parent me^me, il pouvait trouver son meur-
trier. La solitude, la foule,les villes, les campagnes, tout e? tait
rempli parla pre? sence invisible de cette conscience arme? e qui
poursuivait les criminels. On conc? oit comment cette terrible ins-
titution pouvait e^tre ne? cessaire, dans un temps ou` chaque
homme e? tait fort contre tous, au lieu que tous doivent e^tre forts
contre chacun. Il fallait que la justice surpri^t le criminel avant
qu'il pu^t s'en de? fendre: mais cette punition, qui planait dans
les airs comme une ombre vengeresse, cette sentence mortelle,
que pouvait receler le sein me^me'd'un ami, frappait d'une in-
vincible terreur.
C'est encore un beau moment que celui ou` Goetz, voulant se
de? fendre dans son cha^teau, ordonne qu'on arrache le plomb de
ses fene^tres pour en faire des balles. Il y a dans cet homme un
me? pris de l'avenir, et une intensite? de force dans le pre? sent,
tout a` fait admirable. Enfin Goetz voit pe? rir tous ses compagnons
d'armes; il reste blesse? , captif, et n'ayant aupre`s de lui que son
e? pouse et sa soeur. Il n'est plus entoure? que de femmes, lui qui
voulait vivre au milieu d'hommes, et d'hommes indomptables,
pour exercer avec eux la puissance de son caracte`re et de son
bras. Il songe au nom qu'il doit laisser apre`s lui; il re? fle? chit,
puisqu'il va mourir. Il demande a` voir encore une fois le soleil,
pense a` Dieu, dont il ne s'est point occupe? , mais dont il n'a jamais doute? , et meurt courageux et sombre, regrettant la guerre
plus que la vie.
Ou aime beaucoup cette pie`ce en Allemagne; les moeurs et
les costumes nationaux de l'ancien temps y sont fide`lement re-
pre? sente? s, et tout ce qui tient a` la chevalerie ancienne remue le
coeur des Allemands. Goethe, le plus insouciant de tous les
hommes, parce qu'il est su^r de gouverner son public,ne s'est
pas donne? la peine de mettre sa pie`ce en vers; c'est le dessin
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? LE COMTE DF. GMONT. 2. S3
d'un grand tableau, mais un dessin a` peine acheve? . On sent
dans l'e? crivain une telle impatience de tout ce qui pourrait res-
sembler a` l'affectation, qu'il de? daigne me^me l'art ne? cessaire
pour donner une forme durable a` ce qu'il compose. Il y a des
traits de ge? nie ca` et la` dans son drame, comme des coups de
pinceau de Michel-Ange; mais c'est un ouvrage qui laisse ou
pluto^t qui fait de? sirer beaucoup de choses. Le re`gne de Maximilien, pendant lequel l'e? ve? nement principal se passe, n'y est
pas assez caracte? rise? . Enfin, on oserait reprocher a` Goethe de
n'avoir pas mis assez d'imagination dans la forme et dans le
langage de cette pie`ce. C'est volontairement et par syste`me qu'il
s'y est refuse? ; il a voulu que ce drame fu^t la chose me^me, et il
faut que le charme de l'ide? al pre? side a` tout dans les ouvrages
dramatiques. Les personnages des trage? dies sont toujours en
danger d'e^tre vulgaires ou factices, et le ge? nie doit les pre? server
e? galement de l'un et de l'autre inconve? nient. Shakespeare ne
cesse pas d'e^tre poete dans ses pie`ces historiques, ni Racine
d'observer exactement les moeurs des He? breux, dans sa trage? die
lyrique d'Athalie. Le talent dramatique ne saurait se passer ni
dela nature, ni de l'art; l'art ne tient en rien a` l'artifice, c'est une
inspiration parfaitement vraie et spontane? e, qui re? pand sur les
circonstances particulie`res l'harmonie universelle, et sur les
moments passagers la dignite? des souvenirs durables.
Le comte d'Egmont me parai^t la plus belle des trage? dies de
Goethe; il l'a e? crite, sans doute, lorsqu'il composait Werther:
la me^me chaleur d'a^me se retrouve dans ces deux ouvrages. La
pie`ce commence au moment ou` Philippe II, fatigue? de la dou-
ceur du gouvernement de Marguerite de Parme, dans les Pays-Bas, envoie le duc d'Albe pour la remplacer. Le roi est inquiet
de la popularite? qu'ont acquise le prince d'Orange et le comte
d'Egmont; il les soupc? onne de favoriser en secret les partisans
de la re? formation. Tout est re? uni pour donner l'ide? e la plus se? -
duisante du comte d'Egmont; on le voit adore? de ses soldats, a`
la te^te desquels il a remporte? tant de victoires. La princesse es-
pagnole se fie a` sa fide? lite? , bien qu'elle sache par lui-me^me
combien il bla^me la se? ve? rite? dont on use envers les protestants;
t Itt MAt t . '2i?
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? 254 LE COMTE D EGkONT.
les citoyens de la ville de Bruxelles le conside`rent comme le de? -
fenseur de leurs liberte? s aupre`s du tro^ne; enfin le prince d'O-
range, dont la politique profonde et la prudence silencieuse
sont si connues dans l'histoire, rele`ve encore la ge? ne? reuse im-
prudence du comte d'Egmont, en le suppliant vainement de
partir avec lui avant l'arrive? e du duc d'Albe. Le prince d'Orange
est un caracte`re noble et sage; un de? vouement he? roi? que, mais
inconside? re? , peut seul re?
