La
premie`re
de ces e?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
agre; elle exprimait, sans paroles, la douleur, les
combats et la terrible re? solution d'une me`re; ses regards anime? s
servaient sans doute a` faire comprendre ce qui se passait dans
son coeur; mais l'art de varier ses gestes, et de draper en artiste
le manteau de pourpre dont elle e? tait reve^tue, produisait au
moins autant d'effet que sa physionomie me^me; souvent elle
s'arre^tait longtemps dans la me^me attitude, et chaque fois un
peintre n'aurait pu rien inventer de mieux que le tableau qu'elle
improvisait; un tel talent est unique. Cependant je crois qu'on
re? ussirait pluto^t en Allemagne a` la danse pantomime qu'a` celle
qui consiste uniquement, comme en France, dans la gra^ce et
dans l'agilite? du corps. Les Allemands excellent dans la musique instrumentale; les
connaissances qu'elle exige, et la patience qu'il faut pour la bien
exe? cuter, leur sont tout a` fait naturelles; ils ont aussi des compo-
siteurs d'une imagination tre`s-varie? e et tre`s-fe? conde; je ne ferai
qu'une objection a` leur ge? nie, comme musiciens ; ils mettent trop
d'esprit dans leurs ouvrages, ils re? fle? chissent trop a` ce qu'ils
font. Il fautdans les beaux-arts plus d'instinct que de pense? es;
les compositeurs allemands suivent trop exactement le sens des
paroles; c'est un grand me? rite, il est vrai, pour ceux qui ai-
ment plus les paroles que la musique, et d'ailleurs l'on ne saurait nier que le de? saccord entre le sens des unes et l'expression
de l'autre ne fu^t de? sagre? able: mais les Italiens, qui sont les
vrais musiciens de la nature, ne conforment les airs aux paroles que d'une manie`re ge? ne? rale. Dans les romances, dans les
vaudevilles, comme il n'y a pas beaucoup de musique, on peut
soumettre aux paroles le peu qu'il y en a; mais dans les grands
effets de la me? lodie, il faut aller droit a` l'a^me par une sensation
imme? diate.
Ceux qui n'aiment pas beaucoup la peinture en elle-me^me at-
lachent une grande importance aux sujets des tableaux; ils vou-
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? DES REAt. V ARTS EN ALLEMAGNE. 379
draient y retrouver les impressions que produisent les sce`nes dra-
matiques : il en est de me^me en musique quand on la sent fai-
blement, on exige qu'elle se conforme avec fide? lite? aux moindres
nuances des paroles; mais quand elle e? meut jusqu'au fond de
l'a^me, toute attention donne? e a` ce qui n'est pas elle ne serait
qu'une distraction importune; et pourvu qu'il n'y ait pas d'op-
position entre le poe`me et la musique, on s'abandonne a` l'art
qui doit toujours l'emporter sur tous les autres. Car la re^verie
de? licieuse dans laquelle il nous plonge , ane? antit les pense? es que
les mots peuvent exprimer, et la musique re? veillant en nous le
sentiment de l'infini, tout ce qui tend a` particulariser l'objet de
la me? lodie doit en diminuer l'effet.
Gluck, que les Allemands comptent avec raison parmi leurs
hommes de ge? nie, a su merveilleusement adapter le chant aux
paroles, et dans plusieurs de ses ope? ras, il a rivalise? avec le poe`te
par l'expression de sa musique. Lorsque Alceste a re? solu de mou-
rir pour Adme`te, et que ce sacrifice, secre`tement offert aux
dieux, a rendu son e? poux a` la vie, le contraste des airs joyeux
qui ce? le`brent la convalescence du roi, et des ge? missements e? touf- ,
t'e? s de la reine condamne? e a` le quitter, est d'un grand effet tra-
gique. Oreste, dans Iphige? nie en Tauride, dit: Le calme rentre
dans mon a^me, et l'air qu'il chante exprime ce sentiment; mais
l'accompagnement de cet air est sombre et agite? . Les musiciens,
e? tonne? s de ce contraste, voulaient adoucir l'accompagnement
en l'exe? cutant ; Gluck s'en irritait, et leur criait : << N'e? coutez pas
Oreste : il dit qu'il est calme ; il ment. >> Le Poussin, en peignant
les danses des berge`res, place dans le paysage le tombeau d'une
jeune fille, sur lequel est e? crit: Et moi ausxi,je ve? cus en Arca-
die. Il y a de la pense? e dans cette manie`re de concevoir les arts,
comme dans les combinaisons inge? nieuses de Gluck; mais les
arts sont au-dessus de la pense? e : leur langage, ce sont les cou-
leurs, ou les formes, ou les sons. Si l'on pouvait se figurer les
impressions dont notre a^me serait susceptible, avant qu'elle con-
nu^t la parole, on concevrait mieux l'effet de la peinture et de la
musique.
De tous les musiciens peut-e^tre, celui qui a montre? le plus
d'esprit dans le talent de marier la musique avec les paroles, c'est
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 380 DES BEAUX-ARTS EN ALLEMAGNF.
Mozart. Il fait sentir dans ses ope? ras, et surtout dans le Festin
de Pierre, toutes les gradations des sce`nes dramatiques; le chant
est plein de gaiete? , tandis que l'accompagnement bizarre et fort
semble indiquer le sujet fantasque et sombre de la pie`ce. Cette
spirituelle alliance du musicien avec le poete donne aussi un
genre de plaisir, mais un plaisir qui nai^t de la re? flexion, et celui-la` n'appartient pas a` la sphe`re merveilleuse des arts.
J'ai entendu a` Vienne la Cre? ation de Haydn, quatre cents mu-
siciens l'exe? cutaient a` la fois, c'e? tait une digne fe^te en l'honneur
de l'oeuvre qu'elle ce? le? brait; mais Haydn aussi nuisait quelque-
fois a` son talent par son esprit me^me; a` ces paroles du texte:
Dieu dit que la lumie`re soit, et la lumie`re fut, les instruments
jouaient d'abord tre`s-doucement, et se faisaient a` peine enten-
dre, puis tout a` coup ils partaient tous avec un bruit terrible,
qui devait signaler l'e? clat du jour. Aussi un homme d'esprit di-
sait-il qu'a` l'apparition de la lumie`re il fallait se boucher les
oreilles.
Dans plusieurs autres morceaux de la Cre? ation, la me^me re-
cherche d'esprit peut e^tre souvent bla^me? e; la musique se trai^ne
quand les serpents sont cre? e? s; elle redevient brillante avec le chant
des oiseaux; et dans les Saisons aussi de Haydn, ces allusions se
multiplient plus encore. Ce sont des concetti en musique que des
effets ainsi pre? pare? s ; sans doute de certaines combinaisons de
l'harmonie peuvent rappeler des merveilles de la nature, mais ces
analogies ne tiennent en rien a` l'imitation, qui n'est jamais qu'un
jeu factice. Les ressemblances re? elles des beaux-arts entre eux
et des beaux-arts avec la nature, de? pendent des sentiments
du me^me genre qu'ils excitent dans notre a^me par des moyens
divers.
L'imitation et l'expression diffe`rent extre^mement dans les
beaux-arts : l'on est assez ge? ne? ralement d'accord, je crois, pour
exclure la musique imitative; mais il reste toujours deux manie`-
res de voir sur la musique expressive ; les uns veulent trouver en
elle la traduction des paroles, les autres, et ce sont les Italiens,
se contentent d'un rapport ge? ne? ral entre les situations de la pie`ce
et l'intention des airs, et cherchent les plaisirs de l'art unique-
ment en lui-me^me. La musique des Allemands est plus varie? e que
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? DES REAUX-ARTS EN ALLEMAGNE. 381
celle des Italiens, et c'est en cela peut-e^tre qu'elle est moins bonne;
l'esprit est condamne? a` la varie? te? , c'est sa mise`re qui en est la
cause; mais les arts, comme le sentiment, ont une admirable
monotonie, celle dont on voudrait faire un moment e? ternel.
La musique d'e? glise est moins belle en Allemagne qu'en Ita-
lie, parce que les instruments y dominent toujours. Quand on a
entendu a` Rome le Miserere chante? par des voix seulement, toute
musique instrumentale, me^me celle dela chapelle de Dresde,
parai^t terrestre. Les violons et les trompettes font partie de l'or-
chestre de Dresde, pendant le service divin, et la musique y est
plus guerrie`re que religieuse; le contraste des impressions vives
qu'elle fait e? prouver avec le recueillement d'une e? glise n'est pas
agre? able; il ne faut pas animer la vie aupre`s des tombeaux; la musique militaire porte a` sacrifier l'existence, mais non a` s'en
de? tacher.
La musique de la chapelle de Vienne me? rite aussi d'e^tre van-
te? e; celui de tous les arts que les Viennois appre? cient le plus,
c'est la musique; cela fait espe? rer qu'un jour ils deviendront
poe`tes, car, malgre? leurs gou^ts un peu prosai? ques, quiconque
aime la musique est enthousiaste, sans le savoir, de tout ce qu'elle
rappelle, . l'ai entendu a` Vienne le Requiem que Mozart a com-
pose? quelques jours avant de mourir, et qui fut chante? dans l'e? -
glise, le jour de ses obse`ques , il n'est pas assez solennel pour la
situation, et l'on y retrouve encore de l'inge? nieux, comme dans
tout ce qu'a fait Mozart; ne? anmoins, qu'y a-t-il de plus tou-
chant qu'un homme d'un talent supe? rieur, ce? le? brant ainsi ses
propres fune? railles, inspire? tout a` la fois par le sentiment de sa
mort et de son immortalite? ! Les souvenirs de la vie doivent de? -
corer les tombeaux; les armes d'un guerrier y sont suspendues,
et les chefs-d'oeuvre de l'art causent une impression solennelle
dans le temple ou` reposent les restes de l'artiste.
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? 38S DE LA PHILOSOPHIE.
TROISIE`ME PARTIE.
LA PHILOSOPHIE 1I? T LA MORALE.
CHAPITRE PREMIER.
De la Philosophie
On a voulu jeter, depuis quelque temps, une grande de? faveur sur le mot de philosophie. Il en est ainsi de tous ceux dont l'ac-
ception est tre`s-e? tendue; ils sont l'objet des be? ne? dictions ou des
male? dictions de l'espe`ce humaine, suivant qu'on les emploie a` des
e? poques heureuses ou malheureuses; mais, malgre? les injures
etles louanges accidentelles des individus et des nations, la
philosophie, la liberte? , la religion ne changent jamais de valeur.
L'homme a maudit le soleil, l'amour et la vie; il a souffert, il
s'est senti consume? par ces flambeaux de la nature; mais vou-
drait-il pour cela les e? teindre?
Tout ce qui tend a` comprimer nos faculte? s est toujours une
doctrine avilissante; il faut les diriger vers le but sublime de
l'existence, le perfectionnement moral; mais ce n'est point par
le suicide partiel de telle ou telle puissance de notre e^tre que
nous nous rendrons capables de nous e? lever vers ce but; nous
n'avons pas trop de tous nos moyens pour nous en rapprocher;
et si le ciel avait accorde? a` l'homme plus de ge? nie, il en aurait
d'autant plus de vertu.
Parmi les diffe? rentes branches de la philosophie, celle qui a
particulie`rement occupe? les Allemands, c'est la me? taphysique.
Les objets qu'elle embrasse peuvent e^tre divise? s en trois classes.
La premie`re se rapporte au myste`re de la cre? ation , c'est-a`-dire
a l'infini en toutes choses; la seconde a` la formation des ide? es
dans l'esprit humain ; et la troisie`me a` l'exercice de nos faculte? s,
sans remonter a` leur source.
La premie`re de ces e? tudes, celle qui s'attache a` connai^tre le
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? DE LA PHILOSOPHIE. 383
secret de l'univers, a e? te? cultive? e chez les Grecs comme elle l'est
maintenant chez les Allemands. On ne peut nier qu'une telle
recherche, quelque sublime qu'elle soit dans son principe, ne
nous fasse sentira` chaque pas notre impuissance, et le de? cou-
ragement suit les efforts qui ne peuvent atteindre a` un re? sultat.
L'utilite? de la troisie`me classe des observations me? taphysiques,
celle qui se renferme dans la connaissance des actes de notre en-
tendement, ne saurait e^tre conteste? e; mais cette utilite? se borne
au cercle des expe? riences journalie`res. Les me? ditations philoso-
phiques de la seconde classe, celles qui se dirigent sur la nature
de notre a^me, et sur l'origine de nos ide? es, me paraissent de
toutes les plus inte? ressantes. Il n'est pas probable que nous
puissions jamais connai^tre les ve? rite? s e? ternelles qui expliquent
l'existence de ce monde: le de? sir que nous en e? prouvons est au
nombre des nobles pense? es qui nous attirent vers une autre vie;
mais ce n'est pas pour rien que la faculte? de nous examiner nous-
me^mes nous a e? te? donne? e. Sans doute, c'est de? ja` se servir de cette
faculte? que d'observer la marche de notre esprit, tel qu'il est;
toutefois en s'e? levant plus haut, en cherchant a` savoir si cet esprit
agit spontane? ment, ou s'il ne peut penser que provoque? par les
objets exte? rieurs, nous aurons des lumie`res de plus sur le libre
arbitre de l'homme, et par conse? quent sur le vice et la vertu.
Une foule de questions morales et religieuses de? pendent de la
manie`re dont on conside`re l'origine de la formation de nos ide? es.
C'est surtout la diversite? des syste`mes a` cet e? gard qui se? pare les
philosophes allemands des philosophes franc? ais. Il est aise? de
concevoir que si la diffe? rence est a` la source, elle doit se mani-
fester dans tout ce qui en de? rive; il est donc impossible de faire
connai^tre l'Allemagne, sans indiquer la marche dela philoso-
phie , qui depuis Leibnitz jusqu'a` nos jours n'a cesse? d'exercer
un si grand empire sur la re? publique des lettres.
Il y a deux manie`res d'envisager la me? taphysique de l'enten-
dement humain, ou dans sa the? orie, ou dans ses re? sultats. L'exa-
men de la the? orie exige une capacite? qui m'est e? trange`re; mais il
est facile d'observer l'influence qu'exerce telle ou telle opinion
me? taphysique sur le de? veloppement de l'esprit et de l'a^me. L'E? -
vangile nous dit qu'il faut j'iger les, prophe`tes par leurs oeu-
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? 384 1)E LA PHILOSOPHIE.
vres: cette maxime peut aussi nous guider entre les diffe? rentes
philosophies; car tout ce qui tend a` l'immortalite? n'est jamais
qu'un sophisme. Cette vie n'a quelque prix que si elle sert a` l'e? -
ducation religieuse de notre coeur, que si elle nous pre? pare a` une
destine? e plus haute, par le choix libre de la vertu sur la terre.
La me? taphysique, les institutions sociales, les arts, les sciences,
tout doit e^tre appre? cie? d'apre`s le perfectionnement moral de
l'homme; c'est la pierre de touche qui est donne? e a` l'ignorant
comme au savant. Car, si la connaissance des moyens n'appar-
tient qu'aux initie? s, les re? sultats sont a` la porte? e de tout le
monde.
Il faut avoir l'habitude de la me? thode de raisonnement dont on
se sert en ge? ome? trie, pour bien comprendre la me? taphysique.
Dans cette science, comme dans celle du calcul, le moindre
chai^non saute? de? truit toute la liaison qui conduit a` l'e? vidence.
Les raisonnements me? taphysiques sont plus abstraits et non
moins pre? cis que ceux des mathe? matiques, et cependant leur
objet est vague. L'on a besoin de re? unir en me? taphysique les
deux faculte? s les plus oppose? es, l'imagination et le calcul: c'est
un nuage qu'il faut mesurer avec la me^me exactitude qu'un ter-
rain, et nulle e? tude n'exige une aussi grande intensite? d'attention;
ne? anmoins dans les questions les plus hautes il y a toujours un
point de vue a` la porte? e de tout le monde, et c'est celui-la` que je
me propose de saisir et de pre? senter.
Je demandais un jour a` Fichte, l'une des plus fortes te^tes pensantes de l'Allemagne, s'il ne pouvait pas me dire sa morale,
pluto^t que sa me? taphysique? -- L'une de? pend de l'autre, me re? -
pondit-il. -- Et ce mot e? tait plein de profondeur : il renferme
tous les motifs de l'inte? re^t qu'on peut prendre a` la philosophie.
On s'est accoutume? a` la conside? rer comme destructive de
toutes les croyances du coeur; elle serait alors la ve? ritable enne-
mie de l'homme; mais il n'en est point ainsi de la doctrine de
Platon, ni de celle des Allemands; ils regardent le sentiment
comme un fait, comme le fait primitif de l'a^me, et la raison
philosophique comme destine? e seulement a` rechercher la signification de ce fait.
L'e? nigme de l'univers a e? te? l'objet des me? ditations perdues
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? DE LA PHILOSOPHIE. 385
d'un grand nombre d'hommes, dignes aussi d'admiration, puis-
qu'ils se sentaient appele? s a` quelque chose de mieux que ce
monde. Les esprits d'une haute ligne? e errent sans cesse autour
de l'abi^me des pense? es sans fin; mais ne? anmoins il faut s'en de? -
tourner, car l'esprit se fatigue en vain dans ces efforts pour es-
calader le ciel.
L'origine de la pense? e a occupe? tous les ve? ritables philosophes.
Y a-t-il deux natures dans l'homme? S'il n'y en a qu'une, est-
ce l'a^me ou la matie`re? S'il y en a deux, les ide? es viennent-elles
par les sens, ou naissent-elles dans notre a^me, ou bien sont-elles
un me? lange de l'action des objets exte? rieurs sur nous et des facul-
te? s inte? rieures que nous posse? dons?
A ces trois questions, qui ont divise? de tout temps le monde
philosophique, est attache? l'examen qui touche le plus imme? dia-
lement a` la vertu : savoir si la fatalite? ou le libre arbitre de? cide
des re? solutions des hommes.
Chez les anciens, la fatalite? venait de la volonte? des dieux;
chez les modernes, on l'attribue au cours des choses. La fatalite? ,
chez les anciens, faisait ressortir le libre arbitre, car la volonte?
de l'homme luttait contre l'e? ve? nement, et la re? sistance morale
e? tait invincible; le fatalisme des modernes, au contraire, de? truit
ne? cessairement la croyance au libre arbitre ; si les circonstances
nous cre? ent ce que nous sommes, nous ne pouvons pas nous
opposer a` leur ascendant; si les objets exte? rieurs sont la cause
de tout ce qui se passe dans notre a^me, quelle pense? e inde? pen-
dante nous affranchirait de leur influence? La fatalite? qui des-
cendait du ciel remplissait l'a^me d'une sainte terreur, tandis
que celle qui nous lie a` la terre ne fait que nous de? grader. A quoi
bon toutes ces questions, dira-t-on? A quoi bon ce qui n'est pas
cela? pourrait-on re? pondre. Car qu'y a-t-il de plus important
pour l'homme, que de savoir s'il a vraiment la responsabilite? de
ses actions, et dans quel rapport est la puissance de la volonte?
avec l'empire des circonstances sur elle? Que serait la conscience,
si nos habitudes seules l'avaient fait nai^tre, si elle n'e? tait rien
que le produit des couleurs, des sons, des parfums, enfin des
circonstances de tout genre dont nous aurions e? te?
combats et la terrible re? solution d'une me`re; ses regards anime? s
servaient sans doute a` faire comprendre ce qui se passait dans
son coeur; mais l'art de varier ses gestes, et de draper en artiste
le manteau de pourpre dont elle e? tait reve^tue, produisait au
moins autant d'effet que sa physionomie me^me; souvent elle
s'arre^tait longtemps dans la me^me attitude, et chaque fois un
peintre n'aurait pu rien inventer de mieux que le tableau qu'elle
improvisait; un tel talent est unique. Cependant je crois qu'on
re? ussirait pluto^t en Allemagne a` la danse pantomime qu'a` celle
qui consiste uniquement, comme en France, dans la gra^ce et
dans l'agilite? du corps. Les Allemands excellent dans la musique instrumentale; les
connaissances qu'elle exige, et la patience qu'il faut pour la bien
exe? cuter, leur sont tout a` fait naturelles; ils ont aussi des compo-
siteurs d'une imagination tre`s-varie? e et tre`s-fe? conde; je ne ferai
qu'une objection a` leur ge? nie, comme musiciens ; ils mettent trop
d'esprit dans leurs ouvrages, ils re? fle? chissent trop a` ce qu'ils
font. Il fautdans les beaux-arts plus d'instinct que de pense? es;
les compositeurs allemands suivent trop exactement le sens des
paroles; c'est un grand me? rite, il est vrai, pour ceux qui ai-
ment plus les paroles que la musique, et d'ailleurs l'on ne saurait nier que le de? saccord entre le sens des unes et l'expression
de l'autre ne fu^t de? sagre? able: mais les Italiens, qui sont les
vrais musiciens de la nature, ne conforment les airs aux paroles que d'une manie`re ge? ne? rale. Dans les romances, dans les
vaudevilles, comme il n'y a pas beaucoup de musique, on peut
soumettre aux paroles le peu qu'il y en a; mais dans les grands
effets de la me? lodie, il faut aller droit a` l'a^me par une sensation
imme? diate.
Ceux qui n'aiment pas beaucoup la peinture en elle-me^me at-
lachent une grande importance aux sujets des tableaux; ils vou-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES REAt. V ARTS EN ALLEMAGNE. 379
draient y retrouver les impressions que produisent les sce`nes dra-
matiques : il en est de me^me en musique quand on la sent fai-
blement, on exige qu'elle se conforme avec fide? lite? aux moindres
nuances des paroles; mais quand elle e? meut jusqu'au fond de
l'a^me, toute attention donne? e a` ce qui n'est pas elle ne serait
qu'une distraction importune; et pourvu qu'il n'y ait pas d'op-
position entre le poe`me et la musique, on s'abandonne a` l'art
qui doit toujours l'emporter sur tous les autres. Car la re^verie
de? licieuse dans laquelle il nous plonge , ane? antit les pense? es que
les mots peuvent exprimer, et la musique re? veillant en nous le
sentiment de l'infini, tout ce qui tend a` particulariser l'objet de
la me? lodie doit en diminuer l'effet.
Gluck, que les Allemands comptent avec raison parmi leurs
hommes de ge? nie, a su merveilleusement adapter le chant aux
paroles, et dans plusieurs de ses ope? ras, il a rivalise? avec le poe`te
par l'expression de sa musique. Lorsque Alceste a re? solu de mou-
rir pour Adme`te, et que ce sacrifice, secre`tement offert aux
dieux, a rendu son e? poux a` la vie, le contraste des airs joyeux
qui ce? le`brent la convalescence du roi, et des ge? missements e? touf- ,
t'e? s de la reine condamne? e a` le quitter, est d'un grand effet tra-
gique. Oreste, dans Iphige? nie en Tauride, dit: Le calme rentre
dans mon a^me, et l'air qu'il chante exprime ce sentiment; mais
l'accompagnement de cet air est sombre et agite? . Les musiciens,
e? tonne? s de ce contraste, voulaient adoucir l'accompagnement
en l'exe? cutant ; Gluck s'en irritait, et leur criait : << N'e? coutez pas
Oreste : il dit qu'il est calme ; il ment. >> Le Poussin, en peignant
les danses des berge`res, place dans le paysage le tombeau d'une
jeune fille, sur lequel est e? crit: Et moi ausxi,je ve? cus en Arca-
die. Il y a de la pense? e dans cette manie`re de concevoir les arts,
comme dans les combinaisons inge? nieuses de Gluck; mais les
arts sont au-dessus de la pense? e : leur langage, ce sont les cou-
leurs, ou les formes, ou les sons. Si l'on pouvait se figurer les
impressions dont notre a^me serait susceptible, avant qu'elle con-
nu^t la parole, on concevrait mieux l'effet de la peinture et de la
musique.
De tous les musiciens peut-e^tre, celui qui a montre? le plus
d'esprit dans le talent de marier la musique avec les paroles, c'est
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 380 DES BEAUX-ARTS EN ALLEMAGNF.
Mozart. Il fait sentir dans ses ope? ras, et surtout dans le Festin
de Pierre, toutes les gradations des sce`nes dramatiques; le chant
est plein de gaiete? , tandis que l'accompagnement bizarre et fort
semble indiquer le sujet fantasque et sombre de la pie`ce. Cette
spirituelle alliance du musicien avec le poete donne aussi un
genre de plaisir, mais un plaisir qui nai^t de la re? flexion, et celui-la` n'appartient pas a` la sphe`re merveilleuse des arts.
J'ai entendu a` Vienne la Cre? ation de Haydn, quatre cents mu-
siciens l'exe? cutaient a` la fois, c'e? tait une digne fe^te en l'honneur
de l'oeuvre qu'elle ce? le? brait; mais Haydn aussi nuisait quelque-
fois a` son talent par son esprit me^me; a` ces paroles du texte:
Dieu dit que la lumie`re soit, et la lumie`re fut, les instruments
jouaient d'abord tre`s-doucement, et se faisaient a` peine enten-
dre, puis tout a` coup ils partaient tous avec un bruit terrible,
qui devait signaler l'e? clat du jour. Aussi un homme d'esprit di-
sait-il qu'a` l'apparition de la lumie`re il fallait se boucher les
oreilles.
Dans plusieurs autres morceaux de la Cre? ation, la me^me re-
cherche d'esprit peut e^tre souvent bla^me? e; la musique se trai^ne
quand les serpents sont cre? e? s; elle redevient brillante avec le chant
des oiseaux; et dans les Saisons aussi de Haydn, ces allusions se
multiplient plus encore. Ce sont des concetti en musique que des
effets ainsi pre? pare? s ; sans doute de certaines combinaisons de
l'harmonie peuvent rappeler des merveilles de la nature, mais ces
analogies ne tiennent en rien a` l'imitation, qui n'est jamais qu'un
jeu factice. Les ressemblances re? elles des beaux-arts entre eux
et des beaux-arts avec la nature, de? pendent des sentiments
du me^me genre qu'ils excitent dans notre a^me par des moyens
divers.
L'imitation et l'expression diffe`rent extre^mement dans les
beaux-arts : l'on est assez ge? ne? ralement d'accord, je crois, pour
exclure la musique imitative; mais il reste toujours deux manie`-
res de voir sur la musique expressive ; les uns veulent trouver en
elle la traduction des paroles, les autres, et ce sont les Italiens,
se contentent d'un rapport ge? ne? ral entre les situations de la pie`ce
et l'intention des airs, et cherchent les plaisirs de l'art unique-
ment en lui-me^me. La musique des Allemands est plus varie? e que
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? DES REAUX-ARTS EN ALLEMAGNE. 381
celle des Italiens, et c'est en cela peut-e^tre qu'elle est moins bonne;
l'esprit est condamne? a` la varie? te? , c'est sa mise`re qui en est la
cause; mais les arts, comme le sentiment, ont une admirable
monotonie, celle dont on voudrait faire un moment e? ternel.
La musique d'e? glise est moins belle en Allemagne qu'en Ita-
lie, parce que les instruments y dominent toujours. Quand on a
entendu a` Rome le Miserere chante? par des voix seulement, toute
musique instrumentale, me^me celle dela chapelle de Dresde,
parai^t terrestre. Les violons et les trompettes font partie de l'or-
chestre de Dresde, pendant le service divin, et la musique y est
plus guerrie`re que religieuse; le contraste des impressions vives
qu'elle fait e? prouver avec le recueillement d'une e? glise n'est pas
agre? able; il ne faut pas animer la vie aupre`s des tombeaux; la musique militaire porte a` sacrifier l'existence, mais non a` s'en
de? tacher.
La musique de la chapelle de Vienne me? rite aussi d'e^tre van-
te? e; celui de tous les arts que les Viennois appre? cient le plus,
c'est la musique; cela fait espe? rer qu'un jour ils deviendront
poe`tes, car, malgre? leurs gou^ts un peu prosai? ques, quiconque
aime la musique est enthousiaste, sans le savoir, de tout ce qu'elle
rappelle, . l'ai entendu a` Vienne le Requiem que Mozart a com-
pose? quelques jours avant de mourir, et qui fut chante? dans l'e? -
glise, le jour de ses obse`ques , il n'est pas assez solennel pour la
situation, et l'on y retrouve encore de l'inge? nieux, comme dans
tout ce qu'a fait Mozart; ne? anmoins, qu'y a-t-il de plus tou-
chant qu'un homme d'un talent supe? rieur, ce? le? brant ainsi ses
propres fune? railles, inspire? tout a` la fois par le sentiment de sa
mort et de son immortalite? ! Les souvenirs de la vie doivent de? -
corer les tombeaux; les armes d'un guerrier y sont suspendues,
et les chefs-d'oeuvre de l'art causent une impression solennelle
dans le temple ou` reposent les restes de l'artiste.
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? 38S DE LA PHILOSOPHIE.
TROISIE`ME PARTIE.
LA PHILOSOPHIE 1I? T LA MORALE.
CHAPITRE PREMIER.
De la Philosophie
On a voulu jeter, depuis quelque temps, une grande de? faveur sur le mot de philosophie. Il en est ainsi de tous ceux dont l'ac-
ception est tre`s-e? tendue; ils sont l'objet des be? ne? dictions ou des
male? dictions de l'espe`ce humaine, suivant qu'on les emploie a` des
e? poques heureuses ou malheureuses; mais, malgre? les injures
etles louanges accidentelles des individus et des nations, la
philosophie, la liberte? , la religion ne changent jamais de valeur.
L'homme a maudit le soleil, l'amour et la vie; il a souffert, il
s'est senti consume? par ces flambeaux de la nature; mais vou-
drait-il pour cela les e? teindre?
Tout ce qui tend a` comprimer nos faculte? s est toujours une
doctrine avilissante; il faut les diriger vers le but sublime de
l'existence, le perfectionnement moral; mais ce n'est point par
le suicide partiel de telle ou telle puissance de notre e^tre que
nous nous rendrons capables de nous e? lever vers ce but; nous
n'avons pas trop de tous nos moyens pour nous en rapprocher;
et si le ciel avait accorde? a` l'homme plus de ge? nie, il en aurait
d'autant plus de vertu.
Parmi les diffe? rentes branches de la philosophie, celle qui a
particulie`rement occupe? les Allemands, c'est la me? taphysique.
Les objets qu'elle embrasse peuvent e^tre divise? s en trois classes.
La premie`re se rapporte au myste`re de la cre? ation , c'est-a`-dire
a l'infini en toutes choses; la seconde a` la formation des ide? es
dans l'esprit humain ; et la troisie`me a` l'exercice de nos faculte? s,
sans remonter a` leur source.
La premie`re de ces e? tudes, celle qui s'attache a` connai^tre le
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? DE LA PHILOSOPHIE. 383
secret de l'univers, a e? te? cultive? e chez les Grecs comme elle l'est
maintenant chez les Allemands. On ne peut nier qu'une telle
recherche, quelque sublime qu'elle soit dans son principe, ne
nous fasse sentira` chaque pas notre impuissance, et le de? cou-
ragement suit les efforts qui ne peuvent atteindre a` un re? sultat.
L'utilite? de la troisie`me classe des observations me? taphysiques,
celle qui se renferme dans la connaissance des actes de notre en-
tendement, ne saurait e^tre conteste? e; mais cette utilite? se borne
au cercle des expe? riences journalie`res. Les me? ditations philoso-
phiques de la seconde classe, celles qui se dirigent sur la nature
de notre a^me, et sur l'origine de nos ide? es, me paraissent de
toutes les plus inte? ressantes. Il n'est pas probable que nous
puissions jamais connai^tre les ve? rite? s e? ternelles qui expliquent
l'existence de ce monde: le de? sir que nous en e? prouvons est au
nombre des nobles pense? es qui nous attirent vers une autre vie;
mais ce n'est pas pour rien que la faculte? de nous examiner nous-
me^mes nous a e? te? donne? e. Sans doute, c'est de? ja` se servir de cette
faculte? que d'observer la marche de notre esprit, tel qu'il est;
toutefois en s'e? levant plus haut, en cherchant a` savoir si cet esprit
agit spontane? ment, ou s'il ne peut penser que provoque? par les
objets exte? rieurs, nous aurons des lumie`res de plus sur le libre
arbitre de l'homme, et par conse? quent sur le vice et la vertu.
Une foule de questions morales et religieuses de? pendent de la
manie`re dont on conside`re l'origine de la formation de nos ide? es.
C'est surtout la diversite? des syste`mes a` cet e? gard qui se? pare les
philosophes allemands des philosophes franc? ais. Il est aise? de
concevoir que si la diffe? rence est a` la source, elle doit se mani-
fester dans tout ce qui en de? rive; il est donc impossible de faire
connai^tre l'Allemagne, sans indiquer la marche dela philoso-
phie , qui depuis Leibnitz jusqu'a` nos jours n'a cesse? d'exercer
un si grand empire sur la re? publique des lettres.
Il y a deux manie`res d'envisager la me? taphysique de l'enten-
dement humain, ou dans sa the? orie, ou dans ses re? sultats. L'exa-
men de la the? orie exige une capacite? qui m'est e? trange`re; mais il
est facile d'observer l'influence qu'exerce telle ou telle opinion
me? taphysique sur le de? veloppement de l'esprit et de l'a^me. L'E? -
vangile nous dit qu'il faut j'iger les, prophe`tes par leurs oeu-
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? 384 1)E LA PHILOSOPHIE.
vres: cette maxime peut aussi nous guider entre les diffe? rentes
philosophies; car tout ce qui tend a` l'immortalite? n'est jamais
qu'un sophisme. Cette vie n'a quelque prix que si elle sert a` l'e? -
ducation religieuse de notre coeur, que si elle nous pre? pare a` une
destine? e plus haute, par le choix libre de la vertu sur la terre.
La me? taphysique, les institutions sociales, les arts, les sciences,
tout doit e^tre appre? cie? d'apre`s le perfectionnement moral de
l'homme; c'est la pierre de touche qui est donne? e a` l'ignorant
comme au savant. Car, si la connaissance des moyens n'appar-
tient qu'aux initie? s, les re? sultats sont a` la porte? e de tout le
monde.
Il faut avoir l'habitude de la me? thode de raisonnement dont on
se sert en ge? ome? trie, pour bien comprendre la me? taphysique.
Dans cette science, comme dans celle du calcul, le moindre
chai^non saute? de? truit toute la liaison qui conduit a` l'e? vidence.
Les raisonnements me? taphysiques sont plus abstraits et non
moins pre? cis que ceux des mathe? matiques, et cependant leur
objet est vague. L'on a besoin de re? unir en me? taphysique les
deux faculte? s les plus oppose? es, l'imagination et le calcul: c'est
un nuage qu'il faut mesurer avec la me^me exactitude qu'un ter-
rain, et nulle e? tude n'exige une aussi grande intensite? d'attention;
ne? anmoins dans les questions les plus hautes il y a toujours un
point de vue a` la porte? e de tout le monde, et c'est celui-la` que je
me propose de saisir et de pre? senter.
Je demandais un jour a` Fichte, l'une des plus fortes te^tes pensantes de l'Allemagne, s'il ne pouvait pas me dire sa morale,
pluto^t que sa me? taphysique? -- L'une de? pend de l'autre, me re? -
pondit-il. -- Et ce mot e? tait plein de profondeur : il renferme
tous les motifs de l'inte? re^t qu'on peut prendre a` la philosophie.
On s'est accoutume? a` la conside? rer comme destructive de
toutes les croyances du coeur; elle serait alors la ve? ritable enne-
mie de l'homme; mais il n'en est point ainsi de la doctrine de
Platon, ni de celle des Allemands; ils regardent le sentiment
comme un fait, comme le fait primitif de l'a^me, et la raison
philosophique comme destine? e seulement a` rechercher la signification de ce fait.
L'e? nigme de l'univers a e? te? l'objet des me? ditations perdues
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? DE LA PHILOSOPHIE. 385
d'un grand nombre d'hommes, dignes aussi d'admiration, puis-
qu'ils se sentaient appele? s a` quelque chose de mieux que ce
monde. Les esprits d'une haute ligne? e errent sans cesse autour
de l'abi^me des pense? es sans fin; mais ne? anmoins il faut s'en de? -
tourner, car l'esprit se fatigue en vain dans ces efforts pour es-
calader le ciel.
L'origine de la pense? e a occupe? tous les ve? ritables philosophes.
Y a-t-il deux natures dans l'homme? S'il n'y en a qu'une, est-
ce l'a^me ou la matie`re? S'il y en a deux, les ide? es viennent-elles
par les sens, ou naissent-elles dans notre a^me, ou bien sont-elles
un me? lange de l'action des objets exte? rieurs sur nous et des facul-
te? s inte? rieures que nous posse? dons?
A ces trois questions, qui ont divise? de tout temps le monde
philosophique, est attache? l'examen qui touche le plus imme? dia-
lement a` la vertu : savoir si la fatalite? ou le libre arbitre de? cide
des re? solutions des hommes.
Chez les anciens, la fatalite? venait de la volonte? des dieux;
chez les modernes, on l'attribue au cours des choses. La fatalite? ,
chez les anciens, faisait ressortir le libre arbitre, car la volonte?
de l'homme luttait contre l'e? ve? nement, et la re? sistance morale
e? tait invincible; le fatalisme des modernes, au contraire, de? truit
ne? cessairement la croyance au libre arbitre ; si les circonstances
nous cre? ent ce que nous sommes, nous ne pouvons pas nous
opposer a` leur ascendant; si les objets exte? rieurs sont la cause
de tout ce qui se passe dans notre a^me, quelle pense? e inde? pen-
dante nous affranchirait de leur influence? La fatalite? qui des-
cendait du ciel remplissait l'a^me d'une sainte terreur, tandis
que celle qui nous lie a` la terre ne fait que nous de? grader. A quoi
bon toutes ces questions, dira-t-on? A quoi bon ce qui n'est pas
cela? pourrait-on re? pondre. Car qu'y a-t-il de plus important
pour l'homme, que de savoir s'il a vraiment la responsabilite? de
ses actions, et dans quel rapport est la puissance de la volonte?
avec l'empire des circonstances sur elle? Que serait la conscience,
si nos habitudes seules l'avaient fait nai^tre, si elle n'e? tait rien
que le produit des couleurs, des sons, des parfums, enfin des
circonstances de tout genre dont nous aurions e? te?
