sie s'est plu a`
rapprocher
ces ima-
ges, et le sort aussi est un terrible poe`te qui ne les a que trop
souvent re?
ges, et le sort aussi est un terrible poe`te qui ne les a que trop
souvent re?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
s d'une nature tout a` la fois
agreste et soigne? e. Une fore^t majestueuse se prolonge jusqu'aux
bords du Danube: l'on voit de loin des troupeaux de cerfs tra-
verser la prairie; ils reviennent chaque matin; ils s'enfuient cha-
que soir, quand l'affluence des promeneurs trouble leur solitude.
Le spectacle qui n'a lieu a` Paris que trois jours de l'anne? e, sur
la route de Long-Champ, se renouvelle constamment a` Vienne,
dans la belle saison. C'est une coutume italienne que cette pro-
menade de tous les jours a` la me^me heure. Une telle re? gularite?
serait impossible dans un pays ou` les plaisirs sont aussi varie? s
qu'a` Paris; mais les Viennois, quoi qu'il arrive, pourraient dif-
licilement s'en de? shabituer. Il faut convenir que c'est un coup
d'oeil charmant que toute cette nation citadine re? unie sous l'om-
brage d'arbres magnifiques, et sur les gazons dont le Danube
entretient la verdure. La bonne compagnie en voiture, le peuple
a` pied, se rassemblent la` chaque soir. Dans ce sage pays, l'on
traite les plaisirs comme les devoirs, et l'on a de me^me l'avan-
tage de ne s'en lasser jamais, quelque uniformes qu'ils soient.
On porte dans la dissipation autant d'exactitude que dans les
affaires, et l'on perd son temps aussi me? thodiquement qu'on
l'emploie.
Si vous entrez dans une des redoutes ou` il y a des bals pour
les bourgeois, les jours de fe^tes, vous verrez des hommes et des
femmes exe? cuter gravement, l'un vis-a`-vis de l'autre, les pas d'un
menuet dont ils se sont impose? l'amusement; la foule se? pare
souvent le couple dansant, et cependant il continue, comme s'il
dansait pour l'acquit de sa conscience; chacun des deux va tout
seul a` droite et a` gauche, en avant, en arrie`re, sans s'embarras-
ser de l'autre, qui figure aussi scrupuleusement de son co^te? : de
temps en temps seulement ils poussent un petit cri de joie, et
rentrent tout de suite apre`s dans le se? rieux de leur plaisir. C'est surtout au Prater qu'on est frappe? de l'aisance et de la prospe? rite? du peuple de Vienne. Cette ville a la re? putation de
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? 42 VIENNE.
consommer en nourriture plus que toute autre ville d'une popu-
lation e? gale, et ce genre de supe? riorite? un peu vulgaire ne lui est
pas conteste? . On voit des familles entie`res de bourgeois et d'ar-
iisaas, qui partent a` cinq heures du soir pour aller au Prater
faire un gou^ter champe^tre aussisubstantiel que le di^ner d'un au-
tre pays, et l'argent qu'ils peuvent de? penser la` prouve assez com-
bien ils sont laborieux et doucement gouverne? s. Le soir, des
milliers d'hommes reviennent, tenant parla main leurs femmes
et leurs enfants; aucun de? sordre, aucune querelle ne trouble
cette multitude dont on entend a` peine la voix, tant sa joie est si-
lencieuse! Ce silence cependant ne vient d'aucune disposition
triste de l'a^me, c'est pluto^t un certain bien-e^tre physique, qui,
dans le midi de l'Allemagne, fait re^ver aux sensations, comme
dans le nord aux ide? es. L'existence ve? ge? tative du midi de l'Alle-
magne a quelques rapports avec l'existence contemplative du
Nord : il y a du repos, de la paresse et de la re? flexion dans l'une
et l'autre.
Si vous supposiez une aussi nombreusere? union de Parisiens
dans un me^me lieu, l'air e? tincellerait de bons mots , de plaisan-
teries, de disputes, et jamais un Franc? ais n'aurait un plaisir ou`
l'amour-propre ne pu^t se faire place de quelque manie`re.
Les grands seigneurs se prome`nent avec des chevaux et des
voitures tre`s-magnifiques et de fort bon gou^t ; tout leur amuse-
ment consiste a` reconnai^tre dans une alle? e du Prater ceux qu'ils
viennent de quitter dans un salon; mais la diversite? des objets
empe^che de suivre aucune pense? e, et la plupart des hommes se
complaisent a` dissiper ainsi les re? flexions qui les importunent.
Ces grands seigneurs de Vienne, les plus illustres et les plus ri-
ches de l'Europe, n'abusent d'aucun de leurs avantages; ils lais-
sent de mise? rables fiacres arre^ter leurs brillants e? quipages. L'em-
pereur et ses fre`res se rangent tranquillement aussi a` la file, et
veulent e^tre conside? re? s, dans leurs amusements, comme de sim-
ples particuliers; ils n'usent de leurs droits que quand ils rem-
plissent leurs devoirs. L'on aperc? oit souvent au milieu de toute
cette foule des costumes orientaux, hongrois et polonais, qui
re? veillent l'imagination , et de distance en distance une musique
harmonieuse donne a` ce rassemblement l'air d'une fe^te paisible,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? VIENNE. 4g
ou` chacun jouit de soi-me^me sans s'inquie? ter de son voisin. Jamais on ne rencontre un mendiant au milieu de cette re? u-
nion , on n'en voit point a` Vienne ; les e? tablissements de charite?
sont administre? s avec beaucoup d'ordre et de libe? ralite? ; la bien-
faisance particulie`re et publique est dirige? e avec un grand esprit
de justice, etle peuple lui-me^me, ayant en ge? ne? ral plus d'in-
dustrie et d'intelligence commerciale que dans le reste de l'Al-
lemagne, conduit bien sa propre destine? e. Il y a tre`s-peu d'exem-
ples en Autriche de crimes qui me? ritent la mort; tout enfin dans ce pays porte l'empreinte d'un gouvernement paternel, sage et
religieux. Les bases de l'e? difice social sont bonnes et respecta-
bles, mais il y manque << un fai^te et des colonnes, pour que IH
<< gloire et le ge? nie puissent y avoir un temple1. >>
J'e? tais a` Vienne, en 1808, lorsque l'empereur Franc? ois II
e? pousa sa cousine germaine, la fille de l'archiduc de Milan et
de l'archiduchesse Be? atrix, la dernie`re princesse de cette maison
d'Est que l'Arioste et le Tasse ont tant ce? le? bre? e. L'archiduc
Ferdinand et sa noble e? pouse se sont vus tous les deux prive? s de leurs E? tats par les vicissitudes de la guerre, et la jeune im-
pe? ratrice, e? leve? e << dans ces temps cruels2, >> re? unissait sur sa
te^te le double inte? re^t de la grandeur et de l'infortune. C'e? tait une
union que l'inclination avait de? termine? e, et dans laquelle au-
cune convenance politique n'e? tait entre? e, bien que l'on ne pu^t
en contracter une plus honorable. On e? prouvait a` la fois des sen-
timents de sympathie et de respect pour les affections de famille
qui rapprochaient ce mariage de nous, et pour le rang illustre
qui l'en e? loignait. Un jeune prince, archeve^que de VVaizen,
donnait la be? ne? diction nuptiale a` sa soeur et a` son souverain;
la me`re de l'impe? ratrice, dont les vertus et les lumie`res exercent
le plus puissant empire sur ses enfants , devint en un instant
sujette de sa fille, et marchait derrie`re elle avec un me? lange de de? fe? rence et de dignite? , qui rappelait tout a` la fois les droits de
la couronne et ceux de la nature. Les fre`res de l'empereur et de
l'impe? ratrice, tous employe? s dans l'arme? e ou dans l'administra-
tion, tous, dans des degre? s diffe? rents, e? galement voue? s au bieu
1 Supprime? par la censure.
: Supprime? par la censure.
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? 44 VIENNE.
public, l'accompagnaient a` l'autel, et l'e? glise e? tait remplie par
les grands de l'E? tat, les femmes, les filles et les me`res des plus
anciens gentilshommes de la noblesse teutonique. On n'avait
rien fait de nouveau pour la fe^te; il suffisait a` sa pompe de mon-
trer ce que chacun posse? dait. Les parures me^mes des femmes
e? taient he? re? ditaires, et les diamants substitue? s dans chaque
famille consacraient les souvenirs du passe? a` l'ornement de la
jeunesse : les temps anciens e? taient pre? sents a` tout, et l'on
jouissait d'une magnificence que les sie`cles avaient pre? pare? e,
mais qui ne cou^tait point de nouveaux sacrifices au peuple.
Les amusements qui succe? de`rent a` la conse? cration du ma-
riage avaient presque autant de dignite? que la ce? re? monie elle-me^me. Ce n'est point ainsi que les particuliers doivent donner
des fe^tes, mais il convient peut-e^tre de retrouver dans tout ce
que font les rois l'empreinte se? ve`re de leur auguste destine? e. Non
loin de cette e? glise, autour de laquelle les canons et les fanfares
annonc? aient l'alliance renouvele? e de la maison d'Est avec la
maison d'Habsbourg, l'on voit l'asile qui renferme depuis deux
sie`clesles tombeaux des empereurs d'Autriche etde leur famille.
C'est la`, dans le caveau des capucins, que Marie-The? re`se, pen-
dant trente anne? es , entendait la messe en pre? sence me^me du
se? pulcre qu'elle avait fait pre? parer pour elle, a` co^te? de son e? poux. Cette illustre Marie-The? re`se avait tant souffert dans les
premiers jours de sa jeunesse, que le pieux sentiment de l'ins-
tabilite? de la vie ne la quitta jamais, au milieu me^me de ses
grandeurs. Il y a beaucoup d'exemples d'une de? votion se? rieuse
et constante parmi les souverains de la terre; comme ils n'obe? is-
sent qu'a` la mort, son irre? sistible pouvoir les frappe davantage.
Les difficulte? s de la vie se placent entre nous et la tombe; tout
est aplani pour les rois jusqu'au terme, et cela me^me le rend
plus visible a` leurs yeux.
Les fe^tes conduisent naturellement u` re? llochir sur les tom-
beaux; de tout temps la poe?
sie s'est plu a` rapprocher ces ima-
ges, et le sort aussi est un terrible poe`te qui ne les a que trop
souvent re? unies.
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? r>E LA SOCIETE. 45
CHAl'ITRE VIII.
De la Socie? te? .
Les riches et les nobles n'habitent presque jamais les fau-
bourgs de Vienne, et l'on est rapproche? les uns des autres comme
dans une petite ville, quoique l'on y ait d'ailleurs tous les avan-
tages d'une grande capitale. Ces faciles communications, au
milieu des jouissances de la fortune et du luxe, rendent la vie
habituelle tre`s-commode, et le cadre de la socie? te? , si l'on peut
s'exprimer ainsi, c'est-a`-dire les habitudes, les usages et les
manie`res, sont extre^mement agre? ables. On parle dans l'e? tran-
ger de l'e? tiquette se? ve`re et de l'orgueil aristocratique des grands
seigneurs autrichiens; cette accusation n'est pas fonde? e; il y a
de la simplicite? , de la politesse, et surtout de la loyaute? dans
la bonne compagnie de Vienne; et le me^me esprit de justice et
de re? gularite? qui dirige les affaires importantes se retrouve en-
core dans les plus petites circonstances. On y est fide`le a` des in-
vitations de di^ner et de souper, comme on le serait a` des enga-
gements essentiels; et les faux airs qui font consister l'e? le? gance
dans le me? pris des e? gards ne s'y sont point introduits. Cepen-
dant l'un des principaux de? savantages de la socie? te? de Vienne,
c'est que les nobles et les hommes de lettres ne se me^lent point
ensemble. L'orgueil des nobles n'en est pas la cause; mais comme
on ne compte pas beaucoup d'e? crivains distingue? s a` Vienne, et
qu'on y lit assez peu, chacun vit dans sa coterie, parce qu'il n'y a
que des coteries au milieu d'un pays ou` les ide? es ge? ne? rales et les
inte? re^ts publics ont si peu d'occasion de se de? velopper. Il re? sulte
de cette se? paration des classes que les gens de lettres manquent
de gra^ce, et que les gens du monde acquie`rent rarement de l'ins-
truction.
L'exactitude de la politesse, qui est a` quelques e? gards une vertu,
puisqu'elle exige souvent des sacrifices, a introduit dans Vienne
les plus ennuyeux usages possibles. Toute la bonne compagnie se transporte en masse d'un salon a` l'autre, trois ou quatre fois
par semaine. On perd un certain temps pour la toilette ne? ces-
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? 46 DE LA SOCIE? TE? .
saire dans ces grandes re? unions; on en perd dans la rue, on en
perd sur les escaliers, en attendant que le tour de sa voiture
arrive, on en perd en restant trois heures a` table; et il est im-
possible, dans ces assemble? es nombreuses, de rien entendre qui
sorte du cercle des phrases convenues. C'est une habile inven-
tion de la me? diocrite? pour annuler les faculte? s de l'esprit, que
cette exhibition journalie`re de tous les individus les uns aux au-
tres. S'il e? tait reconnu qu'il faut conside? rer la pense? e comme
une maladie contre laquelle un re? gime re? gulier est ne? cessaire,
on ne saurait rien imaginer de mieux qu'un genre de distraction
a` la fois e? tourdissant et insipide: une telle distraction ne per-
met de suivre aucune ide? e, et transforme le langage en un gazouil-
lement qui peut e^tre appris aux hommes comme a` des oiseaux.
J'ai vu repre? senter a` Vienne une pie`ce dans laquelle Arlequin arrivait reve^tu d'une grande robe et d'une magnifique perruque,
et tout a` coup il s'escamotait lui-me^me, laissait debout sa robe
et sa perruque pour figurer a` sa place, et s'en allait vivre ailleurs;
on serait tente? de proposer ce tourde passe-passe a` ceux qui
fre? quentent les grandes assemble? es. On n'y va point pour ren-
contrer l'objet auquel on de? sirerait de plaire; la se? ve? rite? des
moeurs et la tranquillite? de l'a^me concentrent, en Autriche, les
affections au sein de sa famille. On n'y va point par ambition,
car tout se passe avec tant de re? gularite? dans ce pays, que l'in-
trigue y a peu de prise, et ce n'est pas d'ailleurs au milieu de la
socie? te? qu'elle pourrait trouvera` s'exercer. Ces visites et ces cer-
cles sont imagine? s pour que tous fassent la me^me chose a` la
me^me heure; on pre? fe`re ainsi l'ennui qu'on partage avec ses
semblables, a` l'amusement qu'on serait force? de se cre? er chez
soi.
Les grandes assemble? es, les grands di^ne? s ont aussi lieu dans
d'autres villes; mais comme on y rencontre d'ordinaire tous les
individus remarquables du pays ou` l'on est, il y a plus de moyens
d'e? chapper a` ces formules de conversation, qui, dans de sem-
blables re? unions, succe`dent aux re? ve? rences, et les continuent en paroles. La socie? te? ne sert point en Autriche, comme en
France, a` de? velopper l'esprit ni a` l'animer; elle ne laisse dans
la te^te que du bruit et du vide : aussi les hommes les plus spiri-
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? DE I? /IM1TATIO>> DE I/ESPHIT FRANC? AIS. 47
du pays ont-ils soin, pour la plupart, de s'en e? loigner; les
femmes seules y paraissent, et l'on est e? tonne? de l'esprit qu'elles
ont, malgre? le genre de vie qu'elles me`nent. Les e? trangers ap-
pre? cient l'agre? ment de leur entretien; mais ce qu'on rencontre
le moins dans les salons de la capitale de l'Allemagne, ce sont
des Allemands.
L'on peut se plaire dans la socie? te? de Vienne, par la su^rete? ,
l'e? le? gance et la noblesse des manie`res que les femmes y font re? -
gner; mais il y manque quelque chose a`dire, quelque chose
a` faire, un but, un inte? re^t. On voudrait que le jour fu^t diffe? rent
de la veille, sans que pourtant cette varie? te? brisa^t la chai^ne des
affections et des habitudes. La monotonie , dans la retraite,
tranquillise l'a^me ; la monotonie, dans le grand monde, fatigue
l'esprit.
CHAPITRE IX.
Des e? trangers qui veulent imiter l'esprit franc? ais.
La destruction de l'esprit fe? odal, et de l'ancienne vie de cha^-
teau qui en e? tait la conse? quence, a introduit beaucoup de loisir
parmi les nobles; ce loisir leur a rendu tre`s-ne? cessaire l'amuse-
ment de la socie? te? ; et comme les Franc? ais sont passe? s mai^tres
dans l'art de causer, ils se sont rendus souverains de l'opinion europe? enne, ou pluto^t de la mode, qui contrefait si bien l'opi-
uion. Depuis le re`gne de Louis XIV, toute la bonne compagnie
du continent, l'Espagne et l'Italie excepte? es, a mis son amour-propre dans l'imitation des Franc? ais. En Angleterre, il existe un
objet constant de conversation, les inte? re^ts politiques, qui sont
les inte? re^ts de chacun et de tous; dans le Midi il n'y a point de
socie? te? : le soleil, l'amour et les beaux-arts remplissent la vie.
A Paris, on s'entretient assez ge? ne? ralement de litte? rature; et
les spectacles, qui se renouvellent sans cesse, donnent lieu a` des observations inge? nieuses et spirituelles. Mais dans la plupartdes autres grandes villes, le seul sujet dont on ait l'occasion de
parler, ce sont des anecdotes et des observations journalie`res sur
les personnes dont la bonne compagnie se compose. C'est un
comme? rage ennobli par les grands noms qu'on prononce t nais
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? ? 18 DE L'IMITATION.
qui a pourtant le me^me fond que celui des gens du peuple; car a`
l'e? le? gance des formes pre`s, ils parlent e? galement tout le jour sur
leurs voisins et sur leurs voisines.
L'objet vraiment libe? ral de la conversation, ce sont les ide? es
et les faits d'un inte? re^t universel. La me? disance habituelle, dont
le loisir des salons et la ste? rilite? de l'esprit font une espe`ce de
ne? cessite? , peut e^tre plus ou moins modifie? e par la bonte? du ca-
racte`re; mais il en reste toujours assez pour qu'a` chaque pas, a`
chaque mot, on entende autour de soi le bourdonnement des
petits propos qui pourraient, comme les mouches, inquie? ter
me^me le lion.
agreste et soigne? e. Une fore^t majestueuse se prolonge jusqu'aux
bords du Danube: l'on voit de loin des troupeaux de cerfs tra-
verser la prairie; ils reviennent chaque matin; ils s'enfuient cha-
que soir, quand l'affluence des promeneurs trouble leur solitude.
Le spectacle qui n'a lieu a` Paris que trois jours de l'anne? e, sur
la route de Long-Champ, se renouvelle constamment a` Vienne,
dans la belle saison. C'est une coutume italienne que cette pro-
menade de tous les jours a` la me^me heure. Une telle re? gularite?
serait impossible dans un pays ou` les plaisirs sont aussi varie? s
qu'a` Paris; mais les Viennois, quoi qu'il arrive, pourraient dif-
licilement s'en de? shabituer. Il faut convenir que c'est un coup
d'oeil charmant que toute cette nation citadine re? unie sous l'om-
brage d'arbres magnifiques, et sur les gazons dont le Danube
entretient la verdure. La bonne compagnie en voiture, le peuple
a` pied, se rassemblent la` chaque soir. Dans ce sage pays, l'on
traite les plaisirs comme les devoirs, et l'on a de me^me l'avan-
tage de ne s'en lasser jamais, quelque uniformes qu'ils soient.
On porte dans la dissipation autant d'exactitude que dans les
affaires, et l'on perd son temps aussi me? thodiquement qu'on
l'emploie.
Si vous entrez dans une des redoutes ou` il y a des bals pour
les bourgeois, les jours de fe^tes, vous verrez des hommes et des
femmes exe? cuter gravement, l'un vis-a`-vis de l'autre, les pas d'un
menuet dont ils se sont impose? l'amusement; la foule se? pare
souvent le couple dansant, et cependant il continue, comme s'il
dansait pour l'acquit de sa conscience; chacun des deux va tout
seul a` droite et a` gauche, en avant, en arrie`re, sans s'embarras-
ser de l'autre, qui figure aussi scrupuleusement de son co^te? : de
temps en temps seulement ils poussent un petit cri de joie, et
rentrent tout de suite apre`s dans le se? rieux de leur plaisir. C'est surtout au Prater qu'on est frappe? de l'aisance et de la prospe? rite? du peuple de Vienne. Cette ville a la re? putation de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 42 VIENNE.
consommer en nourriture plus que toute autre ville d'une popu-
lation e? gale, et ce genre de supe? riorite? un peu vulgaire ne lui est
pas conteste? . On voit des familles entie`res de bourgeois et d'ar-
iisaas, qui partent a` cinq heures du soir pour aller au Prater
faire un gou^ter champe^tre aussisubstantiel que le di^ner d'un au-
tre pays, et l'argent qu'ils peuvent de? penser la` prouve assez com-
bien ils sont laborieux et doucement gouverne? s. Le soir, des
milliers d'hommes reviennent, tenant parla main leurs femmes
et leurs enfants; aucun de? sordre, aucune querelle ne trouble
cette multitude dont on entend a` peine la voix, tant sa joie est si-
lencieuse! Ce silence cependant ne vient d'aucune disposition
triste de l'a^me, c'est pluto^t un certain bien-e^tre physique, qui,
dans le midi de l'Allemagne, fait re^ver aux sensations, comme
dans le nord aux ide? es. L'existence ve? ge? tative du midi de l'Alle-
magne a quelques rapports avec l'existence contemplative du
Nord : il y a du repos, de la paresse et de la re? flexion dans l'une
et l'autre.
Si vous supposiez une aussi nombreusere? union de Parisiens
dans un me^me lieu, l'air e? tincellerait de bons mots , de plaisan-
teries, de disputes, et jamais un Franc? ais n'aurait un plaisir ou`
l'amour-propre ne pu^t se faire place de quelque manie`re.
Les grands seigneurs se prome`nent avec des chevaux et des
voitures tre`s-magnifiques et de fort bon gou^t ; tout leur amuse-
ment consiste a` reconnai^tre dans une alle? e du Prater ceux qu'ils
viennent de quitter dans un salon; mais la diversite? des objets
empe^che de suivre aucune pense? e, et la plupart des hommes se
complaisent a` dissiper ainsi les re? flexions qui les importunent.
Ces grands seigneurs de Vienne, les plus illustres et les plus ri-
ches de l'Europe, n'abusent d'aucun de leurs avantages; ils lais-
sent de mise? rables fiacres arre^ter leurs brillants e? quipages. L'em-
pereur et ses fre`res se rangent tranquillement aussi a` la file, et
veulent e^tre conside? re? s, dans leurs amusements, comme de sim-
ples particuliers; ils n'usent de leurs droits que quand ils rem-
plissent leurs devoirs. L'on aperc? oit souvent au milieu de toute
cette foule des costumes orientaux, hongrois et polonais, qui
re? veillent l'imagination , et de distance en distance une musique
harmonieuse donne a` ce rassemblement l'air d'une fe^te paisible,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? VIENNE. 4g
ou` chacun jouit de soi-me^me sans s'inquie? ter de son voisin. Jamais on ne rencontre un mendiant au milieu de cette re? u-
nion , on n'en voit point a` Vienne ; les e? tablissements de charite?
sont administre? s avec beaucoup d'ordre et de libe? ralite? ; la bien-
faisance particulie`re et publique est dirige? e avec un grand esprit
de justice, etle peuple lui-me^me, ayant en ge? ne? ral plus d'in-
dustrie et d'intelligence commerciale que dans le reste de l'Al-
lemagne, conduit bien sa propre destine? e. Il y a tre`s-peu d'exem-
ples en Autriche de crimes qui me? ritent la mort; tout enfin dans ce pays porte l'empreinte d'un gouvernement paternel, sage et
religieux. Les bases de l'e? difice social sont bonnes et respecta-
bles, mais il y manque << un fai^te et des colonnes, pour que IH
<< gloire et le ge? nie puissent y avoir un temple1. >>
J'e? tais a` Vienne, en 1808, lorsque l'empereur Franc? ois II
e? pousa sa cousine germaine, la fille de l'archiduc de Milan et
de l'archiduchesse Be? atrix, la dernie`re princesse de cette maison
d'Est que l'Arioste et le Tasse ont tant ce? le? bre? e. L'archiduc
Ferdinand et sa noble e? pouse se sont vus tous les deux prive? s de leurs E? tats par les vicissitudes de la guerre, et la jeune im-
pe? ratrice, e? leve? e << dans ces temps cruels2, >> re? unissait sur sa
te^te le double inte? re^t de la grandeur et de l'infortune. C'e? tait une
union que l'inclination avait de? termine? e, et dans laquelle au-
cune convenance politique n'e? tait entre? e, bien que l'on ne pu^t
en contracter une plus honorable. On e? prouvait a` la fois des sen-
timents de sympathie et de respect pour les affections de famille
qui rapprochaient ce mariage de nous, et pour le rang illustre
qui l'en e? loignait. Un jeune prince, archeve^que de VVaizen,
donnait la be? ne? diction nuptiale a` sa soeur et a` son souverain;
la me`re de l'impe? ratrice, dont les vertus et les lumie`res exercent
le plus puissant empire sur ses enfants , devint en un instant
sujette de sa fille, et marchait derrie`re elle avec un me? lange de de? fe? rence et de dignite? , qui rappelait tout a` la fois les droits de
la couronne et ceux de la nature. Les fre`res de l'empereur et de
l'impe? ratrice, tous employe? s dans l'arme? e ou dans l'administra-
tion, tous, dans des degre? s diffe? rents, e? galement voue? s au bieu
1 Supprime? par la censure.
: Supprime? par la censure.
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? 44 VIENNE.
public, l'accompagnaient a` l'autel, et l'e? glise e? tait remplie par
les grands de l'E? tat, les femmes, les filles et les me`res des plus
anciens gentilshommes de la noblesse teutonique. On n'avait
rien fait de nouveau pour la fe^te; il suffisait a` sa pompe de mon-
trer ce que chacun posse? dait. Les parures me^mes des femmes
e? taient he? re? ditaires, et les diamants substitue? s dans chaque
famille consacraient les souvenirs du passe? a` l'ornement de la
jeunesse : les temps anciens e? taient pre? sents a` tout, et l'on
jouissait d'une magnificence que les sie`cles avaient pre? pare? e,
mais qui ne cou^tait point de nouveaux sacrifices au peuple.
Les amusements qui succe? de`rent a` la conse? cration du ma-
riage avaient presque autant de dignite? que la ce? re? monie elle-me^me. Ce n'est point ainsi que les particuliers doivent donner
des fe^tes, mais il convient peut-e^tre de retrouver dans tout ce
que font les rois l'empreinte se? ve`re de leur auguste destine? e. Non
loin de cette e? glise, autour de laquelle les canons et les fanfares
annonc? aient l'alliance renouvele? e de la maison d'Est avec la
maison d'Habsbourg, l'on voit l'asile qui renferme depuis deux
sie`clesles tombeaux des empereurs d'Autriche etde leur famille.
C'est la`, dans le caveau des capucins, que Marie-The? re`se, pen-
dant trente anne? es , entendait la messe en pre? sence me^me du
se? pulcre qu'elle avait fait pre? parer pour elle, a` co^te? de son e? poux. Cette illustre Marie-The? re`se avait tant souffert dans les
premiers jours de sa jeunesse, que le pieux sentiment de l'ins-
tabilite? de la vie ne la quitta jamais, au milieu me^me de ses
grandeurs. Il y a beaucoup d'exemples d'une de? votion se? rieuse
et constante parmi les souverains de la terre; comme ils n'obe? is-
sent qu'a` la mort, son irre? sistible pouvoir les frappe davantage.
Les difficulte? s de la vie se placent entre nous et la tombe; tout
est aplani pour les rois jusqu'au terme, et cela me^me le rend
plus visible a` leurs yeux.
Les fe^tes conduisent naturellement u` re? llochir sur les tom-
beaux; de tout temps la poe?
sie s'est plu a` rapprocher ces ima-
ges, et le sort aussi est un terrible poe`te qui ne les a que trop
souvent re? unies.
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? r>E LA SOCIETE. 45
CHAl'ITRE VIII.
De la Socie? te? .
Les riches et les nobles n'habitent presque jamais les fau-
bourgs de Vienne, et l'on est rapproche? les uns des autres comme
dans une petite ville, quoique l'on y ait d'ailleurs tous les avan-
tages d'une grande capitale. Ces faciles communications, au
milieu des jouissances de la fortune et du luxe, rendent la vie
habituelle tre`s-commode, et le cadre de la socie? te? , si l'on peut
s'exprimer ainsi, c'est-a`-dire les habitudes, les usages et les
manie`res, sont extre^mement agre? ables. On parle dans l'e? tran-
ger de l'e? tiquette se? ve`re et de l'orgueil aristocratique des grands
seigneurs autrichiens; cette accusation n'est pas fonde? e; il y a
de la simplicite? , de la politesse, et surtout de la loyaute? dans
la bonne compagnie de Vienne; et le me^me esprit de justice et
de re? gularite? qui dirige les affaires importantes se retrouve en-
core dans les plus petites circonstances. On y est fide`le a` des in-
vitations de di^ner et de souper, comme on le serait a` des enga-
gements essentiels; et les faux airs qui font consister l'e? le? gance
dans le me? pris des e? gards ne s'y sont point introduits. Cepen-
dant l'un des principaux de? savantages de la socie? te? de Vienne,
c'est que les nobles et les hommes de lettres ne se me^lent point
ensemble. L'orgueil des nobles n'en est pas la cause; mais comme
on ne compte pas beaucoup d'e? crivains distingue? s a` Vienne, et
qu'on y lit assez peu, chacun vit dans sa coterie, parce qu'il n'y a
que des coteries au milieu d'un pays ou` les ide? es ge? ne? rales et les
inte? re^ts publics ont si peu d'occasion de se de? velopper. Il re? sulte
de cette se? paration des classes que les gens de lettres manquent
de gra^ce, et que les gens du monde acquie`rent rarement de l'ins-
truction.
L'exactitude de la politesse, qui est a` quelques e? gards une vertu,
puisqu'elle exige souvent des sacrifices, a introduit dans Vienne
les plus ennuyeux usages possibles. Toute la bonne compagnie se transporte en masse d'un salon a` l'autre, trois ou quatre fois
par semaine. On perd un certain temps pour la toilette ne? ces-
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? 46 DE LA SOCIE? TE? .
saire dans ces grandes re? unions; on en perd dans la rue, on en
perd sur les escaliers, en attendant que le tour de sa voiture
arrive, on en perd en restant trois heures a` table; et il est im-
possible, dans ces assemble? es nombreuses, de rien entendre qui
sorte du cercle des phrases convenues. C'est une habile inven-
tion de la me? diocrite? pour annuler les faculte? s de l'esprit, que
cette exhibition journalie`re de tous les individus les uns aux au-
tres. S'il e? tait reconnu qu'il faut conside? rer la pense? e comme
une maladie contre laquelle un re? gime re? gulier est ne? cessaire,
on ne saurait rien imaginer de mieux qu'un genre de distraction
a` la fois e? tourdissant et insipide: une telle distraction ne per-
met de suivre aucune ide? e, et transforme le langage en un gazouil-
lement qui peut e^tre appris aux hommes comme a` des oiseaux.
J'ai vu repre? senter a` Vienne une pie`ce dans laquelle Arlequin arrivait reve^tu d'une grande robe et d'une magnifique perruque,
et tout a` coup il s'escamotait lui-me^me, laissait debout sa robe
et sa perruque pour figurer a` sa place, et s'en allait vivre ailleurs;
on serait tente? de proposer ce tourde passe-passe a` ceux qui
fre? quentent les grandes assemble? es. On n'y va point pour ren-
contrer l'objet auquel on de? sirerait de plaire; la se? ve? rite? des
moeurs et la tranquillite? de l'a^me concentrent, en Autriche, les
affections au sein de sa famille. On n'y va point par ambition,
car tout se passe avec tant de re? gularite? dans ce pays, que l'in-
trigue y a peu de prise, et ce n'est pas d'ailleurs au milieu de la
socie? te? qu'elle pourrait trouvera` s'exercer. Ces visites et ces cer-
cles sont imagine? s pour que tous fassent la me^me chose a` la
me^me heure; on pre? fe`re ainsi l'ennui qu'on partage avec ses
semblables, a` l'amusement qu'on serait force? de se cre? er chez
soi.
Les grandes assemble? es, les grands di^ne? s ont aussi lieu dans
d'autres villes; mais comme on y rencontre d'ordinaire tous les
individus remarquables du pays ou` l'on est, il y a plus de moyens
d'e? chapper a` ces formules de conversation, qui, dans de sem-
blables re? unions, succe`dent aux re? ve? rences, et les continuent en paroles. La socie? te? ne sert point en Autriche, comme en
France, a` de? velopper l'esprit ni a` l'animer; elle ne laisse dans
la te^te que du bruit et du vide : aussi les hommes les plus spiri-
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? DE I? /IM1TATIO>> DE I/ESPHIT FRANC? AIS. 47
du pays ont-ils soin, pour la plupart, de s'en e? loigner; les
femmes seules y paraissent, et l'on est e? tonne? de l'esprit qu'elles
ont, malgre? le genre de vie qu'elles me`nent. Les e? trangers ap-
pre? cient l'agre? ment de leur entretien; mais ce qu'on rencontre
le moins dans les salons de la capitale de l'Allemagne, ce sont
des Allemands.
L'on peut se plaire dans la socie? te? de Vienne, par la su^rete? ,
l'e? le? gance et la noblesse des manie`res que les femmes y font re? -
gner; mais il y manque quelque chose a`dire, quelque chose
a` faire, un but, un inte? re^t. On voudrait que le jour fu^t diffe? rent
de la veille, sans que pourtant cette varie? te? brisa^t la chai^ne des
affections et des habitudes. La monotonie , dans la retraite,
tranquillise l'a^me ; la monotonie, dans le grand monde, fatigue
l'esprit.
CHAPITRE IX.
Des e? trangers qui veulent imiter l'esprit franc? ais.
La destruction de l'esprit fe? odal, et de l'ancienne vie de cha^-
teau qui en e? tait la conse? quence, a introduit beaucoup de loisir
parmi les nobles; ce loisir leur a rendu tre`s-ne? cessaire l'amuse-
ment de la socie? te? ; et comme les Franc? ais sont passe? s mai^tres
dans l'art de causer, ils se sont rendus souverains de l'opinion europe? enne, ou pluto^t de la mode, qui contrefait si bien l'opi-
uion. Depuis le re`gne de Louis XIV, toute la bonne compagnie
du continent, l'Espagne et l'Italie excepte? es, a mis son amour-propre dans l'imitation des Franc? ais. En Angleterre, il existe un
objet constant de conversation, les inte? re^ts politiques, qui sont
les inte? re^ts de chacun et de tous; dans le Midi il n'y a point de
socie? te? : le soleil, l'amour et les beaux-arts remplissent la vie.
A Paris, on s'entretient assez ge? ne? ralement de litte? rature; et
les spectacles, qui se renouvellent sans cesse, donnent lieu a` des observations inge? nieuses et spirituelles. Mais dans la plupartdes autres grandes villes, le seul sujet dont on ait l'occasion de
parler, ce sont des anecdotes et des observations journalie`res sur
les personnes dont la bonne compagnie se compose. C'est un
comme? rage ennobli par les grands noms qu'on prononce t nais
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? ? 18 DE L'IMITATION.
qui a pourtant le me^me fond que celui des gens du peuple; car a`
l'e? le? gance des formes pre`s, ils parlent e? galement tout le jour sur
leurs voisins et sur leurs voisines.
L'objet vraiment libe? ral de la conversation, ce sont les ide? es
et les faits d'un inte? re^t universel. La me? disance habituelle, dont
le loisir des salons et la ste? rilite? de l'esprit font une espe`ce de
ne? cessite? , peut e^tre plus ou moins modifie? e par la bonte? du ca-
racte`re; mais il en reste toujours assez pour qu'a` chaque pas, a`
chaque mot, on entende autour de soi le bourdonnement des
petits propos qui pourraient, comme les mouches, inquie? ter
me^me le lion.
