pendance me^me dont on jouissait en Allemagne, sous
presque tous les rapports, rendait les Allemands indiffe?
presque tous les rapports, rendait les Allemands indiffe?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
hathitrust.
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? 20 DES MOEIIRS
que leur situation re? tre? cie et leurs occupations vulgaires ne leur
permettraient pas de connai^tre autrement.
Les paysannes et les servantes, qui n'ont pas assez d'argent
pour se parer, ornent leur te^te et leurs bras de quelques fleurs,
pour qu'au moins l'imagination ait sa part dans leur ve^tement:
d'autres un peu plus riches mettent les jours de fe^te un bonnet
d'e? toffe d'or d'assez mauvais gou^t, et qui contraste avec la sim-
plicite? du reste de leur costume; mais ce bonnet, que leurs me`res
ont aussi porte? , rappelle les anciennes moeurs; et la parure ce? -
re? monieuse avec laquelle les femmes du peuple honorent le di-
manche , a quelque chose de grave qui inte? resse en leur faveur.
Il faut aussi savoir gre? aux Allemands de la bonne volonte? qu'ils te? moignent par les re? ve? rences respectueuses et la poli-
tesse remplie de formalite? s, que les e? trangers ont si souvent
tourne? es en ridicule. Ils auraient aise? ment pu remplacer, par
des manie`res froides et indiffe? rentes, la gra^ce et l'e? le? gance qu'on
les accusait de ne pouvoir atteindre: le de? dain impose toujours
silence a` la moquerie; car c'est surtout aux efforts inutiles
qu'elle s'attache; mais les caracte`res bienveillants aiment mieux
s'exposer a` la plaisanterie, que de s'en pre? server par l'air hau-
tain et contenu qu'il est si facile a` tout le monde de se donner.
On est frappe? sans cesse, en Allemagne, du contraste qui
existe entre les sentiments et les habitudes, entre les talents et
les gou^ts: la civilisation et la nature semblent ne s'e^tre pasencore
bien amalgame? es ensemble. Quelquefois des hommes tre`s-vrais
sont affecte? s dans leurs expressions et dans leur physionomie,
comme s'ils avaient quelque chose a` cacher: quelquefois au con-
traire la douceur de l'a^me n'empe^che pas la rudesse dans les
manie`res: souvent me^me cette opposition va plus loin encore,
et la faiblesse du caracte`re se fait voir a` travers un langage et
des formes dures. L'enthousiasme pour les arts et la poe? sie se
re? unit a` des habitudes assez vulgaires dans la vie sociale. Il n'est
point de pays ou` les hommes de lettres, ou` les jeunes gens qui
e? tudient dans les universite? s, connaissent mieux les langues
anciennes et l'antiquite? ; mais il n'en est point toutefois ou` les
usages suranne? s subsistent plus ge? ne? ralement encore. Les sou-
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? DES ALLEMANDS. 21
venirs de la Gre`ce, le gou^t des beaux-arts, semblent y e^tre ar-
rive? s par correspondance; mais les institutions fe? odales, les
vieilles coutumes des Germains y sont toujours en honneur, quoique, malheureusement pour la puissance militaire du pays,
elles n'y aient plus la me^me force.
Il n'est point d'assemblage plus bizarre que l'aspect guerrier
de l'Allemagne entie`re, les soldats que l'on rencontre a` chaque
pas, et le genre de vie casanier qu'on y me`ne. On y craint les
fatigues et les intempe? ries de l'air, comme si la nation n'e? tait
compose? e que de ne? gociants et d'hommes de lettres ; et toutes
les institutions cependant tendent et doivent tendre a` donner a`
la nation des habitudes militaires. Quand les peuples du Nord
bravent les inconve? nients de leur climat, ils s'endurcissent sin-
gulie`rement contre tous les genres de maux: le soldat russe en
est la preuve. Mais quand le climat n'est qu'a` demi rigoureux,
et qu'il est encore possible d'e? chapper aux injures du ciel par
des pre? cautions domestiques, ces pre? cautions me^mes rendent
les hommesplus sensibles aux souffrances physiques de la
guerre.
Les poe^les, la bie`re et la fume? e de tabac forment autour des
gens du peuple, en Allemagne, une sorte d'atmosphe`re lourde
et chaude dont ils n'aiment pas a` sortir. Cette atmosphe`re nuit
a` l'activite? , qui est au moins aussi ne? cessaire a` la guerre que le
courage; les re? solutions sont lentes, le de? couragement est facile,
parce qu'une existence d'ordinaire assez triste ne donne pas
beaucoup de confiance dans la fortune. L'habitude d'une ma-
nie`re d'e^tre paisible et re? gle? e pre? pare si mal aux chances mul-
tiplie? es du hasard, qu'on se soumet plus volontiers a` la mort
qui vient avec me? thode qu'a` la vie aventureuse.
La de? marcation des classes, beaucoup plus positive en Al-
lemagne qu'elle ne l'e? tait en France, devait ane? antir l'esprit mi-
litaire parmi les bourgeois :cette de? marcation n'a dans le fait rien
d'offensant; car, je le re? pe`te, la bonhomie se me^le a` tout en
Allemagne, me^me a` l'orgueil aristocratique; et les diffe? rences
de rang se re? duisent a` quelques privile? ges de cour, a` quelques
assemble? es qui ne donnent pas assez de plaisir pour me? riter de
grands regrets: rien n'est amer, dans quelque rapport que ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 22 ! ?
puisse e^tre, lorsque la socie? te? , et par elle le ridicule, ont peu de
puissance. Les hommes ne peuvent se faire un ve? ritable mal a`
l'a^me que par la faussete? ou la moquerie: dans un pays se? rieux
et vrai, il y a toujours de la justice et du bonheur. Mais la bar-
rie`re qui se? parait, en Allemagne, les nobles des citoyens, ren-
dait ne? cessairement la nation entie`re moins belliqueuse.
L'imagination, qui est la qualite? dominante de l'Allemagne
artiste et litte? raire, inspire la crainte du pe? ril, si l'on ne com-
bat pas ce mouvement naturel par l'ascendant de l'opinion et
l'exaltation de l'honneur. En France, de? ja` me^me autrefois, le
gou^t de la guerre e? tait universel ; et les gens du peuple risquaient
volontiers leur vie, comme un moyen de l'agiter, et d'en sentir
moins le poids. C'est une grande question de savoir si les affec-
tions domestiques, l'habitude de la re? flexion, la douceur me^me
de l'a^me, ne portent pas a` redouter la mort; mais si toute la
force d'un E? tat consiste dans son esprit militaire, il importe
d'examiner quelles sont les causes qui ont affaibli cet esprit dans
la nation allemande.
Trois mobiles principaux conduisent d'ordinaire les hommes
au combat : l'amour de la patrie et de la liberte? , l'amour de la
gloire, et le fanatisme de la religion. Il n'y a point un grand amour pour la patrie dans un empire divise? depuis plusieurs
sie`cles, ou` les Allemands combattaient contre les Allemands,
presque toujours excite? s par une impulsion e? trange`re: l'amour
de la gloire n'a pas beaucoup de vivacite? la` ou` il n'y a point de
centre, point de capitale, point de socie? te? . L'espe`ce d'impar-
tialite? , luxe de la justice, qui caracte? rise les Allemands, les
rend beaucoup plus susceptibles de s'enflammer pour les pen-
se? es abstraites que pour les inte? re^ts de la vie; le ge? ne? ral qui perd
une bataille est plus su^r d'obtenir l'indulgence, que celui qui
la gagne ne l'est d'e^tre vivement applaudi; entre les succe`s et
les revers, il n'y a pas assez de diffe? rence au milieu d'un tel
peuple, pour animer vivement l'ambition. La religion vit, en Allemagne, au fond des coeurs, mais elle
y a maintenant un caracte`re de re^verie et d'inde? pendance, qui
n'inspire pas l'e? nergie ne? cessaire aux sentiments exclusifs. Le
me^me isolement d'opinions, d'individus et d'E? tats, si nuisible
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? DES ALLEMANDS. 23
ii la force de l'empire germanique, se retrouve aussi dans la re-
ligion: un grand nombrede sectes diverses partagent l'Allemagne;
et la religion catholique elle-me^me, qui, par sa nature, exerce
une discipline uniforme et se? ve`re, est interpre? te? e cependant par
chacun a` sa manie`re. Le lien politique et social des peuples,
un me^me gouvernement, un me^me culte, les me^mes lois, les
me^mes inte? re^ts, une litte? rature classique, une opinion domi-
nante, rien de tout cela n'existe chez les Allemands; chaque E? tat
en est plus inde? pendant, chaque science mieux cultive? e; mais
la nation entie`re est tellement subdivise? e, qu'on ne sait a` quelle
partie de l'empire ce nom me^me de nation doit e^tre accorde? .
L'amour de la liberte? n'est point de? veloppe? chez les Alle-
mands; ils n'ont appris ni par la jouissance, ni par la privation ,
le prix qu'on peut y attacher 11 y a plusieurs exemples de gouver-
nements fe? de? ratifs, qui donnent a` l'esprit public autant de force
que l'unite? dans le gouvernement; mais ce sont des associations
d'E? tats e? gaux et de citoyens libres. La fe? de? ration allemande e? tait
compose? e de forts etde faibles, de citoyens et de serfs, de rivaux
et me^me d'ennemis; c'e? taient d'anciens e? le? ments combine? s par
les circonstances, et respecte? s par les hommes.
La nation est perse? ve? rante et juste ; et son e? quite? et sa loyaute? empe^chent qu'aucune institution . fu^t-elle vicieuse, ne puisse y
faire de mal. Louis de Bavie`re, partant pour l'arme? e, confia
l'administration de ses E? tats a` son rival, Fre? de? ric le Beau, alors
son prisonnier, et il se trouva bien de cette confiance qui, dans
ce temps, n'e? tonna personne. Avec de telles vertus, on ne crai-
gnait pas les inconve? nients de la faiblesse , ou de la complication
des lois; la probite? des individus y supple? ait.
L'inde?
pendance me^me dont on jouissait en Allemagne, sous
presque tous les rapports, rendait les Allemands indiffe? rents a` la liberte? : l'inde? pendance est un bien,la liberte? une garantie, et
pre? cise? ment parce que personne n'e? tait froisse? en Allemagne,
ni dans ses droits, ni dans ses jouissances, on ne sentait pas le
besoin d'un ordre de choses qui mainti^nt ce bonheur. Les tribu-
naux de l'empire promettaient une justice su^re, quoique lente,
contre tout acte arbitraire; et la mode? ration des souverains et la
sagesse de leurs peuples ne donnaient presque jamais lieu a` des
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? 24 DES
re? clamations : on ne croyait donc pas avoir besoin de fortifica-
tions constitutionnelles, quand on ne voyait point d'agresseurs.
On a raison de s'e? tonner que le code fe? odal ait subsiste? presque
sans alte? ration parmi des hommes si e? claire? s; mais comme dans
l'exe? cution de ces lois de? fectueuses en elles-me^mes , il n'y avait
point d'injustice, l'e? galite? dans l'application consolait de l'ine? ga-
lite? dans le principe. Les vieilles chartes, les anciens privile? ges
de chaque ville, toute cette histoire de famille, qui fait le charme
et la gloire des petits E? tats, e? tait singulie`rement che`re aux Alle-
mands; mais ils ne? gligeaient la grande puissance nationale qu'il
importait tant de fonder, au milieu des colosses europe? ens.
Les Allemands, a` quelques exceptions pre`s, sont peu capables
de re? ussir dans tout ce qui exige de l'adresse et de l'habilete? :
tout les inquie`te, tout les embarrasse, et ils ont autant besoin de
me? thode dans les actions, que d'inde? pendance dans les ide? es.
Les Franc? ais, au contraire, conside`rent les actions avec la liberte?
de l'art, et les ide? es avec l'asservissement de l'usage. Les Alle-
mands, qui ne peuvent souffrir le joug des re`gles en litte? rature,
voudraient que tout leur fu^t trace? d'avance en fait de conduite.
Ils ne savent pas traiter avec les hommes; et moins on leur donne
a` cet e? gard l'occasion de se de? cider par eux-me^mes, plus ils sont
satisfaits.
Les institutions politiques peuvent seules former le caracte`re
d'une nation; la nature du gouvernement de l'Allemagne e? tait
presque en opposition avec les lumie`res philosophiques des Alle-
mands. De la` vient qu'ils re? unissent la plus grande audace de
pense? e au caracte`re le plus obe? issant. La pre? e? minence de l'e? tat
militaire et les distinctions de rang les ont accoutume? s a` la sou-
mission la plus exacte dans les rapports de la vie sociale; ce n'est
pas servilite? , c'est re? gularite? chez eux que l'obe? issance; ils sont
scrupuleux dans l'accomplissement des ordres qu'ils rec? oivent,
comme si tout ordre e? tait un devoir.
Les hommes e? claire? s de l'Allemagne se disputent avec vivacite?
le domaine des spe? culations, et ne souffrent dans ce genre aucune
entrave; mais ils abandonnent assez volontiers aux puissants de
la terre tout le re? el de la vie. << Ce re? el, si de? daigne? par eux,
<< trouve pourtant des acque? reurs qui portent ensuite le trouble et
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? DES ALLEMANDS. 25
? la ge^ne dans l'empire me^me de l'imagination '. >> L'esprit des
Allemands et leur caracte`re paraissent n'avoir aucune communi-
cation ensemble : l'un ne peut souffrir de bornes, l'autre se sou-
met a` tous les jougs; l'un est tre`s-entreprenant, l'autre tre`s-ti-
mide; enfin, les lumie`res de l'un donnent rarement de la force a`
l'autre, et cela s'explique facilement. L'e? tendue des connais-
sances dans les temps modernes ne fait qu'affaiblir le caracte`re,
quand il n'est pas fortifie? par l'habitude des affaires et l'exercice
dela volonte? . Tout voir et tout comprendre est une grande rai-
son d'incertitude; et l'e? nergie de l'action ne se de? veloppe que
dans ces contre? es libres et puissantes, ou` les sentiments patrioti-
ques sont dans l'a^me comme le sang dans les veines, et ne se
glacent qu'avec la vieJ.
CHAPITRE III
Les femmes.
La nature et la socie? te? donnent aux femmes une grande habi-
tude de souffrir, et l'on ne saurait nier, ce me semble, que de
nos jours elles ne vaillent, en ge? ne? ral, mieux que les hommes.
Dans une e? poque ou` le mal universel est l'e? goi? sme, les hommes,
auxquels tous les inte? re^ts positifs se rapportent, doivent avoir
moins de ge? ne? rosite? , moins de sensibilite? que les femmes; elles
ne tiennent a` la vie que par les liens du coeur, et lorsqu'elles
s'e? garent, c'est encore parunsentiment qu'elles sont entrai^ne? es:
leur personnalite? est toujours a` deux, tandis que celle de l'homme
n'a que lui-me^me pour but. On leur rend hommage par les
affections qu'elles inspirent, mais celles qu'elles accordent sont
'Phrase supprime? e par les censeurs.
1 Je n'ai pas besoin de dire i^|ue c'e? tait l'Angleterre que je voulais de? signer
par ces paroles; mais quaud les noms propres ne sont pas articule? s, la plupart
des censeurs, hommes e? claire? s, se font un plaisir de ne pas comprendre. Il
n'en est pas de me^me de la police; elle a une sorte d'instinct vraiment remar-
quable contre les ide? es libe? rales, sous quelque forme qu'elles se pre? sentent,
et, dans ce genre, elle de? piste, comme nn habile chien de chasse, tout ce
qui pourrait re? veiller dans l'esprit des Franc? ais leur ancien amour pour les
lumiu`if-s et la liberte? .
3
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? 26 LES FEMMES.
presque toujours des sacrifices. La plus belle des vertus, le
de? vouement, est leur jouissance et leur destine? e; nul bonheur
ne peut exister pour elles que par le reflet de la gloire et des pros-
pe? rite? s d'un autre; enfin, vivre hors de soi-me^me, soit par les
ide? es, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, doune
a` l'a^me un sentiment habituel d'e? le? vation.
Dans les pays ou` les hommes sont appele? s par les institutions
politiques a` exercer toutes les vertus militaires et civiles qu'ins-
pire l'amour de la patrie , ils reprennent la supe? riorite? qui leur
appartient; ils rentrent avec e? clat dans leurs droits de mai^tre*
du monde : mais lorsqu'ils sont condamne? s de quelque manie`re
a` l'oisivete? , ou a` la servitude, ils tombent d'autant plus bas
qu'ils devaient s'e? lever plus haut. La destine? e des femmes reste
toujours la me^me, c'est leur a^me seule qui la fait, les circons-
tances politiques n'y influent en rien. Lorsque les hommes ne
savent pas, ou ne peuvent pas employer dignement et noblement
leur vie, la nature se venge sur eux des dons me^mes qu'ils en
ont rec? us; l'activite? du corps ne sert plus qu'a` la paresse de l'es-
prit, la force de l'a^me devient de la rudesse ; et le jour se passe
dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la
chasse, les festins, qui conviendraient comme de? lassement,
mais qui abrutissent comme occupations. Pendant ce temps, les
femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la re^verie con-
servent dans leur a^me l'image de tout ce qui est noble et beau.
Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout a` fait
particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un
teint e? blouissant; elles sont modestes, mais moins timides que
les Anglaises; on voit qu'elles ont rencontre? moins souvent des
hommes qui leur fussent supe? rieurs, et qu'elles ont d'ailleurs
moins a` craindre des jugements se? ve`res du public. Elles cher-
chent a` plaire par la sensibilite? , a` inte? resser par l'imagination;
la langue de la poe? sie et des beaux-arts leur est connue; elles
font de la coquetterie avec de l'enthousiasme, comme on en fait
en France avec de l'esprit et de la plaisanterie. La loyaute? par-
faite qui distingue le caracte`re des Allemands rend l'amour
moins dangereux pour le bonheur des femmes, et peut-e^tre
s'approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce
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? LES FEMMES. ST
qu'il est reve^tu de couleurs romanesques, et que le de? dain et
l'infide? lite? y sont moins a` redouter qu'ailleurs.
L'amour est une religion en Allemagne, mais une religion
poe? tique, qui tole`re trop volontiers tout ce que la sensibilite?
peut excuser. On ne saurait le nier, la facilite? du divorce, dans
lesprovinces protestantes, porte atteinte a` la saintete? du mariage.
On y change aussi paisiblement d'e? poux que s'il s'agissait d'ar-
ranger les incidents d'un drame; le bon naturel des hommes et
des femmes fait qu'on ne me^le point d'amertume a` ces faciles
ruptures, et, comme il y a chez les Allemands plus d'imagina-
tion que de vraie passion, les e? ve?
? 20 DES MOEIIRS
que leur situation re? tre? cie et leurs occupations vulgaires ne leur
permettraient pas de connai^tre autrement.
Les paysannes et les servantes, qui n'ont pas assez d'argent
pour se parer, ornent leur te^te et leurs bras de quelques fleurs,
pour qu'au moins l'imagination ait sa part dans leur ve^tement:
d'autres un peu plus riches mettent les jours de fe^te un bonnet
d'e? toffe d'or d'assez mauvais gou^t, et qui contraste avec la sim-
plicite? du reste de leur costume; mais ce bonnet, que leurs me`res
ont aussi porte? , rappelle les anciennes moeurs; et la parure ce? -
re? monieuse avec laquelle les femmes du peuple honorent le di-
manche , a quelque chose de grave qui inte? resse en leur faveur.
Il faut aussi savoir gre? aux Allemands de la bonne volonte? qu'ils te? moignent par les re? ve? rences respectueuses et la poli-
tesse remplie de formalite? s, que les e? trangers ont si souvent
tourne? es en ridicule. Ils auraient aise? ment pu remplacer, par
des manie`res froides et indiffe? rentes, la gra^ce et l'e? le? gance qu'on
les accusait de ne pouvoir atteindre: le de? dain impose toujours
silence a` la moquerie; car c'est surtout aux efforts inutiles
qu'elle s'attache; mais les caracte`res bienveillants aiment mieux
s'exposer a` la plaisanterie, que de s'en pre? server par l'air hau-
tain et contenu qu'il est si facile a` tout le monde de se donner.
On est frappe? sans cesse, en Allemagne, du contraste qui
existe entre les sentiments et les habitudes, entre les talents et
les gou^ts: la civilisation et la nature semblent ne s'e^tre pasencore
bien amalgame? es ensemble. Quelquefois des hommes tre`s-vrais
sont affecte? s dans leurs expressions et dans leur physionomie,
comme s'ils avaient quelque chose a` cacher: quelquefois au con-
traire la douceur de l'a^me n'empe^che pas la rudesse dans les
manie`res: souvent me^me cette opposition va plus loin encore,
et la faiblesse du caracte`re se fait voir a` travers un langage et
des formes dures. L'enthousiasme pour les arts et la poe? sie se
re? unit a` des habitudes assez vulgaires dans la vie sociale. Il n'est
point de pays ou` les hommes de lettres, ou` les jeunes gens qui
e? tudient dans les universite? s, connaissent mieux les langues
anciennes et l'antiquite? ; mais il n'en est point toutefois ou` les
usages suranne? s subsistent plus ge? ne? ralement encore. Les sou-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DES ALLEMANDS. 21
venirs de la Gre`ce, le gou^t des beaux-arts, semblent y e^tre ar-
rive? s par correspondance; mais les institutions fe? odales, les
vieilles coutumes des Germains y sont toujours en honneur, quoique, malheureusement pour la puissance militaire du pays,
elles n'y aient plus la me^me force.
Il n'est point d'assemblage plus bizarre que l'aspect guerrier
de l'Allemagne entie`re, les soldats que l'on rencontre a` chaque
pas, et le genre de vie casanier qu'on y me`ne. On y craint les
fatigues et les intempe? ries de l'air, comme si la nation n'e? tait
compose? e que de ne? gociants et d'hommes de lettres ; et toutes
les institutions cependant tendent et doivent tendre a` donner a`
la nation des habitudes militaires. Quand les peuples du Nord
bravent les inconve? nients de leur climat, ils s'endurcissent sin-
gulie`rement contre tous les genres de maux: le soldat russe en
est la preuve. Mais quand le climat n'est qu'a` demi rigoureux,
et qu'il est encore possible d'e? chapper aux injures du ciel par
des pre? cautions domestiques, ces pre? cautions me^mes rendent
les hommesplus sensibles aux souffrances physiques de la
guerre.
Les poe^les, la bie`re et la fume? e de tabac forment autour des
gens du peuple, en Allemagne, une sorte d'atmosphe`re lourde
et chaude dont ils n'aiment pas a` sortir. Cette atmosphe`re nuit
a` l'activite? , qui est au moins aussi ne? cessaire a` la guerre que le
courage; les re? solutions sont lentes, le de? couragement est facile,
parce qu'une existence d'ordinaire assez triste ne donne pas
beaucoup de confiance dans la fortune. L'habitude d'une ma-
nie`re d'e^tre paisible et re? gle? e pre? pare si mal aux chances mul-
tiplie? es du hasard, qu'on se soumet plus volontiers a` la mort
qui vient avec me? thode qu'a` la vie aventureuse.
La de? marcation des classes, beaucoup plus positive en Al-
lemagne qu'elle ne l'e? tait en France, devait ane? antir l'esprit mi-
litaire parmi les bourgeois :cette de? marcation n'a dans le fait rien
d'offensant; car, je le re? pe`te, la bonhomie se me^le a` tout en
Allemagne, me^me a` l'orgueil aristocratique; et les diffe? rences
de rang se re? duisent a` quelques privile? ges de cour, a` quelques
assemble? es qui ne donnent pas assez de plaisir pour me? riter de
grands regrets: rien n'est amer, dans quelque rapport que ce
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 22 ! ?
puisse e^tre, lorsque la socie? te? , et par elle le ridicule, ont peu de
puissance. Les hommes ne peuvent se faire un ve? ritable mal a`
l'a^me que par la faussete? ou la moquerie: dans un pays se? rieux
et vrai, il y a toujours de la justice et du bonheur. Mais la bar-
rie`re qui se? parait, en Allemagne, les nobles des citoyens, ren-
dait ne? cessairement la nation entie`re moins belliqueuse.
L'imagination, qui est la qualite? dominante de l'Allemagne
artiste et litte? raire, inspire la crainte du pe? ril, si l'on ne com-
bat pas ce mouvement naturel par l'ascendant de l'opinion et
l'exaltation de l'honneur. En France, de? ja` me^me autrefois, le
gou^t de la guerre e? tait universel ; et les gens du peuple risquaient
volontiers leur vie, comme un moyen de l'agiter, et d'en sentir
moins le poids. C'est une grande question de savoir si les affec-
tions domestiques, l'habitude de la re? flexion, la douceur me^me
de l'a^me, ne portent pas a` redouter la mort; mais si toute la
force d'un E? tat consiste dans son esprit militaire, il importe
d'examiner quelles sont les causes qui ont affaibli cet esprit dans
la nation allemande.
Trois mobiles principaux conduisent d'ordinaire les hommes
au combat : l'amour de la patrie et de la liberte? , l'amour de la
gloire, et le fanatisme de la religion. Il n'y a point un grand amour pour la patrie dans un empire divise? depuis plusieurs
sie`cles, ou` les Allemands combattaient contre les Allemands,
presque toujours excite? s par une impulsion e? trange`re: l'amour
de la gloire n'a pas beaucoup de vivacite? la` ou` il n'y a point de
centre, point de capitale, point de socie? te? . L'espe`ce d'impar-
tialite? , luxe de la justice, qui caracte? rise les Allemands, les
rend beaucoup plus susceptibles de s'enflammer pour les pen-
se? es abstraites que pour les inte? re^ts de la vie; le ge? ne? ral qui perd
une bataille est plus su^r d'obtenir l'indulgence, que celui qui
la gagne ne l'est d'e^tre vivement applaudi; entre les succe`s et
les revers, il n'y a pas assez de diffe? rence au milieu d'un tel
peuple, pour animer vivement l'ambition. La religion vit, en Allemagne, au fond des coeurs, mais elle
y a maintenant un caracte`re de re^verie et d'inde? pendance, qui
n'inspire pas l'e? nergie ne? cessaire aux sentiments exclusifs. Le
me^me isolement d'opinions, d'individus et d'E? tats, si nuisible
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? DES ALLEMANDS. 23
ii la force de l'empire germanique, se retrouve aussi dans la re-
ligion: un grand nombrede sectes diverses partagent l'Allemagne;
et la religion catholique elle-me^me, qui, par sa nature, exerce
une discipline uniforme et se? ve`re, est interpre? te? e cependant par
chacun a` sa manie`re. Le lien politique et social des peuples,
un me^me gouvernement, un me^me culte, les me^mes lois, les
me^mes inte? re^ts, une litte? rature classique, une opinion domi-
nante, rien de tout cela n'existe chez les Allemands; chaque E? tat
en est plus inde? pendant, chaque science mieux cultive? e; mais
la nation entie`re est tellement subdivise? e, qu'on ne sait a` quelle
partie de l'empire ce nom me^me de nation doit e^tre accorde? .
L'amour de la liberte? n'est point de? veloppe? chez les Alle-
mands; ils n'ont appris ni par la jouissance, ni par la privation ,
le prix qu'on peut y attacher 11 y a plusieurs exemples de gouver-
nements fe? de? ratifs, qui donnent a` l'esprit public autant de force
que l'unite? dans le gouvernement; mais ce sont des associations
d'E? tats e? gaux et de citoyens libres. La fe? de? ration allemande e? tait
compose? e de forts etde faibles, de citoyens et de serfs, de rivaux
et me^me d'ennemis; c'e? taient d'anciens e? le? ments combine? s par
les circonstances, et respecte? s par les hommes.
La nation est perse? ve? rante et juste ; et son e? quite? et sa loyaute? empe^chent qu'aucune institution . fu^t-elle vicieuse, ne puisse y
faire de mal. Louis de Bavie`re, partant pour l'arme? e, confia
l'administration de ses E? tats a` son rival, Fre? de? ric le Beau, alors
son prisonnier, et il se trouva bien de cette confiance qui, dans
ce temps, n'e? tonna personne. Avec de telles vertus, on ne crai-
gnait pas les inconve? nients de la faiblesse , ou de la complication
des lois; la probite? des individus y supple? ait.
L'inde?
pendance me^me dont on jouissait en Allemagne, sous
presque tous les rapports, rendait les Allemands indiffe? rents a` la liberte? : l'inde? pendance est un bien,la liberte? une garantie, et
pre? cise? ment parce que personne n'e? tait froisse? en Allemagne,
ni dans ses droits, ni dans ses jouissances, on ne sentait pas le
besoin d'un ordre de choses qui mainti^nt ce bonheur. Les tribu-
naux de l'empire promettaient une justice su^re, quoique lente,
contre tout acte arbitraire; et la mode? ration des souverains et la
sagesse de leurs peuples ne donnaient presque jamais lieu a` des
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? 24 DES
re? clamations : on ne croyait donc pas avoir besoin de fortifica-
tions constitutionnelles, quand on ne voyait point d'agresseurs.
On a raison de s'e? tonner que le code fe? odal ait subsiste? presque
sans alte? ration parmi des hommes si e? claire? s; mais comme dans
l'exe? cution de ces lois de? fectueuses en elles-me^mes , il n'y avait
point d'injustice, l'e? galite? dans l'application consolait de l'ine? ga-
lite? dans le principe. Les vieilles chartes, les anciens privile? ges
de chaque ville, toute cette histoire de famille, qui fait le charme
et la gloire des petits E? tats, e? tait singulie`rement che`re aux Alle-
mands; mais ils ne? gligeaient la grande puissance nationale qu'il
importait tant de fonder, au milieu des colosses europe? ens.
Les Allemands, a` quelques exceptions pre`s, sont peu capables
de re? ussir dans tout ce qui exige de l'adresse et de l'habilete? :
tout les inquie`te, tout les embarrasse, et ils ont autant besoin de
me? thode dans les actions, que d'inde? pendance dans les ide? es.
Les Franc? ais, au contraire, conside`rent les actions avec la liberte?
de l'art, et les ide? es avec l'asservissement de l'usage. Les Alle-
mands, qui ne peuvent souffrir le joug des re`gles en litte? rature,
voudraient que tout leur fu^t trace? d'avance en fait de conduite.
Ils ne savent pas traiter avec les hommes; et moins on leur donne
a` cet e? gard l'occasion de se de? cider par eux-me^mes, plus ils sont
satisfaits.
Les institutions politiques peuvent seules former le caracte`re
d'une nation; la nature du gouvernement de l'Allemagne e? tait
presque en opposition avec les lumie`res philosophiques des Alle-
mands. De la` vient qu'ils re? unissent la plus grande audace de
pense? e au caracte`re le plus obe? issant. La pre? e? minence de l'e? tat
militaire et les distinctions de rang les ont accoutume? s a` la sou-
mission la plus exacte dans les rapports de la vie sociale; ce n'est
pas servilite? , c'est re? gularite? chez eux que l'obe? issance; ils sont
scrupuleux dans l'accomplissement des ordres qu'ils rec? oivent,
comme si tout ordre e? tait un devoir.
Les hommes e? claire? s de l'Allemagne se disputent avec vivacite?
le domaine des spe? culations, et ne souffrent dans ce genre aucune
entrave; mais ils abandonnent assez volontiers aux puissants de
la terre tout le re? el de la vie. << Ce re? el, si de? daigne? par eux,
<< trouve pourtant des acque? reurs qui portent ensuite le trouble et
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? DES ALLEMANDS. 25
? la ge^ne dans l'empire me^me de l'imagination '. >> L'esprit des
Allemands et leur caracte`re paraissent n'avoir aucune communi-
cation ensemble : l'un ne peut souffrir de bornes, l'autre se sou-
met a` tous les jougs; l'un est tre`s-entreprenant, l'autre tre`s-ti-
mide; enfin, les lumie`res de l'un donnent rarement de la force a`
l'autre, et cela s'explique facilement. L'e? tendue des connais-
sances dans les temps modernes ne fait qu'affaiblir le caracte`re,
quand il n'est pas fortifie? par l'habitude des affaires et l'exercice
dela volonte? . Tout voir et tout comprendre est une grande rai-
son d'incertitude; et l'e? nergie de l'action ne se de? veloppe que
dans ces contre? es libres et puissantes, ou` les sentiments patrioti-
ques sont dans l'a^me comme le sang dans les veines, et ne se
glacent qu'avec la vieJ.
CHAPITRE III
Les femmes.
La nature et la socie? te? donnent aux femmes une grande habi-
tude de souffrir, et l'on ne saurait nier, ce me semble, que de
nos jours elles ne vaillent, en ge? ne? ral, mieux que les hommes.
Dans une e? poque ou` le mal universel est l'e? goi? sme, les hommes,
auxquels tous les inte? re^ts positifs se rapportent, doivent avoir
moins de ge? ne? rosite? , moins de sensibilite? que les femmes; elles
ne tiennent a` la vie que par les liens du coeur, et lorsqu'elles
s'e? garent, c'est encore parunsentiment qu'elles sont entrai^ne? es:
leur personnalite? est toujours a` deux, tandis que celle de l'homme
n'a que lui-me^me pour but. On leur rend hommage par les
affections qu'elles inspirent, mais celles qu'elles accordent sont
'Phrase supprime? e par les censeurs.
1 Je n'ai pas besoin de dire i^|ue c'e? tait l'Angleterre que je voulais de? signer
par ces paroles; mais quaud les noms propres ne sont pas articule? s, la plupart
des censeurs, hommes e? claire? s, se font un plaisir de ne pas comprendre. Il
n'en est pas de me^me de la police; elle a une sorte d'instinct vraiment remar-
quable contre les ide? es libe? rales, sous quelque forme qu'elles se pre? sentent,
et, dans ce genre, elle de? piste, comme nn habile chien de chasse, tout ce
qui pourrait re? veiller dans l'esprit des Franc? ais leur ancien amour pour les
lumiu`if-s et la liberte? .
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? 26 LES FEMMES.
presque toujours des sacrifices. La plus belle des vertus, le
de? vouement, est leur jouissance et leur destine? e; nul bonheur
ne peut exister pour elles que par le reflet de la gloire et des pros-
pe? rite? s d'un autre; enfin, vivre hors de soi-me^me, soit par les
ide? es, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, doune
a` l'a^me un sentiment habituel d'e? le? vation.
Dans les pays ou` les hommes sont appele? s par les institutions
politiques a` exercer toutes les vertus militaires et civiles qu'ins-
pire l'amour de la patrie , ils reprennent la supe? riorite? qui leur
appartient; ils rentrent avec e? clat dans leurs droits de mai^tre*
du monde : mais lorsqu'ils sont condamne? s de quelque manie`re
a` l'oisivete? , ou a` la servitude, ils tombent d'autant plus bas
qu'ils devaient s'e? lever plus haut. La destine? e des femmes reste
toujours la me^me, c'est leur a^me seule qui la fait, les circons-
tances politiques n'y influent en rien. Lorsque les hommes ne
savent pas, ou ne peuvent pas employer dignement et noblement
leur vie, la nature se venge sur eux des dons me^mes qu'ils en
ont rec? us; l'activite? du corps ne sert plus qu'a` la paresse de l'es-
prit, la force de l'a^me devient de la rudesse ; et le jour se passe
dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la
chasse, les festins, qui conviendraient comme de? lassement,
mais qui abrutissent comme occupations. Pendant ce temps, les
femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la re^verie con-
servent dans leur a^me l'image de tout ce qui est noble et beau.
Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout a` fait
particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un
teint e? blouissant; elles sont modestes, mais moins timides que
les Anglaises; on voit qu'elles ont rencontre? moins souvent des
hommes qui leur fussent supe? rieurs, et qu'elles ont d'ailleurs
moins a` craindre des jugements se? ve`res du public. Elles cher-
chent a` plaire par la sensibilite? , a` inte? resser par l'imagination;
la langue de la poe? sie et des beaux-arts leur est connue; elles
font de la coquetterie avec de l'enthousiasme, comme on en fait
en France avec de l'esprit et de la plaisanterie. La loyaute? par-
faite qui distingue le caracte`re des Allemands rend l'amour
moins dangereux pour le bonheur des femmes, et peut-e^tre
s'approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce
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? LES FEMMES. ST
qu'il est reve^tu de couleurs romanesques, et que le de? dain et
l'infide? lite? y sont moins a` redouter qu'ailleurs.
L'amour est une religion en Allemagne, mais une religion
poe? tique, qui tole`re trop volontiers tout ce que la sensibilite?
peut excuser. On ne saurait le nier, la facilite? du divorce, dans
lesprovinces protestantes, porte atteinte a` la saintete? du mariage.
On y change aussi paisiblement d'e? poux que s'il s'agissait d'ar-
ranger les incidents d'un drame; le bon naturel des hommes et
des femmes fait qu'on ne me^le point d'amertume a` ces faciles
ruptures, et, comme il y a chez les Allemands plus d'imagina-
tion que de vraie passion, les e? ve?
