e flamboyante, et
<< de l'autre deux clefs d'airain, entoure?
<< de l'autre deux clefs d'airain, entoure?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
chap-
pent d'Aquile? e en cendres; et cette exposition en mouvement,
non-seulement excite l'inte? re^t de`s les premiers vers de la pie`ce,
mais donne une ide? e terrible de la puissance d'Attila. C'est un
art ne? cessaire au the? a^tre, que de faire juger les principaux per-
sonnages, pluto^t par l'effet qu'ils produisent sur les autres, que
par un portrait, quelque frappant qu'il puisse e^tre. Un seul
homme, multiplie? par ceux qui lui obe? issent, remplit d'e? pou-
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? 298 ATTILA.
vante l'Asie et l'Europe. Quelle image gigantesque de la volonte?
absolue ce spectacle n'offre-t-il pas!
A co^te? d'Attila est une princesse de Bourgogne, Hildegonde,
qui doit l'e? pouser, et dont il se croit aime? . Cette princesse nour-
rit un profond sentiment de vengeance contre lui, parce qu'il a
tue? son pe`re et son amant. Elle ne veut s'unir a` lui que pour
l'assassiner; et, par un raffinement singulier de haine, elle l'a
soigne? lorsqu'il e? tait blesse? , de peur qu'il ne mouru^t de l'hono-
rable mort des guerriers. Cette femme est peinte comme la de? esse
de la guerre; ses cheveux blonds et sa tunique e? carlate semblent
re? unir en elle l'image de la faiblesse et de la fureur. C'est un
caracte`re myste? rieux, qui a d'abord un grand empire sur l'ima-
gination ; mais quand ce myste`re va toujours croissant; quand
le poe`te laisse supposer qu'une puissance infernale s'est empa- |re? e d'elle, et que non-seulement, a` la fin de la pie`ce, elle im-
mole Attila pendant la nuit de ses noces, mais poignarde a` co^te?
de lui son fils a^ge? de quatorze ans, il n'y a plus de trait de femme
dans cette cre? ature, et l'aversion qu'elle inspire l'emporte sur
l'effroi qu'elle peut causer Ne? anmoins, tout ce ro^le d'Hildegonde
est une invention originale; et, dans un poe`me e? pique, ou` l'on
admettrait les personnages alle? goriques, cette furie, sous des
traits doux, attache? e aux pas d'un tyran, comme la flatterie per-
fide, produirait sans doute un grand effet.
Enfin il parai^t, ce terrible Attila, au milieu des flammes qui
ont consume? la ville d'Aquile? e; il s'assied sur les ruines des
palais qu'il vient de renverser, et semble a` lui seul charge? d'ac-
complir en un jour l'oeuvre des sie`cles. Il a comme une sorte
de superstition envers lui-me^me, il est l'objet de son culte, il
croit en lui, il se regarde comme l'instrument des de? crets du
ciel, et cette conviction me^le un certain syste`me d'e? quite? a` ses
crimes. Il reproche a` ses ennemis leurs fautes, comme s'il n'en
avait pas commis plus qu'eux tous; il est fe? roce, et ne? anmoins
c'est un barbare ge? ne? reux; il est despote, et se montre pourtant
fide`le a` sa promesse; enfin, au milieu des richesses du monde,
il vit comme un soldat, et ne demande a` la terre que la jouis-
sance de la conque? rir. Attila remplit les fonctions dejuge dans la place publique,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ATTILA. 299
et la` il prononce sur les de? lits porte? s devant son tribunal d'a-
pre`s un instinct naturel, qui va plus au fond des actions que
les lois abstraites dont les de? cisions sont les me^mes pour tous
les cas. Il condamne son ami, coupable de parjure, l'embrasse
en pleurant, mais ordonne qu'a` l'instant il soit de? chire? par des
chevaux: l'ide? e d'une ne? cessite? inflexible le dirige; et sa propre
volonte? lui parai^t a` lui-me^me cette ne? cessite? . Les mouvements
de son a^me ont une sorte de rapidite? et de de? cision qui exclut
toute nuance; il semble que cette a^me se porte, comme une force
physique, irre? sistiblement et tout entie`re dans la direction
qu'elle suit. Enfin on ame`ne devant son tribunal un fratricide;
et comme il a tue? son fre`re, il se trouble, et refuse dejuger le
criminel. Attila, malgre? tous ses forfaits, se croyait charge? d'ac-
complir la justice divine sur la terre, et, pre`s de condamner
un homme pour un attentat pareil a` celui dont sa propre vie a
e? te? souille? e, quelque chose qui tient du remords le saisit au
fond de l'a^me.
Le second acte est une peinture vraiment admirable de la
cour de Valentinien a` Rome. L'auteur met en sce`ne, avec au-
tant de sagacite? que de justesse, la frivolite? du jeune empereur
Valentinien, que le danger de son empire ne de? tourne pas
de ses amusements accoutume? s; l'insolence de l'impe? ratrice-
me`re, qui ne sait pas dompter la moindre de ses haines, quand
il s'agit du bonheur de l'empire, et qui se pre^te a` toutes les bas-
sesses, de`s qu'un danger personnel la menace. Les courtisans,
infatigables dans leurs intrigues, cherchent encore a` se nuire
les uns aux autres, a` la veille de la ruine de tous; et la vieille
Rome est punie par un barbare, de s'e^tre montre? e elle-me^me si
tyrannique envers le monde : ce tableau est d'un poe`te historien
comme Tacite.
Au milieu de ces caracte`res si vrais apparai^t le pape Le? on,
personnage sublime donne? par l'histoire, et la princesse Hono-
ria, dont Attila re? clame l'he? ritage, afin de le lui rendre. Ho-
noria e? prouve en secret un amour passionne? pour le fier con-
que? rant qu'elle n'a jamais vu, mais dont la gloire l'enflamme.
On voit que l'intention de l'auteur a e? te? de faire d'Honoria et
d'Hildegonde le bon et le mauvais ge? nie d'Attila ; et de? ja` l'alle? -
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? 300 A1TILA.
gorie qu'on croit entrevoir dans ces personnages refroidit l'inte? -
re^t dramatique qu'ils pourraient inspirer. Cet inte? re^t ne? anmoins
se rele`ve admirablement dans plusieurs sce`nes de la pie`ce,
mais surtout lorsque Attila, apre`s avoir de? faitles troupes de
l'empereur Valentinien, marche a` Rome, et rencontre sur sa
route le pape Le? on, porte? sur un brancard, et pre? ce? de? de la
pompe sacerdotale.
Le? on le somme, au nom de Dieu, de ne pas entrer dans la
ville e? ternelle. Attila ressent tout a` coup une terreur religieuse
jusqu'alors e? trange`re a` son a^me. Il croit voir dans le ciel saint
Pierre qui, l'e? pe? e nue, lui de? fend d'avancer. Cette sce`ne est le
sujet d'un admirable tableau de Raphae? l. D'un co^te? , le plus
grand calme re`gne sur la figure du vieillard sans de? fense, en-
toure? par d'autres vieillards qui se confient, comme lui, a` la
protection de Dieu ; et de l'autre , l'effroi se peint sur la redou-
table figure du roi des Huns; son cheval me^me se cabre a` l'e? -
clat de la lumie`re ce? leste, et les guerriers de l'invincible baissent
les yeux devant les cheveux blancs du saint homme, qui passe
sans crainte au milieu d'eux.
Les paroles du poete expriment tre`s-bien la sublime inten-
tion du peintre; le discours de Le? on est une hymne inspire? e;
et la manie`re dont la conversion du guerrier du Nord est in-
dique? e , me semble aussi vraiment belle. Attila, les yeux tour-
ne? s vers le ciel, et contemplant l'apparition qu'il croit voir,
appelle E? de? con, l'un des chefs de son arme? e, et lui dit:
<< E? de? con, n'aperc? ois-tu pas la` haut un ge? ant terrible? ne l'a-
<< perc? ois-tu pas la`, au-dessus de la place me^me ou` le vieillard
<< s'est fait voir a` la clarte? du soleil?
E? DE? CON.
<< Je ne vois que des corbeaux qui se pre? cipitent en troupe sur
<< les morts qui vont leur servir de pa^ture. ATTILA.
<< Non, c'est un fanto^me; c'est peut-e^tre l'image de celui qui
<< peut seul absoudre ou condamner. Le vieillard ne l'a-t-il
<< pas pre? dit? Voila` ce ge? ant dont la te^te est dans le ciel et dont
les pieds touchent la terre; il menace de ses flammes la
<< place ou` nous sommes; il est la` devant nous , immobile; il
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? ATTILA. 301
<< dirige contre moi, comme un juge, son e? pe? e flamboyante.
E? DE? CON.
<< Ces flammes , ce sont les feux du ciel qui dorent dans ce
<< moment les coupoles des temples de Rome. ATTILA.
<< Oui, c'est un temple d'or, orne? de perles, qu'il porte sur
<< sa te^te blanchie; d'une main il tient l'e? pe?
e flamboyante, et
<< de l'autre deux clefs d'airain, entoure? es de fleurs et de
<< rayons; deux clefs que le ge? ant a rec? ues sans doute des mains
<< de Wodan, pour ouvrir ou fermer les portes de Walhalla' >>
De`s cet intant, la religion chre? tienne agit sur l'a^me d'Attila,
malgre? les croyances de ses ance^tres, et il ordonne a` son ar-
me? e de s'e? loigner de Rome.
On voudrait que la trage? die fini^t la`, et il y aurait de? ja` bien as-
sez de beaute? s pour plusieurs pie`ces bien ordonne? es; mais il
arrive un cinquie`me acte, pendant lequel Le? on, qui est un pape
beaucoup trop initie? dans la the? orie mystique de l'amour, con-
-duit la princesse Honoria dans le camp d'Attila, la nuit me^me
ou` Hildegondel'e? pouse et l'assassine. Le pape, qui sait d'avance
cet e? ve? nement, le pre? dit sans l'empe^cher, parce qu'il faut que
le sort d'Attila s'accomplisse. Honoria et le pape Le? on prient
pour Attila sur le the? a^tre. La pie`ce finit par un alleluia, et,
s'e? levant vers le ciel comme un encens de poe? sie, elle s'e? vapore
au lieu de se terminer.
La versification de Werner est pleine des admirables secrets
de l'harmonie, et l'on ne saurait donner en franc? ais l'ide? e de
son talent a` cet e? gard. Je me souviens, entre autres, dans une
de ses trage? dies tire? es de l'histoire de Pologne, de l'effet mer-
veilleux d'un choeur de jeunes ombres qui apparaissent dans les
airs: le poe`te sait changer l'allemand en une langue molle et
douce, que ces ombres fatigue? es et de? sinte? resse? es articulent
avecdes sons a` demi forme? s; tous les mots qu'elles prononcent,
toutes les rimes des vers sont, pour ainsi dire, vaporeuses. Le
sens aussi des paroles est admirablement adapte? a` la situation';
*'lles peignent si bien un froid repos, un terne regard! on y est le paradis des Scandinaves.
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? 302 I-K V1MGT-QUATRE FEVRIF. li.
entend le retentissement lointain de la vie ; et le pa^le reflet des
impressions efface? es jette sur toute la nature comme un voile
de nuages.
S'il y a dans les pie`ces de Werner des ombres qui ont ve? cu,
on y trouve aussi quelquefois des personnages fantastiques qui
semblent n'avoir pas encore rec? u l'existence terrestre. Dans le
prologue de Tarare de Beaumarchais, un ge? nie demande a` ces
e^tres imaginaires s'ils veulent nai^tre; et l'un d'entre eux re? -
pond: --Je ne m'y sens aucun empressement. --Cette spiri-
tuelle re? ponse pourrait s'appliquer a` la plupart de ces figures
alle? goriques qu'on voudrait introduire sur le the? a^tre allemand.
Werner a compose? sur les Templiers une pie`ce en deux volu-
mes, les Fils de la Valle? e, d'un grand inte? re^t pour ceux qui
sont initie? s dans la doctrine des ordres secrets ; car c'est pluto^t
l'esprit de ces ordres que la couleur historique qui s'y fait remar-
quer. Le poete cherche a` rattacher les Francs-Mac? ons aux Tem-
pliers, et s'applique a` faire voir que les me^mes traditions et le
me^me esprit se sont toujours conserve? s parmi eux. L'imagina-
tion de Werner se plai^t singulie`rement a` ces associations, qui
ont l'air de quelque chose de surnaturel, parce qu'elles multi-
plient d'une fac? on extraordinaire la force de chacun, en donnant
a` tous une tendance semblable. Cette pie`ce, ou ce poeme des
Fils de la Valle? e, a produit une grande sensation en Allemagne;
je doute qu'il obti^nt autant de succe`s parmi nous. Une autre composition de Werner, tre`s-digne de remarque,
c'est celle qui a pour sujet l'introduction du christianisme en
Prusse et en Livonie. Ce roman dramatique est intitule? , la
Croix sur la Baltique. Il y re`gne un sentiment tre`s-vif de ce
qui caracte? rise le Nord : la pe^che de l'ambre, les montagnes he? -
risse? es de glace, l'a^prete? du climat, l'action rapide de la belle
saison , l'hostilite? de la nature, la rudesse que cette lutte doit
inspirer a` l'homme; l'on reconnai^t dans ces tableaux un poe`te
qui a puise? dans ses propres sensations ce qu'il exprime et ce
qu'il de? crit.
J'ai vu jouer, sur un the? a^tre de socie? te? , une pie`ce de la com-
position de Werner, intitule? e le fingt-Quatre fe? vrier, pie`ce
sur laquelle les opinions doivent e^tre tre`s-partage? es. L'auteur
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? LE VINGT-QUATRE FEVBIER. 303
suppose que, dans les solitudes de la Suisse, il y avait une fa-
mille de paysans qui s'e? tait rendue coupable des plus grands cri-
mes, et quela male? diction paternelle poursuivait de pe`re en fils.
La troisie`me ge? ne? ration maudite pre? sente le spectacle d'un
homme qui a e? te? la cause de la mort de son pe`re en l'outrageant;
le fils de ce malheureux a, dans son enfance, tue? sa propre
soeur par un jeu cruel, mais sans savoir ce qu'il faisait. Apre`s
cet affreux e? ve? nement, il a disparu. Les travaux du pe`re parri-
cide ont toujours e? te? frappe? s de malheur depuis ce temps; ses
champs sont devenus ste? riles, ses bestiaux ont pe? ri, la pauvrete?
laplus horrible l'accable; ses cre? anciers le menacent de s'em-
parer de sa cabane, et de le jeter dans une prison; sa femme va
se trouver seule, errante au milieu des neiges des Alpes. Tout a`
coup arrive le fils, absent depuis vingt anne? es. Des sentiments
doux et religieux l'animent; il est plein de repentir, quoique
son intention n'ait pas e? te? coupable. Il revient chez son pe`re;
et, ne pouvant en e^tre reconnu, il veut d'abord lui cacher son
nom, pour gagner son affection avant de se dire son fils; mais
le pe`re devient avide et jaloux, dans sa mise`re, de l'argent que
porte avec lui cet ho^te, qui lui parai^t un e? tranger vagabond et
suspect ? , et, quand l'heure de minuit sonne, le vingt-quatre fe? -
vrier, anniversaire de la male? diction paternelle dont la famille
entie`re est frappe? e, il plonge un couteau dans le sein de son fils.
Celui-ci re? ve`le, en expirant, son secreta` l'homme doublement
coupable, assassin de son pe`re et de son enfant, et le mise? rable
va se livrer au tribunal qui doit le condamner.
Ces situations sont terribles-, elles produisent, on ne saurait
le nier, un grand effet; cependant on admire bien plus la cou-
leur poe? tique de cette pie`ce, et la gradation des motifs tire? s des
passions, que le sujet sur lequel elle est fonde? e. Transporter la destine? e funeste de la famille des Atrides chez
des hommes du peuple, c'est trop rapprocher des spectateurs
le tableau des crimes. L'e? clat du rang et la distance des sie`cles
donnent a` la sce? le? ratesse elle-me^me un genre de grandeur qui
s'accorde mieux avec l'ide? al des arts; mais quand vous voyez le
couteau au lieu du poignard; quand le site, les moeurs, les
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? 30'f. LE VINGT-QUATRE FE? VRIER.
personnages , peuvent se rencontrer sous vos yeux, vous avez
peur comme dans une chambre noire; mais ce n'est pas la` le
noble effroi qu'une trage? die doit causer.
Cependant, cette puissance de la male? diction paternelle, qui
semble repre? senter la Providence sur la terre, remue l'a^me for-
tement. La fatalite? des anciens est un caprice du destin ; mais la
fatalite? , dans le christianisme, est une ve? rite? morale sous une
forme effrayante. Quand l'homme ne ce`de pas au remords, l'a-
gitation me^me que ce remords lui fait e? prouver le pre? cipite dans
de nouveaux crimes; la conscience repousse? e se change en un
fanto^me qui trouble la raison.
La femme du paysan criminel est poursuivie par le souvenir
d'une romance qui raconte un parricide; et seule, pendant son
sommeil, elle ne peut s'empe^cher de la re? pe? ter a` demi-voix,
comme ces pense? es confuses et involontaires dont le retour fu-
neste semble un pre? sage intime du sort.
La description des Alpes et de leur solitude est de la plus
grande beaute? ; la demeure du coupable, la chaumie`re ou` se
passe la sce`ne, est loin de toute habitation; la cloche d'aucune
e? glise ne s'y fait entendre, et l'heure n'y est annonce? e que par
la pendule rustique, dernier meuble dont la pauvrete? n'a pu se
re? soudre a` se se? parer: le son monotone de cette pendule, dans
le fond de ces montagnes ou` le bruit de la vie n'arrive plus,
produit un fre? missement singulier. On se demande pourquoi du
temps dans ce lieu; pourquoi la division des heures, quand nul
inte? re^t ne les varie: et quand celle du crime se fait entendre,
on se rappelle cette belle ide? e d'un missionnaire qui supposait
que, dans l'enfer, les damne? s demandaient sans cesse : --Quelle
heure est-il? et qu'on leur re? pondait : -- L'e? ternite? .
On a reproche? a` Werner de mettre dans ses trage? dies des si-
tuations qui pre^tent aux beaute? s lyriques pluto^t qu'au de? velop-
pement des passions the? a^trales.
pent d'Aquile? e en cendres; et cette exposition en mouvement,
non-seulement excite l'inte? re^t de`s les premiers vers de la pie`ce,
mais donne une ide? e terrible de la puissance d'Attila. C'est un
art ne? cessaire au the? a^tre, que de faire juger les principaux per-
sonnages, pluto^t par l'effet qu'ils produisent sur les autres, que
par un portrait, quelque frappant qu'il puisse e^tre. Un seul
homme, multiplie? par ceux qui lui obe? issent, remplit d'e? pou-
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 298 ATTILA.
vante l'Asie et l'Europe. Quelle image gigantesque de la volonte?
absolue ce spectacle n'offre-t-il pas!
A co^te? d'Attila est une princesse de Bourgogne, Hildegonde,
qui doit l'e? pouser, et dont il se croit aime? . Cette princesse nour-
rit un profond sentiment de vengeance contre lui, parce qu'il a
tue? son pe`re et son amant. Elle ne veut s'unir a` lui que pour
l'assassiner; et, par un raffinement singulier de haine, elle l'a
soigne? lorsqu'il e? tait blesse? , de peur qu'il ne mouru^t de l'hono-
rable mort des guerriers. Cette femme est peinte comme la de? esse
de la guerre; ses cheveux blonds et sa tunique e? carlate semblent
re? unir en elle l'image de la faiblesse et de la fureur. C'est un
caracte`re myste? rieux, qui a d'abord un grand empire sur l'ima-
gination ; mais quand ce myste`re va toujours croissant; quand
le poe`te laisse supposer qu'une puissance infernale s'est empa- |re? e d'elle, et que non-seulement, a` la fin de la pie`ce, elle im-
mole Attila pendant la nuit de ses noces, mais poignarde a` co^te?
de lui son fils a^ge? de quatorze ans, il n'y a plus de trait de femme
dans cette cre? ature, et l'aversion qu'elle inspire l'emporte sur
l'effroi qu'elle peut causer Ne? anmoins, tout ce ro^le d'Hildegonde
est une invention originale; et, dans un poe`me e? pique, ou` l'on
admettrait les personnages alle? goriques, cette furie, sous des
traits doux, attache? e aux pas d'un tyran, comme la flatterie per-
fide, produirait sans doute un grand effet.
Enfin il parai^t, ce terrible Attila, au milieu des flammes qui
ont consume? la ville d'Aquile? e; il s'assied sur les ruines des
palais qu'il vient de renverser, et semble a` lui seul charge? d'ac-
complir en un jour l'oeuvre des sie`cles. Il a comme une sorte
de superstition envers lui-me^me, il est l'objet de son culte, il
croit en lui, il se regarde comme l'instrument des de? crets du
ciel, et cette conviction me^le un certain syste`me d'e? quite? a` ses
crimes. Il reproche a` ses ennemis leurs fautes, comme s'il n'en
avait pas commis plus qu'eux tous; il est fe? roce, et ne? anmoins
c'est un barbare ge? ne? reux; il est despote, et se montre pourtant
fide`le a` sa promesse; enfin, au milieu des richesses du monde,
il vit comme un soldat, et ne demande a` la terre que la jouis-
sance de la conque? rir. Attila remplit les fonctions dejuge dans la place publique,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? ATTILA. 299
et la` il prononce sur les de? lits porte? s devant son tribunal d'a-
pre`s un instinct naturel, qui va plus au fond des actions que
les lois abstraites dont les de? cisions sont les me^mes pour tous
les cas. Il condamne son ami, coupable de parjure, l'embrasse
en pleurant, mais ordonne qu'a` l'instant il soit de? chire? par des
chevaux: l'ide? e d'une ne? cessite? inflexible le dirige; et sa propre
volonte? lui parai^t a` lui-me^me cette ne? cessite? . Les mouvements
de son a^me ont une sorte de rapidite? et de de? cision qui exclut
toute nuance; il semble que cette a^me se porte, comme une force
physique, irre? sistiblement et tout entie`re dans la direction
qu'elle suit. Enfin on ame`ne devant son tribunal un fratricide;
et comme il a tue? son fre`re, il se trouble, et refuse dejuger le
criminel. Attila, malgre? tous ses forfaits, se croyait charge? d'ac-
complir la justice divine sur la terre, et, pre`s de condamner
un homme pour un attentat pareil a` celui dont sa propre vie a
e? te? souille? e, quelque chose qui tient du remords le saisit au
fond de l'a^me.
Le second acte est une peinture vraiment admirable de la
cour de Valentinien a` Rome. L'auteur met en sce`ne, avec au-
tant de sagacite? que de justesse, la frivolite? du jeune empereur
Valentinien, que le danger de son empire ne de? tourne pas
de ses amusements accoutume? s; l'insolence de l'impe? ratrice-
me`re, qui ne sait pas dompter la moindre de ses haines, quand
il s'agit du bonheur de l'empire, et qui se pre^te a` toutes les bas-
sesses, de`s qu'un danger personnel la menace. Les courtisans,
infatigables dans leurs intrigues, cherchent encore a` se nuire
les uns aux autres, a` la veille de la ruine de tous; et la vieille
Rome est punie par un barbare, de s'e^tre montre? e elle-me^me si
tyrannique envers le monde : ce tableau est d'un poe`te historien
comme Tacite.
Au milieu de ces caracte`res si vrais apparai^t le pape Le? on,
personnage sublime donne? par l'histoire, et la princesse Hono-
ria, dont Attila re? clame l'he? ritage, afin de le lui rendre. Ho-
noria e? prouve en secret un amour passionne? pour le fier con-
que? rant qu'elle n'a jamais vu, mais dont la gloire l'enflamme.
On voit que l'intention de l'auteur a e? te? de faire d'Honoria et
d'Hildegonde le bon et le mauvais ge? nie d'Attila ; et de? ja` l'alle? -
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 300 A1TILA.
gorie qu'on croit entrevoir dans ces personnages refroidit l'inte? -
re^t dramatique qu'ils pourraient inspirer. Cet inte? re^t ne? anmoins
se rele`ve admirablement dans plusieurs sce`nes de la pie`ce,
mais surtout lorsque Attila, apre`s avoir de? faitles troupes de
l'empereur Valentinien, marche a` Rome, et rencontre sur sa
route le pape Le? on, porte? sur un brancard, et pre? ce? de? de la
pompe sacerdotale.
Le? on le somme, au nom de Dieu, de ne pas entrer dans la
ville e? ternelle. Attila ressent tout a` coup une terreur religieuse
jusqu'alors e? trange`re a` son a^me. Il croit voir dans le ciel saint
Pierre qui, l'e? pe? e nue, lui de? fend d'avancer. Cette sce`ne est le
sujet d'un admirable tableau de Raphae? l. D'un co^te? , le plus
grand calme re`gne sur la figure du vieillard sans de? fense, en-
toure? par d'autres vieillards qui se confient, comme lui, a` la
protection de Dieu ; et de l'autre , l'effroi se peint sur la redou-
table figure du roi des Huns; son cheval me^me se cabre a` l'e? -
clat de la lumie`re ce? leste, et les guerriers de l'invincible baissent
les yeux devant les cheveux blancs du saint homme, qui passe
sans crainte au milieu d'eux.
Les paroles du poete expriment tre`s-bien la sublime inten-
tion du peintre; le discours de Le? on est une hymne inspire? e;
et la manie`re dont la conversion du guerrier du Nord est in-
dique? e , me semble aussi vraiment belle. Attila, les yeux tour-
ne? s vers le ciel, et contemplant l'apparition qu'il croit voir,
appelle E? de? con, l'un des chefs de son arme? e, et lui dit:
<< E? de? con, n'aperc? ois-tu pas la` haut un ge? ant terrible? ne l'a-
<< perc? ois-tu pas la`, au-dessus de la place me^me ou` le vieillard
<< s'est fait voir a` la clarte? du soleil?
E? DE? CON.
<< Je ne vois que des corbeaux qui se pre? cipitent en troupe sur
<< les morts qui vont leur servir de pa^ture. ATTILA.
<< Non, c'est un fanto^me; c'est peut-e^tre l'image de celui qui
<< peut seul absoudre ou condamner. Le vieillard ne l'a-t-il
<< pas pre? dit? Voila` ce ge? ant dont la te^te est dans le ciel et dont
les pieds touchent la terre; il menace de ses flammes la
<< place ou` nous sommes; il est la` devant nous , immobile; il
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? ATTILA. 301
<< dirige contre moi, comme un juge, son e? pe? e flamboyante.
E? DE? CON.
<< Ces flammes , ce sont les feux du ciel qui dorent dans ce
<< moment les coupoles des temples de Rome. ATTILA.
<< Oui, c'est un temple d'or, orne? de perles, qu'il porte sur
<< sa te^te blanchie; d'une main il tient l'e? pe?
e flamboyante, et
<< de l'autre deux clefs d'airain, entoure? es de fleurs et de
<< rayons; deux clefs que le ge? ant a rec? ues sans doute des mains
<< de Wodan, pour ouvrir ou fermer les portes de Walhalla' >>
De`s cet intant, la religion chre? tienne agit sur l'a^me d'Attila,
malgre? les croyances de ses ance^tres, et il ordonne a` son ar-
me? e de s'e? loigner de Rome.
On voudrait que la trage? die fini^t la`, et il y aurait de? ja` bien as-
sez de beaute? s pour plusieurs pie`ces bien ordonne? es; mais il
arrive un cinquie`me acte, pendant lequel Le? on, qui est un pape
beaucoup trop initie? dans la the? orie mystique de l'amour, con-
-duit la princesse Honoria dans le camp d'Attila, la nuit me^me
ou` Hildegondel'e? pouse et l'assassine. Le pape, qui sait d'avance
cet e? ve? nement, le pre? dit sans l'empe^cher, parce qu'il faut que
le sort d'Attila s'accomplisse. Honoria et le pape Le? on prient
pour Attila sur le the? a^tre. La pie`ce finit par un alleluia, et,
s'e? levant vers le ciel comme un encens de poe? sie, elle s'e? vapore
au lieu de se terminer.
La versification de Werner est pleine des admirables secrets
de l'harmonie, et l'on ne saurait donner en franc? ais l'ide? e de
son talent a` cet e? gard. Je me souviens, entre autres, dans une
de ses trage? dies tire? es de l'histoire de Pologne, de l'effet mer-
veilleux d'un choeur de jeunes ombres qui apparaissent dans les
airs: le poe`te sait changer l'allemand en une langue molle et
douce, que ces ombres fatigue? es et de? sinte? resse? es articulent
avecdes sons a` demi forme? s; tous les mots qu'elles prononcent,
toutes les rimes des vers sont, pour ainsi dire, vaporeuses. Le
sens aussi des paroles est admirablement adapte? a` la situation';
*'lles peignent si bien un froid repos, un terne regard! on y est le paradis des Scandinaves.
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? 302 I-K V1MGT-QUATRE FEVRIF. li.
entend le retentissement lointain de la vie ; et le pa^le reflet des
impressions efface? es jette sur toute la nature comme un voile
de nuages.
S'il y a dans les pie`ces de Werner des ombres qui ont ve? cu,
on y trouve aussi quelquefois des personnages fantastiques qui
semblent n'avoir pas encore rec? u l'existence terrestre. Dans le
prologue de Tarare de Beaumarchais, un ge? nie demande a` ces
e^tres imaginaires s'ils veulent nai^tre; et l'un d'entre eux re? -
pond: --Je ne m'y sens aucun empressement. --Cette spiri-
tuelle re? ponse pourrait s'appliquer a` la plupart de ces figures
alle? goriques qu'on voudrait introduire sur le the? a^tre allemand.
Werner a compose? sur les Templiers une pie`ce en deux volu-
mes, les Fils de la Valle? e, d'un grand inte? re^t pour ceux qui
sont initie? s dans la doctrine des ordres secrets ; car c'est pluto^t
l'esprit de ces ordres que la couleur historique qui s'y fait remar-
quer. Le poete cherche a` rattacher les Francs-Mac? ons aux Tem-
pliers, et s'applique a` faire voir que les me^mes traditions et le
me^me esprit se sont toujours conserve? s parmi eux. L'imagina-
tion de Werner se plai^t singulie`rement a` ces associations, qui
ont l'air de quelque chose de surnaturel, parce qu'elles multi-
plient d'une fac? on extraordinaire la force de chacun, en donnant
a` tous une tendance semblable. Cette pie`ce, ou ce poeme des
Fils de la Valle? e, a produit une grande sensation en Allemagne;
je doute qu'il obti^nt autant de succe`s parmi nous. Une autre composition de Werner, tre`s-digne de remarque,
c'est celle qui a pour sujet l'introduction du christianisme en
Prusse et en Livonie. Ce roman dramatique est intitule? , la
Croix sur la Baltique. Il y re`gne un sentiment tre`s-vif de ce
qui caracte? rise le Nord : la pe^che de l'ambre, les montagnes he? -
risse? es de glace, l'a^prete? du climat, l'action rapide de la belle
saison , l'hostilite? de la nature, la rudesse que cette lutte doit
inspirer a` l'homme; l'on reconnai^t dans ces tableaux un poe`te
qui a puise? dans ses propres sensations ce qu'il exprime et ce
qu'il de? crit.
J'ai vu jouer, sur un the? a^tre de socie? te? , une pie`ce de la com-
position de Werner, intitule? e le fingt-Quatre fe? vrier, pie`ce
sur laquelle les opinions doivent e^tre tre`s-partage? es. L'auteur
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? LE VINGT-QUATRE FEVBIER. 303
suppose que, dans les solitudes de la Suisse, il y avait une fa-
mille de paysans qui s'e? tait rendue coupable des plus grands cri-
mes, et quela male? diction paternelle poursuivait de pe`re en fils.
La troisie`me ge? ne? ration maudite pre? sente le spectacle d'un
homme qui a e? te? la cause de la mort de son pe`re en l'outrageant;
le fils de ce malheureux a, dans son enfance, tue? sa propre
soeur par un jeu cruel, mais sans savoir ce qu'il faisait. Apre`s
cet affreux e? ve? nement, il a disparu. Les travaux du pe`re parri-
cide ont toujours e? te? frappe? s de malheur depuis ce temps; ses
champs sont devenus ste? riles, ses bestiaux ont pe? ri, la pauvrete?
laplus horrible l'accable; ses cre? anciers le menacent de s'em-
parer de sa cabane, et de le jeter dans une prison; sa femme va
se trouver seule, errante au milieu des neiges des Alpes. Tout a`
coup arrive le fils, absent depuis vingt anne? es. Des sentiments
doux et religieux l'animent; il est plein de repentir, quoique
son intention n'ait pas e? te? coupable. Il revient chez son pe`re;
et, ne pouvant en e^tre reconnu, il veut d'abord lui cacher son
nom, pour gagner son affection avant de se dire son fils; mais
le pe`re devient avide et jaloux, dans sa mise`re, de l'argent que
porte avec lui cet ho^te, qui lui parai^t un e? tranger vagabond et
suspect ? , et, quand l'heure de minuit sonne, le vingt-quatre fe? -
vrier, anniversaire de la male? diction paternelle dont la famille
entie`re est frappe? e, il plonge un couteau dans le sein de son fils.
Celui-ci re? ve`le, en expirant, son secreta` l'homme doublement
coupable, assassin de son pe`re et de son enfant, et le mise? rable
va se livrer au tribunal qui doit le condamner.
Ces situations sont terribles-, elles produisent, on ne saurait
le nier, un grand effet; cependant on admire bien plus la cou-
leur poe? tique de cette pie`ce, et la gradation des motifs tire? s des
passions, que le sujet sur lequel elle est fonde? e. Transporter la destine? e funeste de la famille des Atrides chez
des hommes du peuple, c'est trop rapprocher des spectateurs
le tableau des crimes. L'e? clat du rang et la distance des sie`cles
donnent a` la sce? le? ratesse elle-me^me un genre de grandeur qui
s'accorde mieux avec l'ide? al des arts; mais quand vous voyez le
couteau au lieu du poignard; quand le site, les moeurs, les
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? 30'f. LE VINGT-QUATRE FE? VRIER.
personnages , peuvent se rencontrer sous vos yeux, vous avez
peur comme dans une chambre noire; mais ce n'est pas la` le
noble effroi qu'une trage? die doit causer.
Cependant, cette puissance de la male? diction paternelle, qui
semble repre? senter la Providence sur la terre, remue l'a^me for-
tement. La fatalite? des anciens est un caprice du destin ; mais la
fatalite? , dans le christianisme, est une ve? rite? morale sous une
forme effrayante. Quand l'homme ne ce`de pas au remords, l'a-
gitation me^me que ce remords lui fait e? prouver le pre? cipite dans
de nouveaux crimes; la conscience repousse? e se change en un
fanto^me qui trouble la raison.
La femme du paysan criminel est poursuivie par le souvenir
d'une romance qui raconte un parricide; et seule, pendant son
sommeil, elle ne peut s'empe^cher de la re? pe? ter a` demi-voix,
comme ces pense? es confuses et involontaires dont le retour fu-
neste semble un pre? sage intime du sort.
La description des Alpes et de leur solitude est de la plus
grande beaute? ; la demeure du coupable, la chaumie`re ou` se
passe la sce`ne, est loin de toute habitation; la cloche d'aucune
e? glise ne s'y fait entendre, et l'heure n'y est annonce? e que par
la pendule rustique, dernier meuble dont la pauvrete? n'a pu se
re? soudre a` se se? parer: le son monotone de cette pendule, dans
le fond de ces montagnes ou` le bruit de la vie n'arrive plus,
produit un fre? missement singulier. On se demande pourquoi du
temps dans ce lieu; pourquoi la division des heures, quand nul
inte? re^t ne les varie: et quand celle du crime se fait entendre,
on se rappelle cette belle ide? e d'un missionnaire qui supposait
que, dans l'enfer, les damne? s demandaient sans cesse : --Quelle
heure est-il? et qu'on leur re? pondait : -- L'e? ternite? .
On a reproche? a` Werner de mettre dans ses trage? dies des si-
tuations qui pre^tent aux beaute? s lyriques pluto^t qu'au de? velop-
pement des passions the? a^trales.
