Il y a dans son esprit une vi-
gueur que la sensibilite?
gueur que la sensibilite?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
hathitrust.
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? LESSIiVG ET WINCKELMANK. 125
maisons enfume? es, le remplissait detristesse. il lui semblait
qu'il ne pouvait plus gou^ter les arts, quand il ne respirait plus
l'air qui les a fait nai^tre. Quelle e? loquence contemplative dans
ce qu'il e? crit sur l'Apollon du Belve? de`re, sur le Laocoon! Son
style est calme et majestueux comme l'objet qu'il conside`re. Il
donne a` l'art d'e? crire l'imposante dignite? des monuments, et sa
description produit la me^me sensation que la statue. Nul, avant
lui, n'avait re? uni des observations exactes et profondes a` une
admiration si pleine de vie; c'est ainsi seulement qu'on peut
comprendre les beaux-arts. Il faut que l'attention qu'ils excitent
vienne de l'amour, et qu'on de? couvre dans les chefs-d'oeuvre
du talent, comme dans les traits d'un e^tre che? ri, mille charmes
re? ve? le? s par les sentiments qu'ils inspirent.
Des poetes, avant Winckelmann, avaient e? tudie? les trage? dies
des Grecs, pour les adapter a` nos the? a^tres. On connaissait des
e? rudits qu'on pouvait consulter comme des livres; mais per-
sonne ne s'e? tait fait, pour ainsi dire, pai? en pour pe? ne? trer l'anti-
quite? . Winckelmann a les de? fauts et les avantages d'un Grec
amateur des arts, et l'on sent, dans ses e? crits, le culte de la
beaute? , tel qu'il existait chez un peuple ou` si souvent elle obtint
les honneurs de l'apothe? ose.
L'imagination et l'e? rudition pre^taient e? galement a` Winckel-
inann leurs lumie`res diffe? rentes; on e? tait persuade? jusqu'a` lui
qu'elles s'excluaient mutuellement. Il a fait voir que, pour devi-
ner les anciens, l'une e? tait aussi ne? cessaire que l'autre. On ne
peut donner de la vie aux objets de l'art que par la connaissance
intime du pays et de l'e? poque dans laquelle ils ont existe? . Les
traits vagues ne captivent point l'inte? re^t. Pour animer les re? cits
et les fictions dont les sie`cles passe? s sont le the? a^tre, il faut que
l'e? rudition me^me seconde l'imagination, et la rende, s'il est
possible, te? moin de ce qu'elle doit peindre, et contemporaine
de ce qu'elle raconte.
Zadig devinait, par quelques traces confuses, par quelques
mots a` demi de? chire? s, des circonstances qu'il de? duisait toutes
des plus le? gers indices. C'est ainsi qu'il faut prendre l'e? rudition
pour guide a` travers l'antiquite? ; les vestiges qu'on aperc? oit sont
interrompus, efface? s, difficiles a` saisir; mais, en s'aidant a` la 11.
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? 126 LESSING ET WINCKELMANN.
fois de l'imagination et de l'e? tude, ou recompose le temps, et l'on
refait la vie.
Quand les tribunaux sont appele? s a` de? cider sur l'existence d'un
fait, c'est quelquefois une le? ge`re circonstance qui les e? claire.
L'imagination est, a` cet e? gard, comme un juge; un mot, un
usage, une allusion saisie dans les ouvrages des anciens, lui
sert de lueur pour arriver a` la connaissance de la ve? rite? tout
entie`re.
Winckelmann sut appliquer a` l'examen des monuments des
arts l'esprit de jugement qui sert a` la connaissance des hommes;
il e? tudie la physionomie d'une statue comme celle d'un e^tre vi-
vant. Il saisit avec une grande justesse les moindres observations,
dont il sait tirer des conclusions frappantes. Telle physionomie,
tel attribut, tel ve^tement, peut tout a` coup jeter un jour inat-
tendu sur de longues recherches. Les cheveux de Ce? re`s sont re-
leve? s avec un de? sordre qui ne convient pas a` Minerve; la perte
de Proserpine a pour jamais trouble? l'a^me de sa me`re. Minos,
fils et disciple de Jupiter, a, dans les me? dailles, les me^mes traits
que son pe`re; cependant, la majeste? calme de l'un, et l'expres-
sion se? ve`re de l'autre, distinguent le souverain des dieux du
juge des hommes. Le torse est un fragment de la statue d'Her-
cule divinise? , de celui qui rec? oit d'He? be? la coupe de l'immorta-
lite? , tandis que l'Hercule Farne`se ne posse`de encore que les
attributs d'un mortel; chaque contour du torse, aussi e? nergique,
mais plus arrondi, caracte? rise encore la force du he? ros, mais
du he? ros qui, place? dans le ciel, est de? sormais absous des rudes
travaux de la terre. Tout est symbolique dans les arts, et la na-
ture se montre sous mille apparences diverses dans ces statues,
dans ces tableaux, dansees poe? sies, ou` l'immobilite? doit indi-
quer le mouvement, ou` l'exte? rieur doit re? ve? ler le fond de l'a^me,
ou` l'existence d'un instant doit e^tre e? ternise? e.
Winckelmann abanni des beaux-arts, en Europe, le me? lange
du gou^t antique et du gou^t moderne. En Allemagne, son in-
fluence s'est encore plus montre? e dans la litte? rature que dans les
arts. Nous serons conduits a` examiner par la suite si l'imitation
scrupuleuse des anciens est compatible avec l'originalite? natu-
relle, ou pluto^t si nous devons sacrifier cette originalite? naturelle,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? GOETHE. 127
pour nous astreindre a` choisir des sujets dans lesquels la poe? sie,
comme la peinture, n'ayant pour mode`le rien de vivant, ne
peuvent repre? senter que des statues; mais cette discussion est
e? trange`re au me? rite de Winckelmann; il a fait connai^tre en quoi
consistait le gou^t antique dans les beaux-arts; c'e? tait aux moder-
nes a` sentir ce qu'il leur convenait d'adopter ou de rejeter a` cet
e? gard. Lorsqu'un homme de talent parvient a` manifester les se-
crets d'une nature antique ou e? trange`re, il rend service par l'im-
pulsion qu'il trace: l'e? motion rec? ue doit se transformer en nous-me^mes: et plus cette e? motion est vraie, moins elle inspire une
servile imitation.
Winckelmann a de? veloppe? les vrais principes admis mainte-
nant dans les arts sur l'ide? al, sur cette nature perfectionne? e
dont le type est dans notre imagination, et non au dehors de
nous. L'application de ces principes a` la litte? rature est singulie`-
rement fe? conde.
La poe? tique de tous les arts est rassemble? e sous un me^me
point de vue dans les e? crits de Winckelmann, et tous y ont ga-
gne? . On a mieux compris la poe? sie par la sculpture, la sculpture
parla poe? sie, et l'on a e? te? conduit par les arts des Grecs a` leur
philosophie. La me? taphysique ide? aliste, chez les Allemands
comme chez les Grecs, a pour origine le culte dela beaute? par
excellence, que notre a^me seule peut concevoir et reconnai^tre;
c'est un souvenir du ciel, notre ancienne patrie, que cette beaute?
merveilleuse; les chefs-d'oeuvre de Phidias, les trage? dies de
Sophocle et la doctrine de Platon, s'accordent pour nous en don-
ner la me^me ide? e sous des formes diffe? rentes.
CHAPITRE VII.
Goethe.
Ce qui manquait a` Klopstock, c'e? tait une imagination cre? a-
trice : il mettait de grandes pense? es et de nobles sentiments en
beaux vers, mais il n'e? tait pas ce qu'on peut appeler artiste.
Ses inventions sont faibles, et les couleurs dont il les reve^t n'ont
presque jamais cette ple? nitude de force qu'on aime a` rencontrer
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 128 GOETHE.
dans la poe? sie, et dans tous les arts qui devaient donner a` la
fiction l'e? nergie et l'originalite? de la nature. Klopstock s'e? gare
dans l'ide? al : Goethe ne perd jamais terre, tout en atteignant
aux conceptions les plus sublimes.
Il y a dans son esprit une vi-
gueur que la sensibilite? n'a point affaiblie. Goethe pourrait re-
pre? senter la litte? rature allemande tout entie`re; non qu'il n'y ait
d'autres e? crivains supe? rieurs a` lui, sous quelques rapports, mais
seul il re? unit tout ce qui distingue l'esprit allemand, et nul n'est
aussi remarquable par un genre d'imagination dont les Italiens,
les Anglais ni les Franc? ais ne peuvent re? clamer aucune part.
Goethe ayant e? crit dans tous les genres, l'examen de ses ou-
vrages remplira la plus grande partie des chapitres suivants;
mais la connaissance personnelle de l'homme qui a le plus influe?
sur la litte? rature de son pays sert, ce me semble, a` mieux com-
prendre cette litte? rature.
Goethe est un homme d'un esprit prodigieux en conversation;
et l'on a beau dire, l'esprit doit savoir causer. On peut pre? senter
quelques exemples d'hommes de ge? nie taciturnes: la timidite? ,
le malheur, le de? dain ou l'ennui, en sont souvent la cause; mais
en ge? ne? ral l'e? tendue des ide? es et la chaleur de l'a^me doivent ins-
pirer le besoin de se communiquer aux autres; et ces hommes,
qui ne veulent pas e^tre juge? s par ce qu'ils disent, pourraient
bien ne pas me? riter plus d'inte? re^t pour ce qu'ils pensent. Quand
on sait faire parler Goethe, il est admirable; son e? loquence est
nourrie de pense? es; sa plaisanterie est en me^me temps pleine de
gra^ce et de philosophie; son imagination est frappe? e par les ob-
jets exte? rieurs, comme l'e? tait celle des artistes chez les anciens;
et ne? anmoins sa raison n'a que trop la maturite? de notre temps.
Rien ne trouble la force de sa te^te; et les inconve? nients me^me de
son caracte`re, l'humeur, l'embarras, la contrainte, passent
comme des nuages au bas de la montagne sur le sommet de
laquelle son ge? nie est place? .
Ce qu'on nous raconte de l'entretien de Diderot pourrait don-
ner quelque ide? e de celui de Goethe; mais, si l'on en juge par
les e? crits de Diderot, la distance doit e^tre infinie entre ces deux
hommes. Diderot est sous le joug de son esprit; Goethe domine
me^me son talent: Diderot est affecte? , a` force de vouloir faire ef-
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? GOETHE. 129
fet; on aperc? oit le de? dain du succe`s dans Goethe, a` un degre? qui
plai^t singulie`rement, alors me^me qu'on s'impatiente de sa ne? gli-
gence. Diderota besoin de supple? er, a` force de philanthropie, aux
sentiments religieux qui lui manquent; Goethe serait plus volon-
tiers amer que doucereux; mais ce qu'il est avant tout, c'est na-
turel; et sans cette qualite? , en effet, qu'y a-t-il dans un homme
qui puisse en inte? resser un autre?
Goethe n'a plus cette ardeur entrai^nante qui lui inspira Wer-
ther; mais la chaleur de ses pense? es suffit encore pour tout ani-
mer. On dirait qu'il n'est pas atteint par la vie, et qu'il la de? crit
seulement en peintre: il attache plus de prix maintenant aux ta-
bleaux qu'il nous pre? sente qu'aux e? motions qu'il e? prouve; le
temps l'a rendu spectateur. Quand il avait encore une part active
dansles sce`nes des passions, quand il souffrait lui-me^me par le
coeur, ses e? crits produisaient une impression plus vive.
Comme on se fait toujours la poe? tique de son talent, Goethe
soutient a` pre? sent qu'il faut que l'auteur soit calme, alors me^me
qu'il compose un ouvrage passionne? , et que l'artiste doit conser-
ver son sang-froid pour agir plus fortement sur l'imagination de
ses lecteurs: peut-e^tre n'aurait-il pas eu cette opinion dans sa
premie`re jeunesse: peut-e^tre alors e? tait-il posse? de? par son ge? nie,
au lieu d'en e^tre le mai^tre; peut-e^tre sentait-il alors que le su-
blime et le divin e? tant momentane? s dans le coeur de l'homme, le
poe`te est infe? rieur a` l'inspiration qui l'anime, et ne peut la juger
sans la perdre.
Au premier moment, on s'e? tonne de trouver de la froideur
et me^me quelque chose de roide a` l'auteur de Werther; mais
quand on obtient de lui qu'il se mette a` l'aise, le mouvement de
son imagination fait disparai^tre en entier la ge^ne qu'on a d'ahord
sentie : c'est un homme dont l'esprit est universel, et impartial
parce qu'il est universel; car il n'y a point d'indiffe? rence dans
son impartialite? : c'est une double existence, une double force,
une double lumie`re qui e? claire a` la fois dans toute chose les deux
co^te? s de la question. Quand il s'agit de penser, rien ne l'arre^te,
ni son sie`cle, ni ses habitudes, ni ses relations; il fait tomber a`
plomb son regard d'aigle sur les objets qu'il observe; s'il avaiteu une carrie`re politique, si son a^me s'e? tait de? veloppe? e par les
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? 130 GOETHE.
actions, son caracte`re serait plus de? cide? , plus ferme, plus patriote; mais son esprit ne planerait pas si librement sur toutes
les manie`res de voir; les passions ou les inte? re^ts lui traceraient
une route positive. Goethe se plai^t, dans ses e? crits comme dans ses discours, a`
briser les filsqu'il a tissus lui-me^me, a` de? jouer les e? motions qu'il
excite, a` renverser les statues qu'il a fait admirer. Lorsque dans
ses fictions il inspire de l'inte? re^t pour un caracte`re, biento^t il
montre les inconse? quences qui doivent en de? tacher. Il dispose
du monde poe? tique , comme un conque? rant du monde re? el, et se
croit assez fort pour introduire, comme la nature, le ge? nie des-
tructeur dans ses propres ouvrages. S'il n'e? tait pas un homme
estimable, on aurait peur d'un genre de supe? riorite? qui s'e? le`ve au-dessus de tout, de? grade et rele`ve, attendrit et persifle, affirme
et doute alternativement, et toujours avec le me^me succe`s.
J'ai dit que Goethe posse? dait a` lui seul les traits principaux
du ge? nie allemand; on les trouve tous en lui a` un degre? e? minent:
une grande profondeur d'ide? es, la gra^ce qui nai^t de l'imagina-
tion, gra^ce plus originale que celle que donne l'esprit de socie? te? ;
enfin une sensibilite? quelquefois fantastique, mais par cela me^me
plus faite pour inte? resser des lecteurs qui cherchent dans les li-
vres de quoi varier leur destine? e monotone, et veulent que la
poe? sie leur tienne lieu d'e? ve? nements ve? ritables. Si Goethe e? tait
Franc? ais, on le ferait parler du matin au soir: tous les auteurs
contemporains de Diderot allaient puiser des ide? es dans son en-
tretien, et lui donnaient une jouissance habituelle par l'admira-
tion qu'il inspirait. En Allemagne, on ne sait pas de? penser son
talent dans la conversation; et si peu de gens, me^me parmi les
plus distingue? s, ont l'habitude d'interroger et de re? pondre, que
la socie? te? n'y compte pour presque rien; mais l'influence de Goe-
the n'en est pas moins extraordinaire II y a une foule d'hommes
en Allemagne qui croiraient trouverdu ge? nie dans l'adresse d'une
lettre, si c'e? tait lui qui l'eu^t mise. L'admiration pour Goethe
est une espe`ce de confre? rie dont les mots de ralliement servent
a` faire connai^tre les adeptes les uns aux autres. Quand les e? tran-
gers veulent aussi l'admirer, ils sont rejete? s avec de? dain, si quel-
ques restrictions laissent supposer qu'ils se sont permis d'exami-
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? SCBILLER. 131
lier des ouvrages qui gagnent cependant beaucoup a` l'examen.
Un homme ne peut exciter un tel fanatisme sans avoir de grandes
faculte? s pour le bien et pour le mal ; car il n'y a que la puissance,
dans quelque genre que ce soit, que les hommes craignent assez
pour l'aimer de cette manie`re.
CHAPITRE VIII. Schiller.
Schiller e? tait un homme d'un ge? nie rare et d'une bonne foi
parfaite; ces deux qualite? s devraient e^tre inse? parables, au moins
dans un homme de lettres. La pense? e ne peut e^tre mise a` l'e? gal
de l'action que quand elle re? veille en nous l'image de la ve? rite? ;
le mensonge est plus de? gou^tant encore dans les e? crits que dans
la conduite. Les actions ,. me^me trompeuses, restent encore des
actions, et l'on sait a` quoi se prendre pour les juger ou pour les
hai? r; mais les ouvrages ne sont qu'un amas fastidieux de vaines
paroles, quand ils ne partent pas d'une conviction since`re.
Il n'y a pas une plus belle carrie`re que celle des lettres, quand
on la suit comme Schiller. Il est vrai qu'il y a tant de se? rieux et
de loyaute? dans tout, en Allemagne, que c'est la` seulement qu'on
peut connai^tre d'une manie`re comple`te le caracte`re et les devoirs
de chaque vocation. Ne? anmoins Schiller e? tait admirable entre
tous, par ses vertus autant que par ses talents. La conscience
e? tait sa muse: celle-la` n'a pas besoin d'e^tre invoque? e, car on
l'entend toujours quand on l'e? coute une fois. Il aimait la poe? sie,
l'art dramatique, l'histoire, la litte? rature pour elle-me^me. Il
aurait e? te?
? LESSIiVG ET WINCKELMANK. 125
maisons enfume? es, le remplissait detristesse. il lui semblait
qu'il ne pouvait plus gou^ter les arts, quand il ne respirait plus
l'air qui les a fait nai^tre. Quelle e? loquence contemplative dans
ce qu'il e? crit sur l'Apollon du Belve? de`re, sur le Laocoon! Son
style est calme et majestueux comme l'objet qu'il conside`re. Il
donne a` l'art d'e? crire l'imposante dignite? des monuments, et sa
description produit la me^me sensation que la statue. Nul, avant
lui, n'avait re? uni des observations exactes et profondes a` une
admiration si pleine de vie; c'est ainsi seulement qu'on peut
comprendre les beaux-arts. Il faut que l'attention qu'ils excitent
vienne de l'amour, et qu'on de? couvre dans les chefs-d'oeuvre
du talent, comme dans les traits d'un e^tre che? ri, mille charmes
re? ve? le? s par les sentiments qu'ils inspirent.
Des poetes, avant Winckelmann, avaient e? tudie? les trage? dies
des Grecs, pour les adapter a` nos the? a^tres. On connaissait des
e? rudits qu'on pouvait consulter comme des livres; mais per-
sonne ne s'e? tait fait, pour ainsi dire, pai? en pour pe? ne? trer l'anti-
quite? . Winckelmann a les de? fauts et les avantages d'un Grec
amateur des arts, et l'on sent, dans ses e? crits, le culte de la
beaute? , tel qu'il existait chez un peuple ou` si souvent elle obtint
les honneurs de l'apothe? ose.
L'imagination et l'e? rudition pre^taient e? galement a` Winckel-
inann leurs lumie`res diffe? rentes; on e? tait persuade? jusqu'a` lui
qu'elles s'excluaient mutuellement. Il a fait voir que, pour devi-
ner les anciens, l'une e? tait aussi ne? cessaire que l'autre. On ne
peut donner de la vie aux objets de l'art que par la connaissance
intime du pays et de l'e? poque dans laquelle ils ont existe? . Les
traits vagues ne captivent point l'inte? re^t. Pour animer les re? cits
et les fictions dont les sie`cles passe? s sont le the? a^tre, il faut que
l'e? rudition me^me seconde l'imagination, et la rende, s'il est
possible, te? moin de ce qu'elle doit peindre, et contemporaine
de ce qu'elle raconte.
Zadig devinait, par quelques traces confuses, par quelques
mots a` demi de? chire? s, des circonstances qu'il de? duisait toutes
des plus le? gers indices. C'est ainsi qu'il faut prendre l'e? rudition
pour guide a` travers l'antiquite? ; les vestiges qu'on aperc? oit sont
interrompus, efface? s, difficiles a` saisir; mais, en s'aidant a` la 11.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 126 LESSING ET WINCKELMANN.
fois de l'imagination et de l'e? tude, ou recompose le temps, et l'on
refait la vie.
Quand les tribunaux sont appele? s a` de? cider sur l'existence d'un
fait, c'est quelquefois une le? ge`re circonstance qui les e? claire.
L'imagination est, a` cet e? gard, comme un juge; un mot, un
usage, une allusion saisie dans les ouvrages des anciens, lui
sert de lueur pour arriver a` la connaissance de la ve? rite? tout
entie`re.
Winckelmann sut appliquer a` l'examen des monuments des
arts l'esprit de jugement qui sert a` la connaissance des hommes;
il e? tudie la physionomie d'une statue comme celle d'un e^tre vi-
vant. Il saisit avec une grande justesse les moindres observations,
dont il sait tirer des conclusions frappantes. Telle physionomie,
tel attribut, tel ve^tement, peut tout a` coup jeter un jour inat-
tendu sur de longues recherches. Les cheveux de Ce? re`s sont re-
leve? s avec un de? sordre qui ne convient pas a` Minerve; la perte
de Proserpine a pour jamais trouble? l'a^me de sa me`re. Minos,
fils et disciple de Jupiter, a, dans les me? dailles, les me^mes traits
que son pe`re; cependant, la majeste? calme de l'un, et l'expres-
sion se? ve`re de l'autre, distinguent le souverain des dieux du
juge des hommes. Le torse est un fragment de la statue d'Her-
cule divinise? , de celui qui rec? oit d'He? be? la coupe de l'immorta-
lite? , tandis que l'Hercule Farne`se ne posse`de encore que les
attributs d'un mortel; chaque contour du torse, aussi e? nergique,
mais plus arrondi, caracte? rise encore la force du he? ros, mais
du he? ros qui, place? dans le ciel, est de? sormais absous des rudes
travaux de la terre. Tout est symbolique dans les arts, et la na-
ture se montre sous mille apparences diverses dans ces statues,
dans ces tableaux, dansees poe? sies, ou` l'immobilite? doit indi-
quer le mouvement, ou` l'exte? rieur doit re? ve? ler le fond de l'a^me,
ou` l'existence d'un instant doit e^tre e? ternise? e.
Winckelmann abanni des beaux-arts, en Europe, le me? lange
du gou^t antique et du gou^t moderne. En Allemagne, son in-
fluence s'est encore plus montre? e dans la litte? rature que dans les
arts. Nous serons conduits a` examiner par la suite si l'imitation
scrupuleuse des anciens est compatible avec l'originalite? natu-
relle, ou pluto^t si nous devons sacrifier cette originalite? naturelle,
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? GOETHE. 127
pour nous astreindre a` choisir des sujets dans lesquels la poe? sie,
comme la peinture, n'ayant pour mode`le rien de vivant, ne
peuvent repre? senter que des statues; mais cette discussion est
e? trange`re au me? rite de Winckelmann; il a fait connai^tre en quoi
consistait le gou^t antique dans les beaux-arts; c'e? tait aux moder-
nes a` sentir ce qu'il leur convenait d'adopter ou de rejeter a` cet
e? gard. Lorsqu'un homme de talent parvient a` manifester les se-
crets d'une nature antique ou e? trange`re, il rend service par l'im-
pulsion qu'il trace: l'e? motion rec? ue doit se transformer en nous-me^mes: et plus cette e? motion est vraie, moins elle inspire une
servile imitation.
Winckelmann a de? veloppe? les vrais principes admis mainte-
nant dans les arts sur l'ide? al, sur cette nature perfectionne? e
dont le type est dans notre imagination, et non au dehors de
nous. L'application de ces principes a` la litte? rature est singulie`-
rement fe? conde.
La poe? tique de tous les arts est rassemble? e sous un me^me
point de vue dans les e? crits de Winckelmann, et tous y ont ga-
gne? . On a mieux compris la poe? sie par la sculpture, la sculpture
parla poe? sie, et l'on a e? te? conduit par les arts des Grecs a` leur
philosophie. La me? taphysique ide? aliste, chez les Allemands
comme chez les Grecs, a pour origine le culte dela beaute? par
excellence, que notre a^me seule peut concevoir et reconnai^tre;
c'est un souvenir du ciel, notre ancienne patrie, que cette beaute?
merveilleuse; les chefs-d'oeuvre de Phidias, les trage? dies de
Sophocle et la doctrine de Platon, s'accordent pour nous en don-
ner la me^me ide? e sous des formes diffe? rentes.
CHAPITRE VII.
Goethe.
Ce qui manquait a` Klopstock, c'e? tait une imagination cre? a-
trice : il mettait de grandes pense? es et de nobles sentiments en
beaux vers, mais il n'e? tait pas ce qu'on peut appeler artiste.
Ses inventions sont faibles, et les couleurs dont il les reve^t n'ont
presque jamais cette ple? nitude de force qu'on aime a` rencontrer
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? 128 GOETHE.
dans la poe? sie, et dans tous les arts qui devaient donner a` la
fiction l'e? nergie et l'originalite? de la nature. Klopstock s'e? gare
dans l'ide? al : Goethe ne perd jamais terre, tout en atteignant
aux conceptions les plus sublimes.
Il y a dans son esprit une vi-
gueur que la sensibilite? n'a point affaiblie. Goethe pourrait re-
pre? senter la litte? rature allemande tout entie`re; non qu'il n'y ait
d'autres e? crivains supe? rieurs a` lui, sous quelques rapports, mais
seul il re? unit tout ce qui distingue l'esprit allemand, et nul n'est
aussi remarquable par un genre d'imagination dont les Italiens,
les Anglais ni les Franc? ais ne peuvent re? clamer aucune part.
Goethe ayant e? crit dans tous les genres, l'examen de ses ou-
vrages remplira la plus grande partie des chapitres suivants;
mais la connaissance personnelle de l'homme qui a le plus influe?
sur la litte? rature de son pays sert, ce me semble, a` mieux com-
prendre cette litte? rature.
Goethe est un homme d'un esprit prodigieux en conversation;
et l'on a beau dire, l'esprit doit savoir causer. On peut pre? senter
quelques exemples d'hommes de ge? nie taciturnes: la timidite? ,
le malheur, le de? dain ou l'ennui, en sont souvent la cause; mais
en ge? ne? ral l'e? tendue des ide? es et la chaleur de l'a^me doivent ins-
pirer le besoin de se communiquer aux autres; et ces hommes,
qui ne veulent pas e^tre juge? s par ce qu'ils disent, pourraient
bien ne pas me? riter plus d'inte? re^t pour ce qu'ils pensent. Quand
on sait faire parler Goethe, il est admirable; son e? loquence est
nourrie de pense? es; sa plaisanterie est en me^me temps pleine de
gra^ce et de philosophie; son imagination est frappe? e par les ob-
jets exte? rieurs, comme l'e? tait celle des artistes chez les anciens;
et ne? anmoins sa raison n'a que trop la maturite? de notre temps.
Rien ne trouble la force de sa te^te; et les inconve? nients me^me de
son caracte`re, l'humeur, l'embarras, la contrainte, passent
comme des nuages au bas de la montagne sur le sommet de
laquelle son ge? nie est place? .
Ce qu'on nous raconte de l'entretien de Diderot pourrait don-
ner quelque ide? e de celui de Goethe; mais, si l'on en juge par
les e? crits de Diderot, la distance doit e^tre infinie entre ces deux
hommes. Diderot est sous le joug de son esprit; Goethe domine
me^me son talent: Diderot est affecte? , a` force de vouloir faire ef-
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? GOETHE. 129
fet; on aperc? oit le de? dain du succe`s dans Goethe, a` un degre? qui
plai^t singulie`rement, alors me^me qu'on s'impatiente de sa ne? gli-
gence. Diderota besoin de supple? er, a` force de philanthropie, aux
sentiments religieux qui lui manquent; Goethe serait plus volon-
tiers amer que doucereux; mais ce qu'il est avant tout, c'est na-
turel; et sans cette qualite? , en effet, qu'y a-t-il dans un homme
qui puisse en inte? resser un autre?
Goethe n'a plus cette ardeur entrai^nante qui lui inspira Wer-
ther; mais la chaleur de ses pense? es suffit encore pour tout ani-
mer. On dirait qu'il n'est pas atteint par la vie, et qu'il la de? crit
seulement en peintre: il attache plus de prix maintenant aux ta-
bleaux qu'il nous pre? sente qu'aux e? motions qu'il e? prouve; le
temps l'a rendu spectateur. Quand il avait encore une part active
dansles sce`nes des passions, quand il souffrait lui-me^me par le
coeur, ses e? crits produisaient une impression plus vive.
Comme on se fait toujours la poe? tique de son talent, Goethe
soutient a` pre? sent qu'il faut que l'auteur soit calme, alors me^me
qu'il compose un ouvrage passionne? , et que l'artiste doit conser-
ver son sang-froid pour agir plus fortement sur l'imagination de
ses lecteurs: peut-e^tre n'aurait-il pas eu cette opinion dans sa
premie`re jeunesse: peut-e^tre alors e? tait-il posse? de? par son ge? nie,
au lieu d'en e^tre le mai^tre; peut-e^tre sentait-il alors que le su-
blime et le divin e? tant momentane? s dans le coeur de l'homme, le
poe`te est infe? rieur a` l'inspiration qui l'anime, et ne peut la juger
sans la perdre.
Au premier moment, on s'e? tonne de trouver de la froideur
et me^me quelque chose de roide a` l'auteur de Werther; mais
quand on obtient de lui qu'il se mette a` l'aise, le mouvement de
son imagination fait disparai^tre en entier la ge^ne qu'on a d'ahord
sentie : c'est un homme dont l'esprit est universel, et impartial
parce qu'il est universel; car il n'y a point d'indiffe? rence dans
son impartialite? : c'est une double existence, une double force,
une double lumie`re qui e? claire a` la fois dans toute chose les deux
co^te? s de la question. Quand il s'agit de penser, rien ne l'arre^te,
ni son sie`cle, ni ses habitudes, ni ses relations; il fait tomber a`
plomb son regard d'aigle sur les objets qu'il observe; s'il avaiteu une carrie`re politique, si son a^me s'e? tait de? veloppe? e par les
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? 130 GOETHE.
actions, son caracte`re serait plus de? cide? , plus ferme, plus patriote; mais son esprit ne planerait pas si librement sur toutes
les manie`res de voir; les passions ou les inte? re^ts lui traceraient
une route positive. Goethe se plai^t, dans ses e? crits comme dans ses discours, a`
briser les filsqu'il a tissus lui-me^me, a` de? jouer les e? motions qu'il
excite, a` renverser les statues qu'il a fait admirer. Lorsque dans
ses fictions il inspire de l'inte? re^t pour un caracte`re, biento^t il
montre les inconse? quences qui doivent en de? tacher. Il dispose
du monde poe? tique , comme un conque? rant du monde re? el, et se
croit assez fort pour introduire, comme la nature, le ge? nie des-
tructeur dans ses propres ouvrages. S'il n'e? tait pas un homme
estimable, on aurait peur d'un genre de supe? riorite? qui s'e? le`ve au-dessus de tout, de? grade et rele`ve, attendrit et persifle, affirme
et doute alternativement, et toujours avec le me^me succe`s.
J'ai dit que Goethe posse? dait a` lui seul les traits principaux
du ge? nie allemand; on les trouve tous en lui a` un degre? e? minent:
une grande profondeur d'ide? es, la gra^ce qui nai^t de l'imagina-
tion, gra^ce plus originale que celle que donne l'esprit de socie? te? ;
enfin une sensibilite? quelquefois fantastique, mais par cela me^me
plus faite pour inte? resser des lecteurs qui cherchent dans les li-
vres de quoi varier leur destine? e monotone, et veulent que la
poe? sie leur tienne lieu d'e? ve? nements ve? ritables. Si Goethe e? tait
Franc? ais, on le ferait parler du matin au soir: tous les auteurs
contemporains de Diderot allaient puiser des ide? es dans son en-
tretien, et lui donnaient une jouissance habituelle par l'admira-
tion qu'il inspirait. En Allemagne, on ne sait pas de? penser son
talent dans la conversation; et si peu de gens, me^me parmi les
plus distingue? s, ont l'habitude d'interroger et de re? pondre, que
la socie? te? n'y compte pour presque rien; mais l'influence de Goe-
the n'en est pas moins extraordinaire II y a une foule d'hommes
en Allemagne qui croiraient trouverdu ge? nie dans l'adresse d'une
lettre, si c'e? tait lui qui l'eu^t mise. L'admiration pour Goethe
est une espe`ce de confre? rie dont les mots de ralliement servent
a` faire connai^tre les adeptes les uns aux autres. Quand les e? tran-
gers veulent aussi l'admirer, ils sont rejete? s avec de? dain, si quel-
ques restrictions laissent supposer qu'ils se sont permis d'exami-
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? SCBILLER. 131
lier des ouvrages qui gagnent cependant beaucoup a` l'examen.
Un homme ne peut exciter un tel fanatisme sans avoir de grandes
faculte? s pour le bien et pour le mal ; car il n'y a que la puissance,
dans quelque genre que ce soit, que les hommes craignent assez
pour l'aimer de cette manie`re.
CHAPITRE VIII. Schiller.
Schiller e? tait un homme d'un ge? nie rare et d'une bonne foi
parfaite; ces deux qualite? s devraient e^tre inse? parables, au moins
dans un homme de lettres. La pense? e ne peut e^tre mise a` l'e? gal
de l'action que quand elle re? veille en nous l'image de la ve? rite? ;
le mensonge est plus de? gou^tant encore dans les e? crits que dans
la conduite. Les actions ,. me^me trompeuses, restent encore des
actions, et l'on sait a` quoi se prendre pour les juger ou pour les
hai? r; mais les ouvrages ne sont qu'un amas fastidieux de vaines
paroles, quand ils ne partent pas d'une conviction since`re.
Il n'y a pas une plus belle carrie`re que celle des lettres, quand
on la suit comme Schiller. Il est vrai qu'il y a tant de se? rieux et
de loyaute? dans tout, en Allemagne, que c'est la` seulement qu'on
peut connai^tre d'une manie`re comple`te le caracte`re et les devoirs
de chaque vocation. Ne? anmoins Schiller e? tait admirable entre
tous, par ses vertus autant que par ses talents. La conscience
e? tait sa muse: celle-la` n'a pas besoin d'e^tre invoque? e, car on
l'entend toujours quand on l'e? coute une fois. Il aimait la poe? sie,
l'art dramatique, l'histoire, la litte? rature pour elle-me^me. Il
aurait e? te?
