senter dans ses
attitudes
l'image de
la beaute?
la beaute?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
mu : les sons ampoule?
s et faux
de? gou^tent tellement alors de la trage? die, qu'il n'y a pas de pa-
rodie, si vulgaire qu'elle soit, qu'on ne pre? fe`re a` la fade impres-
sion du manie? re? .
Les accessoires de l'art, les machines et les de? corations. doi-
vent e^tre plus soigne? s en Allemagne qu'en France, puisque,
dans les trage? dies, on y a plus souvent recours a` ces moyens.
Iffland a su re? unir a` Berlin tout ce que l'on peut de? sirer a` cet
e? gard; mais a` Vienne, ou ne? glige me^me les moyens ne? cessaires
pour repre? senter mate? riellement bien une trage? die. La me? moire
est infiniment plus cultive? e par les acteurs franc? ais que par les
acteurs allemands. Le souffleur, a` Vienne, disait d'avance a` la
plupart des acteurs chaque mot de leur ro^le; et je l'ai vu sui-
vant de coulisse en coulisse Othelle, pour lui sugge? rer les vers
M ",! , Vii! DE STAFX.
IU1 <<Igi
f.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 320 DE LA DECLAMATION.
qu'il devait prononcer au fond du the? a^tre, en poignardant Desde? mona.
Le spectacle de Weimar est infiniment mieux ordonne? sous
tous les rapports. Le prince, homme d'esprit, et l'homme de
ge? nie connaisseur des arts, qui y pre? sident, ont su re? unir le gou^t
et l'e? le? gance a` la hardiesse qui permet de nouveaux essais.
Sur ce the? a^tre,comme sur tous les autres en Allemagne, les
me^mes acteurs jouent les ro^les comiques et tragiques. On dit
que cette diversite? s'oppose a` ce qu'ils soient supe? rieurs dans
aucun; cependant, les premiers ge? nies du the? a^tre, Garrick et
Talma, ont re? uni les deux genres. La flexibilite? d'organes qui
transmet e? galement bien des impressions diffe? rentes me semble
le cachet du talent naturel, et, dans la fiction comme dans le
vrai, c'est peut-e^tre a` la me^me source que l'on puise la me? lan-
colie et la gaiete? . D'ailleurs, en Allemagne le pathe? tique et la
plaisanterie se succe`dent et se me^lent si souvent ensemble dans
les trage? dies, qu'il faut bien que les acteurs posse`dent le talent
d'exprimer l'un et l'autre; etle meilleur acteur allemand, If-
fland , en donne l'exemple avec un succe`s me? rite? . Je n'ai pas vu
en Allemagne de bons acteurs du haut comique, des marquis,
des fats, etc. Ce qui fait la gra^ce de ce genre de ro^le, c'est ce que
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc? ais par l'air de? gage? . L'habitude qu'ont les Allemands de
mettre a` tout de l'importance est pre? cise? ment ce qui s'oppose
le plus a` cette facile le? ge`rete? . Mais il est impossible de porter
plus loin l'originalite? , la verve comique et l'art de peindre les
caracte`res, que ne le fait Iffland dans ses ro^les. Je ne crois pas
que nous ayons jamais vu au The? a^tre franc? ais un talent plus
varie? ni plus inattendu que le sien, ni un acteur qui se risque a`
rendre les de? fauts et les ridicules naturels avec une expression
aussi frappante. Il y a dans la come? die des mode`les donne? s,
les pe`res avares, les fils libertins, les valets fripons, les tuteurs
dupe? s; mais les ro^les d'Iffland, tels qu'il les conc? oit, ne peuvent
entrer dans aucun de ces moules: il faut les nommer tous par
leur nom; car cee? ont des individus qui diffe`rent singulie`rement
l'un de l'autre, et dans lesquels Iffland parai^t vivre comme chez
lui.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA DE? CLAMATION. 327
Sa manie`re dejouer la trage? die est aussi, selon moi, d'un
grand effet. Le calme et la simplicite? de sa de? clamation, dans le
beau ro^le de Walstein, ne peuvent s'effacer du souvenir. L'im-
pression qu'il produit est graduelle: on croit d'abord que son apparente froideur ne pourra jamais remuer l'a^me; mais en
avanc? ant, l'e? motion s'accroi^t avec une progression toujours plus
rapide, et le moindre mot exerce un grand pouvoir, quand il
re`gne dans le ton ge? ne? ral une noble tranquillite? , qui fait ressor-
tir chaque nuance, et conserve toujours la couleur du caracte`re
au milieu des passions.
Iffland, qui est aussi supe? rieur dans la the? orie que dans la pra-
tique de son art, a publie? plusieurs e? crits extre^mement spirituels
sur la de? clamation; il donne d'abord une exquisse des diffe? ren-
tes e? poques de l'histoire du the? a^tre allemand: l'imitation roideet empese? e de la sce`ne franc? aise; la sensibilite? larmoyante des
drames, dont le naturel prosai? que avait fait oublier jusqu'au
talent de dire des vers; enfin le retour a` la poe? sie et a` l'imagina-
tion, qui constitue maintenant le gou^t universel en Allemagne.
Il n'y a pas un accent, pas un geste dont Iffland ne sache trou-
ver la cause, en philosophe et en artiste.
Un personnage de ses pie`ces lui fournit les observations les
plus fines sur le jeu comique; c'est un homme a^ge? , qui tout a`
coup abandonne ses anciens sentiments et ses constantes habitu-
des , pour reve^tir le costume et les opinions de la ge? ne? ration
nouvelle. Le caracte`re de cet homme n'a rien de me? chant, et ce-
pendant la vanite? l'e? gare autant que s'il e? tait vraiment pervers.
Il a laisse? faire a` sa fille un mariage raisonnable, mais obscur,
et tout a` coup il lui conseille de divorcer. Une badine a` la main,
souriant gracieusement, se balanc? ant sur un pied et sur l'autre,
il propose a` son enfant de briser les liens les plus sacre? s; mais
ce qu'on aperc? oit de vieillesse a` travers une e? le? gance force? e, ce
qu'il y a d'embarrasse? dans son apparente insouciance, est saisi
par Iffland avec une admirable sagacite? .
A propos de Franz Moor, fre`re du chef des brigands de
Schiller, Iffland examine de quelle manie`re les ro^les de sce? le? rat
doivent e^tre joue? s: << Il faut, dit-il, que l'acteur s'attache a` faire
sentir par quels motifs le personnage est devenu ce qu'il est.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 328 DE LA DECLAMATION.
,i quelles circonstances ont de? prave? son a^me; enfin, l'acteur
doit e^tre comme le de? fenseur officieux du caracte`re qu'il repre? -
<<sente. >> En effet, il ne peut y avoir de ve? rite? , me^me dans la
sce? le? ratesse, que par les nuances qui font sentir que l'homme
ne devient jamais me? chant que par degre? s.
Iffland rappelle aussi la sensation prodigieuse que produisait,
dans la pie`ce tfE? miUa Galotti, Eckhoff, ancien acteur allemand
tre`s-ce? le`bre. Lorsque Odoard apprend par la mai^tresse du prince
que l'honneur de sa fille est menace? , il veut taire a` cette femme,
qu'il n'estime pas, l'indignation et la douleur qu'elle excite dans
son a^me, et ses mains, a` son insu, arrachaient les plumes qu'il
portait a` son chapeau, avec un mouvement convulsif dont l'effet
e? tait terrible. Les acteurs qui succe? de`rent a` Eckhoff avaient soin
d'arracher comme lui les plumes du chapeau; mais elles tom-
baient a` terre sans que personne y fit attention; car une e? motion
ve? ritable ne donnait pas aux moindres actions cette ve? rite? su-
blime qui e? branle l'a^me des spectateurs.
La the? orie d'Iffland sur les gestes est tre`s-inge? nieuse. Il se
moque de ces bras en moulin a` vent qui ne peuvent servir qu'a`
de? clamer des sentences de morale, et croit que d'ordinaire les
gestes en petit nombre, et rapproche? sdu corps, indiquent mieux
les impressions vraies; mais, dans ce genre comme dans beaucoup
d'autres, il y a deux parties tre`s-distinctes dans le talent, celle qui
tient a` l'enthousiasme poe? tique, et celle qui nai^t de l'esprit ob-
servateur; selon la nature des pie`ces ou des ro^les, l'une ou l'au-
tre doit dominer. Les gestes que la gra^ce et le sentiment du
beau inspirent ne sont pas ceux qui caracte? risent tel ou tel per-
sonnage. La poe? sie exprime la perfection en ge? ne? ral, pluto^t
qu'une manie`re d'e^tre ou de sentir particulie`re. L'art de l'acteur
tragique consiste donc a` pre?
senter dans ses attitudes l'image de
la beaute? poe? tique, sans ne? gliger cependant ce qui distingue les
diffe? rents caracte`res: c'est toujours dans l'union de l'ide? al avec
la nature que consiste tout le domaine des arts.
Lorsque je vis la pie`ce Avi. i? 'ingt-Quatre Fe? vrier joue? e par
deux poetes ce? le`bres, A. W. Schlegel et Werner, je fus singu-
lie`rement frappe? e de leur genre de de? clamation. Ils pre? paraient
les effets longtemps d'avance, et l'on voyait qu'ils auraient e? te?
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? DE LA DE? CLAMATION. 329
fa^che? s d'e^tre applaudis de`s les premiers vers. Toujours l'ensem-
ble e? tait pre? sent a` leur pense? e, et le succe`s de de? tail, qui aurait
pu y nuire, ne leur eu^t paru qu'une faute. Schlegel me fit de? cou-
vrir, par sa manie`re de jouer dans la pie`ce de Werner, tout l'in-
te? re^t d'un ro^le que j'avais a` peine remarque? a` la lecture. C'e? tait
l'innocence d'un homme coupable, le malheur d'un honne^te
homme, qui a commis un crime a` l'a^ge de sept ans, lorsqu'il ne
savait pas encore ce que c'e? tait que le crime, et qui, bien qu'il
soit en paix avec sa conscience, n'a pu dissiper le trouble de son
imagination. Je jugeai l'homme qui e? tait repre? sente? devant
moi, comme on pe? ne`tre un caracte`re dans la vie, d'apre`s des
mouvements, des regards, des accents qui le trahissent a` son
insu. En France, la plupart de nos acteurs n'ont jamais l'air
d'ignorer ce qu'ils font; au contraire, il y a quelque chose
d'e? tudie? dans tous les moyens qu'ils emploient, et l'on en pre? -
voit d'avance l'effet.
Schroeder, dont tous les Allemands parlentcomme d'un acteur
admirable, ne pouvait supporter qu'on di^t qu'il avait bien joue?
tel ou tel moment, ou bien de? clame? tel ou tel vers, -- Ai-je bien
joue? le ro^le? demandait-il; ai-je e? te? le personnage ? VA. en effet
son talent semblait changer de nature chaque fois qu'il changeait
de ro^le. L'on n'oserait pas en France re? citer, comme il le fai-
sait souvent, la trage? die duton habituel de la conversation. Il y
a une couleur ge? ne? rale, un accent convenu, qui est de rigueur
dans les vers alexandrins, et les mouvements les plus passionne? s
reposent sur ce pie? destal, qui est comme la donne? e ne? cessaire
de l'art. Les acteurs franc? ais d'ordinaire visent a` l'applaudisse-
ment, et le me? ritent presque pour chaque vers; les acteurs al-
lemands y pre? tendent a` la fin de la pie`ce, et ne l'obtiennent
gue`re qu'alors.
La diversite? des sce`nes et des situations qui se trouvent dans
les pie`ces allemandes , donne lieu ne? cessairement a` beaucoup
plus de varie? te? dans le talent des acteurs. Le jeu muet compte
pour davantage, et la patience des spectateurs permet une foule
de de? tails qui rendent le pathe? tique plus naturel. L'art d'un ac-
teur, en France, consiste presque en entier dans la de? clamation;
en Allemagne, il y a beaucoup plus d'accessoires a` cet art priu28.
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? 3HO DE LA DECLAMATrOfl
cipal, et souvent la parole est a` peine ne? cessaire pour attendrir.
Lorsque Schroeder, jouant le roi Lear, traduit en allemand,
e? tait apporte? endormi sur la sce`ne, on dit que ce sommeil du
malheur et de la vieillesse arrachait des larmes avant qu'il se
fu^t re? veille? , avant me^me que ses plaintes eussent appris ses
douleurs; et quand il portait dans ses bras le corps de sa jeune
fille Corde? lie, tue? e parce qu'elle n'a pas voulu l'abandonner,
rien n'e? tait beau comme la force que lui donnait le de? sespoir.
Un dernier doute le soutenait; il essayait si Corde? lie respirait
encore: lui, si vieux, ne pouvait se persuader qu'un e^tre si
jeune avait pu mourir. Une douleur passionne? e dans un vieil-
lard a` demi de? truit, produisait l'e? motion la plus de? chirante.
Ce qu'on peut reprocher avec raison aux acteurs allemands
en ge? ne? ral, c'est de mettre rarement en pratique la connaissance
des arts du dessin, si ge? ne? ralement re? pandue dans leur pays:
leurs attitudes ne sont pas belles; l'exce`s de leur simplicite? de? -
ge? ne`re souvent en gaucherie, et presque jamais ils n'e? galent les
acteurs franc? ais dans la noblesse et l'e? le? gance de la de? marche et
des mouvements. Ne? anmoins, depuis quelque temps les actrices
allemandes ont e? tudie? l'art des attitudes, et se perfectionnent
dans cette sorte de gra^ce si ne? cessaire au the? a^tre.
On n'applaudit au spectacle, en Allemagne, qu'a` la fin des
actes, et tre`s-rarement on interrompt l'acteur pour lui te? moi-
gner l'admiration qu'il inspire. Les Allemands regardent comme
une espe`ce de barbarie, de troubler, par des signes tumultueux
d'approbation, l'attendrissement dont ils aiment a` se pe? ne? trer en
silence. Mais c'est une difficulte? de plus pour leurs acteurs; car
il faut une terrible force de talent pour se passer, en de? clamant,
de l'encouragement donne? par le public. Dans un art tout d'e? -
motion , les hommes rassemble? s font e? prouver une e? lectricite?
toute-puissante, a` laquelle rien ne peut supple? er.
Une grande habitude de la pratique de l'art peut faire qu'un
bon acteur,en re? pe? tant une pie`ce, repasse par les me^mes traces
et se serve des me^mes moyens , sans que les spectateurs l'ani-
ment de nouveau; mais l'inspiration premie`re est presque tou-
jours venue d'eux. Un contraste singulier me? rite d'e^tre remar-
que? . Dans les beaux-arts, dont la cre? ation est solitaire et re? lie? -
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? DE LA DECLAMATION. 331
due, on perd tout naturel lorsqu'on pense au public, et l'amour-propre seul y fait songer. Dans les beaux-arts improvise? s, dans
la de? clamation surtout, le bruit des applaudissements agit snr
, l'a^me comme le son de la musique militaire. Ce bruit enivrant
fait couler le sang plus vite, ce n'est pas la froide vanite? qu'il
satisfait.
Quand il parai^t un homme de ge? nie en France, dans quelque
carrie`re que ce soit, il atteint presque toujours a` un degre? de
perfection sans exemple; car il re? unit l'audace qui fait sortir de
la route commune, au tact du bon gou^t qu'il importe tant de
conserver, lorsque l'originalite? du talent n'en souffre pas. Il me
semble donc que Talma peut e^tre cite? comme un mode`le de har-
diesse et de mesure, de naturel et de dignite? . Il posse`de tous les
secrets des arts divers; ses attitudes rappellent les belles statues
de l'antiquite? ; son ve^tement, sans qu'il y pense, est drape? dans
tous ses mouvements, comme s'il avait eu le temps de l'arran-
ger dans le plus parfait repos. L'expression de son visage, celle
de son regard, doivent e^tre l'e? tude de tous les peintres. Quelque-
fois il arrive les yeux a` demi ouverts, et tout a` coup le senti-
ment en fait jaillir des rayons de lumie`re qui semblent e? clairer
toute la sce`ne.
Le son de sa voix e? branle de`s qu'il parle, avant que le sens
me^me des paroles qu'il prononce ait excite? l'e? motion. Lorsque
dans les trage? dies il s'est trouve? par hasard quelques vers des-
criptifs, il a fait sentir les beaute? s de ce genre de poe? sie, comme
si Pindare avait re? cite? lui-me^me ses chants. D'autres ont be-
soin de temps pour e? mouvoir, et font bien d'en prendre; mais
il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie qui,
de`s les premiers accents, re? veille toute la sympathie du coeur.
de? gou^tent tellement alors de la trage? die, qu'il n'y a pas de pa-
rodie, si vulgaire qu'elle soit, qu'on ne pre? fe`re a` la fade impres-
sion du manie? re? .
Les accessoires de l'art, les machines et les de? corations. doi-
vent e^tre plus soigne? s en Allemagne qu'en France, puisque,
dans les trage? dies, on y a plus souvent recours a` ces moyens.
Iffland a su re? unir a` Berlin tout ce que l'on peut de? sirer a` cet
e? gard; mais a` Vienne, ou ne? glige me^me les moyens ne? cessaires
pour repre? senter mate? riellement bien une trage? die. La me? moire
est infiniment plus cultive? e par les acteurs franc? ais que par les
acteurs allemands. Le souffleur, a` Vienne, disait d'avance a` la
plupart des acteurs chaque mot de leur ro^le; et je l'ai vu sui-
vant de coulisse en coulisse Othelle, pour lui sugge? rer les vers
M ",! , Vii! DE STAFX.
IU1 <<Igi
f.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 320 DE LA DECLAMATION.
qu'il devait prononcer au fond du the? a^tre, en poignardant Desde? mona.
Le spectacle de Weimar est infiniment mieux ordonne? sous
tous les rapports. Le prince, homme d'esprit, et l'homme de
ge? nie connaisseur des arts, qui y pre? sident, ont su re? unir le gou^t
et l'e? le? gance a` la hardiesse qui permet de nouveaux essais.
Sur ce the? a^tre,comme sur tous les autres en Allemagne, les
me^mes acteurs jouent les ro^les comiques et tragiques. On dit
que cette diversite? s'oppose a` ce qu'ils soient supe? rieurs dans
aucun; cependant, les premiers ge? nies du the? a^tre, Garrick et
Talma, ont re? uni les deux genres. La flexibilite? d'organes qui
transmet e? galement bien des impressions diffe? rentes me semble
le cachet du talent naturel, et, dans la fiction comme dans le
vrai, c'est peut-e^tre a` la me^me source que l'on puise la me? lan-
colie et la gaiete? . D'ailleurs, en Allemagne le pathe? tique et la
plaisanterie se succe`dent et se me^lent si souvent ensemble dans
les trage? dies, qu'il faut bien que les acteurs posse`dent le talent
d'exprimer l'un et l'autre; etle meilleur acteur allemand, If-
fland , en donne l'exemple avec un succe`s me? rite? . Je n'ai pas vu
en Allemagne de bons acteurs du haut comique, des marquis,
des fats, etc. Ce qui fait la gra^ce de ce genre de ro^le, c'est ce que
les Italiens appellent la dlsinvoltura, et ce qui se traduirait en
franc? ais par l'air de? gage? . L'habitude qu'ont les Allemands de
mettre a` tout de l'importance est pre? cise? ment ce qui s'oppose
le plus a` cette facile le? ge`rete? . Mais il est impossible de porter
plus loin l'originalite? , la verve comique et l'art de peindre les
caracte`res, que ne le fait Iffland dans ses ro^les. Je ne crois pas
que nous ayons jamais vu au The? a^tre franc? ais un talent plus
varie? ni plus inattendu que le sien, ni un acteur qui se risque a`
rendre les de? fauts et les ridicules naturels avec une expression
aussi frappante. Il y a dans la come? die des mode`les donne? s,
les pe`res avares, les fils libertins, les valets fripons, les tuteurs
dupe? s; mais les ro^les d'Iffland, tels qu'il les conc? oit, ne peuvent
entrer dans aucun de ces moules: il faut les nommer tous par
leur nom; car cee? ont des individus qui diffe`rent singulie`rement
l'un de l'autre, et dans lesquels Iffland parai^t vivre comme chez
lui.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE LA DE? CLAMATION. 327
Sa manie`re dejouer la trage? die est aussi, selon moi, d'un
grand effet. Le calme et la simplicite? de sa de? clamation, dans le
beau ro^le de Walstein, ne peuvent s'effacer du souvenir. L'im-
pression qu'il produit est graduelle: on croit d'abord que son apparente froideur ne pourra jamais remuer l'a^me; mais en
avanc? ant, l'e? motion s'accroi^t avec une progression toujours plus
rapide, et le moindre mot exerce un grand pouvoir, quand il
re`gne dans le ton ge? ne? ral une noble tranquillite? , qui fait ressor-
tir chaque nuance, et conserve toujours la couleur du caracte`re
au milieu des passions.
Iffland, qui est aussi supe? rieur dans la the? orie que dans la pra-
tique de son art, a publie? plusieurs e? crits extre^mement spirituels
sur la de? clamation; il donne d'abord une exquisse des diffe? ren-
tes e? poques de l'histoire du the? a^tre allemand: l'imitation roideet empese? e de la sce`ne franc? aise; la sensibilite? larmoyante des
drames, dont le naturel prosai? que avait fait oublier jusqu'au
talent de dire des vers; enfin le retour a` la poe? sie et a` l'imagina-
tion, qui constitue maintenant le gou^t universel en Allemagne.
Il n'y a pas un accent, pas un geste dont Iffland ne sache trou-
ver la cause, en philosophe et en artiste.
Un personnage de ses pie`ces lui fournit les observations les
plus fines sur le jeu comique; c'est un homme a^ge? , qui tout a`
coup abandonne ses anciens sentiments et ses constantes habitu-
des , pour reve^tir le costume et les opinions de la ge? ne? ration
nouvelle. Le caracte`re de cet homme n'a rien de me? chant, et ce-
pendant la vanite? l'e? gare autant que s'il e? tait vraiment pervers.
Il a laisse? faire a` sa fille un mariage raisonnable, mais obscur,
et tout a` coup il lui conseille de divorcer. Une badine a` la main,
souriant gracieusement, se balanc? ant sur un pied et sur l'autre,
il propose a` son enfant de briser les liens les plus sacre? s; mais
ce qu'on aperc? oit de vieillesse a` travers une e? le? gance force? e, ce
qu'il y a d'embarrasse? dans son apparente insouciance, est saisi
par Iffland avec une admirable sagacite? .
A propos de Franz Moor, fre`re du chef des brigands de
Schiller, Iffland examine de quelle manie`re les ro^les de sce? le? rat
doivent e^tre joue? s: << Il faut, dit-il, que l'acteur s'attache a` faire
sentir par quels motifs le personnage est devenu ce qu'il est.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:49 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 328 DE LA DECLAMATION.
,i quelles circonstances ont de? prave? son a^me; enfin, l'acteur
doit e^tre comme le de? fenseur officieux du caracte`re qu'il repre? -
<<sente. >> En effet, il ne peut y avoir de ve? rite? , me^me dans la
sce? le? ratesse, que par les nuances qui font sentir que l'homme
ne devient jamais me? chant que par degre? s.
Iffland rappelle aussi la sensation prodigieuse que produisait,
dans la pie`ce tfE? miUa Galotti, Eckhoff, ancien acteur allemand
tre`s-ce? le`bre. Lorsque Odoard apprend par la mai^tresse du prince
que l'honneur de sa fille est menace? , il veut taire a` cette femme,
qu'il n'estime pas, l'indignation et la douleur qu'elle excite dans
son a^me, et ses mains, a` son insu, arrachaient les plumes qu'il
portait a` son chapeau, avec un mouvement convulsif dont l'effet
e? tait terrible. Les acteurs qui succe? de`rent a` Eckhoff avaient soin
d'arracher comme lui les plumes du chapeau; mais elles tom-
baient a` terre sans que personne y fit attention; car une e? motion
ve? ritable ne donnait pas aux moindres actions cette ve? rite? su-
blime qui e? branle l'a^me des spectateurs.
La the? orie d'Iffland sur les gestes est tre`s-inge? nieuse. Il se
moque de ces bras en moulin a` vent qui ne peuvent servir qu'a`
de? clamer des sentences de morale, et croit que d'ordinaire les
gestes en petit nombre, et rapproche? sdu corps, indiquent mieux
les impressions vraies; mais, dans ce genre comme dans beaucoup
d'autres, il y a deux parties tre`s-distinctes dans le talent, celle qui
tient a` l'enthousiasme poe? tique, et celle qui nai^t de l'esprit ob-
servateur; selon la nature des pie`ces ou des ro^les, l'une ou l'au-
tre doit dominer. Les gestes que la gra^ce et le sentiment du
beau inspirent ne sont pas ceux qui caracte? risent tel ou tel per-
sonnage. La poe? sie exprime la perfection en ge? ne? ral, pluto^t
qu'une manie`re d'e^tre ou de sentir particulie`re. L'art de l'acteur
tragique consiste donc a` pre?
senter dans ses attitudes l'image de
la beaute? poe? tique, sans ne? gliger cependant ce qui distingue les
diffe? rents caracte`res: c'est toujours dans l'union de l'ide? al avec
la nature que consiste tout le domaine des arts.
Lorsque je vis la pie`ce Avi. i? 'ingt-Quatre Fe? vrier joue? e par
deux poetes ce? le`bres, A. W. Schlegel et Werner, je fus singu-
lie`rement frappe? e de leur genre de de? clamation. Ils pre? paraient
les effets longtemps d'avance, et l'on voyait qu'ils auraient e? te?
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? DE LA DE? CLAMATION. 329
fa^che? s d'e^tre applaudis de`s les premiers vers. Toujours l'ensem-
ble e? tait pre? sent a` leur pense? e, et le succe`s de de? tail, qui aurait
pu y nuire, ne leur eu^t paru qu'une faute. Schlegel me fit de? cou-
vrir, par sa manie`re de jouer dans la pie`ce de Werner, tout l'in-
te? re^t d'un ro^le que j'avais a` peine remarque? a` la lecture. C'e? tait
l'innocence d'un homme coupable, le malheur d'un honne^te
homme, qui a commis un crime a` l'a^ge de sept ans, lorsqu'il ne
savait pas encore ce que c'e? tait que le crime, et qui, bien qu'il
soit en paix avec sa conscience, n'a pu dissiper le trouble de son
imagination. Je jugeai l'homme qui e? tait repre? sente? devant
moi, comme on pe? ne`tre un caracte`re dans la vie, d'apre`s des
mouvements, des regards, des accents qui le trahissent a` son
insu. En France, la plupart de nos acteurs n'ont jamais l'air
d'ignorer ce qu'ils font; au contraire, il y a quelque chose
d'e? tudie? dans tous les moyens qu'ils emploient, et l'on en pre? -
voit d'avance l'effet.
Schroeder, dont tous les Allemands parlentcomme d'un acteur
admirable, ne pouvait supporter qu'on di^t qu'il avait bien joue?
tel ou tel moment, ou bien de? clame? tel ou tel vers, -- Ai-je bien
joue? le ro^le? demandait-il; ai-je e? te? le personnage ? VA. en effet
son talent semblait changer de nature chaque fois qu'il changeait
de ro^le. L'on n'oserait pas en France re? citer, comme il le fai-
sait souvent, la trage? die duton habituel de la conversation. Il y
a une couleur ge? ne? rale, un accent convenu, qui est de rigueur
dans les vers alexandrins, et les mouvements les plus passionne? s
reposent sur ce pie? destal, qui est comme la donne? e ne? cessaire
de l'art. Les acteurs franc? ais d'ordinaire visent a` l'applaudisse-
ment, et le me? ritent presque pour chaque vers; les acteurs al-
lemands y pre? tendent a` la fin de la pie`ce, et ne l'obtiennent
gue`re qu'alors.
La diversite? des sce`nes et des situations qui se trouvent dans
les pie`ces allemandes , donne lieu ne? cessairement a` beaucoup
plus de varie? te? dans le talent des acteurs. Le jeu muet compte
pour davantage, et la patience des spectateurs permet une foule
de de? tails qui rendent le pathe? tique plus naturel. L'art d'un ac-
teur, en France, consiste presque en entier dans la de? clamation;
en Allemagne, il y a beaucoup plus d'accessoires a` cet art priu28.
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? 3HO DE LA DECLAMATrOfl
cipal, et souvent la parole est a` peine ne? cessaire pour attendrir.
Lorsque Schroeder, jouant le roi Lear, traduit en allemand,
e? tait apporte? endormi sur la sce`ne, on dit que ce sommeil du
malheur et de la vieillesse arrachait des larmes avant qu'il se
fu^t re? veille? , avant me^me que ses plaintes eussent appris ses
douleurs; et quand il portait dans ses bras le corps de sa jeune
fille Corde? lie, tue? e parce qu'elle n'a pas voulu l'abandonner,
rien n'e? tait beau comme la force que lui donnait le de? sespoir.
Un dernier doute le soutenait; il essayait si Corde? lie respirait
encore: lui, si vieux, ne pouvait se persuader qu'un e^tre si
jeune avait pu mourir. Une douleur passionne? e dans un vieil-
lard a` demi de? truit, produisait l'e? motion la plus de? chirante.
Ce qu'on peut reprocher avec raison aux acteurs allemands
en ge? ne? ral, c'est de mettre rarement en pratique la connaissance
des arts du dessin, si ge? ne? ralement re? pandue dans leur pays:
leurs attitudes ne sont pas belles; l'exce`s de leur simplicite? de? -
ge? ne`re souvent en gaucherie, et presque jamais ils n'e? galent les
acteurs franc? ais dans la noblesse et l'e? le? gance de la de? marche et
des mouvements. Ne? anmoins, depuis quelque temps les actrices
allemandes ont e? tudie? l'art des attitudes, et se perfectionnent
dans cette sorte de gra^ce si ne? cessaire au the? a^tre.
On n'applaudit au spectacle, en Allemagne, qu'a` la fin des
actes, et tre`s-rarement on interrompt l'acteur pour lui te? moi-
gner l'admiration qu'il inspire. Les Allemands regardent comme
une espe`ce de barbarie, de troubler, par des signes tumultueux
d'approbation, l'attendrissement dont ils aiment a` se pe? ne? trer en
silence. Mais c'est une difficulte? de plus pour leurs acteurs; car
il faut une terrible force de talent pour se passer, en de? clamant,
de l'encouragement donne? par le public. Dans un art tout d'e? -
motion , les hommes rassemble? s font e? prouver une e? lectricite?
toute-puissante, a` laquelle rien ne peut supple? er.
Une grande habitude de la pratique de l'art peut faire qu'un
bon acteur,en re? pe? tant une pie`ce, repasse par les me^mes traces
et se serve des me^mes moyens , sans que les spectateurs l'ani-
ment de nouveau; mais l'inspiration premie`re est presque tou-
jours venue d'eux. Un contraste singulier me? rite d'e^tre remar-
que? . Dans les beaux-arts, dont la cre? ation est solitaire et re? lie? -
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? DE LA DECLAMATION. 331
due, on perd tout naturel lorsqu'on pense au public, et l'amour-propre seul y fait songer. Dans les beaux-arts improvise? s, dans
la de? clamation surtout, le bruit des applaudissements agit snr
, l'a^me comme le son de la musique militaire. Ce bruit enivrant
fait couler le sang plus vite, ce n'est pas la froide vanite? qu'il
satisfait.
Quand il parai^t un homme de ge? nie en France, dans quelque
carrie`re que ce soit, il atteint presque toujours a` un degre? de
perfection sans exemple; car il re? unit l'audace qui fait sortir de
la route commune, au tact du bon gou^t qu'il importe tant de
conserver, lorsque l'originalite? du talent n'en souffre pas. Il me
semble donc que Talma peut e^tre cite? comme un mode`le de har-
diesse et de mesure, de naturel et de dignite? . Il posse`de tous les
secrets des arts divers; ses attitudes rappellent les belles statues
de l'antiquite? ; son ve^tement, sans qu'il y pense, est drape? dans
tous ses mouvements, comme s'il avait eu le temps de l'arran-
ger dans le plus parfait repos. L'expression de son visage, celle
de son regard, doivent e^tre l'e? tude de tous les peintres. Quelque-
fois il arrive les yeux a` demi ouverts, et tout a` coup le senti-
ment en fait jaillir des rayons de lumie`re qui semblent e? clairer
toute la sce`ne.
Le son de sa voix e? branle de`s qu'il parle, avant que le sens
me^me des paroles qu'il prononce ait excite? l'e? motion. Lorsque
dans les trage? dies il s'est trouve? par hasard quelques vers des-
criptifs, il a fait sentir les beaute? s de ce genre de poe? sie, comme
si Pindare avait re? cite? lui-me^me ses chants. D'autres ont be-
soin de temps pour e? mouvoir, et font bien d'en prendre; mais
il y a dans la voix de cet homme je ne sais quelle magie qui,
de`s les premiers accents, re? veille toute la sympathie du coeur.
