Peut- être, dit
Monsieur
de Baker, un peu moins peut-être, mais guère.
Samuel Beckett
Monsieur MacStern répondit, Mais de cette façon il n'aurait plus qu'à inscrire les mots qu'il entend, à la place de leurs équivalents chiffrés, ce qUI exige une longue pratique, surtout s'agissant de nombres dé cinq ou six lettres, pardon, chiffres je veux dire.
C'est peut- être après tout une excellente idée, dit Monsieur Magershon.
Auriez-vous cette bonté, Monsieur de Baker, par hasard?
dit Monsieur Fitzwein.
Mais je ne procède jamais autrement, s'écria Monsieur de Baker, jamais!
Bon bon, je vous crois, dit Monsieur Fitzwein.
En ce cas on ne voit pas de solu- tion, dit Monsieur Magershon.
Errare humanum est (1), dit Louit.
Merci, Monsieur Louit, dit Monsieur de Baker.
Mais de rien, Monsieur de Baker, dit Louit.
Merveilleux mer- veilleux!
s'exclama Monsieur O'Meldon.
Qu'est-ce qui est merveilleux merveilleux?
dit Monsieur Fitzwein.
Mais les deux nombres sont reliés, dit Monsieur O'Meldon, comme le cabe à sa rucine !
Le cabe à sa quoi?
dit Monsieur Fitz- wein.
Et inversement!
dit Monsieur O'Meldon.
Il veut dire le cube à sa racine, dit Monsieur MacStern.
Et qu'est-cl' que j'ai dit ?
dit Monsieur O'Meldon.
Le rube à sa cacine.
(1) Locution latine signifiant à peu près : errer (errare) humain (hurru num) est (est).
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ha ha, dit Monsieur de Baker. Qu'est-ce que ça veut dire, le cube à sa racine? dit Monsieur Fitzwein. Ça ne veut rien dire, dit Monsieur MacStern. Comment ça ne veut rien dire? dit Monsieur O'Meldon. Monsieur MacStern répondit, A sa combientième racine? Un cube peut avoir une masse de racines. Comme le concombre géant d'Istambul, dit Mon- sieur Fitzwein. Pas tous les cubes, dit Monsieur O'Meldon. Qui vous parle de tous les cubes? dit Monsieur MacStern. Pas ce cube-là, dit Monsieur O'Meldon. C'est vous qui le dites, dit Monsieur MacStern. Je nage, dit Monsieur Fitz- wein. Et moi alors, dit Monsieur Magershon. Qu'est-ce qui est merveilleux merveilleux? dit Monsieur Fitzwein. Mon- sieur O'Meldon répondit, Que Monsieur Ballynack - . Nac- kybal, dit Louit. Monsieur ü'Meldon reprit, Que Monsieur Nackybal ait pu, de tête, dans le bref espace de trente-cinq ou quarante secondes, extirper la racine cubique d'un nom- bre de six chiffres. Monsieur MacStern dit, Quarante secon- des! Voici au moins cinq minutes qu'on entend parler de ce produit. Qu'est-ce qu'il y a là de si merveilleux? dit Mon- sieur Fitzwein. Possible que notre président ait oublié, dit Monsieur MacStern. Deux est la racine cubique de huit, dit Monsieur ü'Meldon. Vraiment, dit Monsieur Fitzwein. Oui, dit Monsieur O'Meldon, deux fois deux quatre et deux fois quatre huit. Ça alors, dit Monsieur Fitzwein, deux est la racine cubique de huit. Oui, et huit est le cube de deux, dit
Monsieur O'Meldon. Huit est le cube de deux, dit Monsieur Fitzwein. Voilà, dit Monsieur O'Meldon. Qu'est-ce qu'il y a là de si merveilleux? dit Monsieur Fitzwein. Monsieur O'Meldon répondit, Que deux soit la racine cubique de huit, et huit le cube de deux, il y a belle lurette que cela ne nous étonne plus. Ce qui est étonnant, c'est que Mon- sieur Nallyback ait pu, de tête, en si peu de temps, extirper la racine cubique d'un nombre de six chiffres. Oh, dit Mon- sieur Fitzwein. Est-ce donc si difficile? dit Monsieur Ma- gershon. Impossible, dit Monsieur MacStern. Eh ben, dit
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Monsieur Fitzwein. Un exploit encore jamais réalisé par l'homme, dit Monsieur O'Meldon, et une seule fois par un cheval. Un cheval! s'exclama Monsieur Fitzwein. Un épisode du Kulturkampf, dit Monsieur O'Meldon. Ah je
vois, dit Monsieur Fitzwein. Louit ne cacha pas sa satis- faction. Monsieur Nackybal gisait sur le flanc et semblait dormir. Mais Monsieur Nackybal n'est pas un cheval, dit Monsieur Fitzwein. Loin de là, dit Monsieur O'Mel- don. Vous êtes sûr de ce que vous avancez? dit Mon- sieur Magershon. Non, dit Monsieur O'Meldon. C'est lou- che, dit Monsieur MacStern. Je proteste, dit Louit. Contre q u o i ? dit Monsieur Fitzwein. Contre le mot louche, dit Louit. Prenez-en note, Monsieur de Baker, dit Monsieur Fitzwein. Louit sortit une feuille de papier de sa poche et la passa à Monsieur O'Meldon. Mon Dieu, qu'est-ce que vous me donnez là, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Mel-
don. Une liste de cubes parfaits, dit Louit, de six chiffres et au-dessous, quatre-vingt-dix-neuf au total, avec les racines cubiques correspondantes. Et que voulez-vous que j'en fasse, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Meldon. Que vous mettiez mon ami à l'épreuve, dit Louit. Oh, dit Monsieur Fitzwein. En mon absence, puisque vous doutez de notre bonne foi, dit Louit. Allons allons, Monsieur Louit, dit Monsieur
Magershon. Déshabillez-le, bandez-lui les yeux, mettez-moi dehors, dit Louit. Vous oubliez la télépathie, ou transmission de pensée, dit Monsieur MacStern. Louit dit, Masquez les cubes en demandant les cubes des racines, masquez les raci- nes en demandant les racines des cubes. Qu'est-ce que ça changera? dit Monsieur O'Me1don. Vous ne saurez pas la réponse avant lui, dit Louit. Monsieur Fitzwein quitta la salle, suivi de ses aides. Louit secoua Monsieur Nackybal et l'aida à se lever. Monsieur O'Meldon revint, le papier de Louit à la main. Je peux le garder jusqu'à demain, Monsieur Louit? dit-il. Toute la vie, dit Louit. Bonsoir à tous les deux, dit Monsieur O'Meldon. Bonsoir, Monsieur O'Meldon, dit
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Louit. Il ajouta, Tom, dis bonsoir gentiment à Monsieur ü'Meldon, dis, Bonsoir, Monsieur ü'Meldon. Soir, dit Mon- sieur Nackybal, Charmant charmant, dit Monsieur ü'Mel- don. Il s'en alla, suivi peu après de Louit et de Monsieur
Nackybal, bras dessus bras dessous. La salle à présent vide s'emplit bientôt de l'ombre du soir. Nature. Un appariteur apparut, alluma, rangea les chaises, s'assura que tout était en état, éteignit et disparut, laissant la vaste salle dans l'obs- curité, car la nuit était tombée, encore une fois. Eh bien, Monsieur Graves, croyez-moi si vous voulez, le lendemain à la même heure, au même endroit, dans l'immense et haute salle inondée à présent de lumière, les mêmes personnes se réunirent et Monsieur Nackybal fut soumis à un test sévère, en matière d'élévation aussi bien que d'extraction, à partir de la table fournie par Louit. Les précautions préconisées par Louit furent adoptées, à ceci près que Louit ne fut pas mis dehors, mais posté le dos à la salle devant la fenêtre ouverte, et que Monsieur Nackybal se vit autoriser à garder une grande partie de ses sous-vêtements. De cette épreuve ardue Monsieur Nackybal se tira avec honneur, ne s'étant trompé et encore de peu sur les quarante-six cubes demandés que vingt-cinq fois et sur les cinquante-trois extractions pro- posées n'ayant commis que la bagatelle de quatre erreurs insignifiantes. L'intervalle entre question et réponse, tantôt bref, tantôt allant jusqu'à une minute, était en moyenne, au dire de Monsieur ü'Me1don, qui s'était muni de son chro- nomètre, d'un peu plus de trente-quatre et d'un peu moins de trente-cinq secondes. Une fois Monsieur Nackybal s'abs- tint de répondre. Un ange passa. Monsieur ü'Meldon, les yeux sur la feuille, venait d'annoncer, Six cent cinquante-huit mille quatre cent treize. Il s'écoula une minute, une minute un quart, une minute et demie, une minute trois quarts, deux minutes, deux minutes un quart, deux minutes et demie, deux minutes trois quarts, trois minutes, trois minutes un quart, trois minutes et demie, trois minutes trois quarts, et
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toujours pas de réponse de Monsieur Nackybal! Allons allons, Monsieur, dit Monsieur O'Meldon avec aigreur, Six cent cinquante-huit mille quatre cent treize. Et toujours pas de réponse de Monsieur Nackybal ! De deux choses l'une, dit Monsieur Magershon, ou bien il sait ou bien il ne sait pas. Là Monsieur de Baker rit aux larmes. Monsieur Fitzwein dit, Si vous n'entendez pas, dites que vous n'entendez pas, si vous ne savez, pas, dites que vous ne savez pas, on n'a pas toute la nuit à perdre. Louit se retourna et dit, Ce nom- bre est-il sur la liste? Silence, Monsieur Louit, dit Monsieur Fitzwein. Ce nombre est-il sur la liste? tonna Louit, avan- çant d'un pas, le visage soudain blême de colère, de livide qu'il avait été. J'accuse le Trésorier, dit-il, dardant son index vers ce monsieur, comme s'il y avait deux, ou trois, ou quatre, ou cinq, ou même six trésoriers dans la salle au lieu d'un seul, d'avoir annoncé un nombre qui n'est pas sur la liste et n'a pas plus de racine cubique que mon cul. Mon- sieur Louit! s'écria Monsieur Fitzwein. Son quoi? dit Monsieur O'Me1don. Son cul, dit Monsieur Magershon. Je l'accuse, dit Louit, d'avoir essayé froidement, avec une mal- veillance calculée, de brimer et d'égarer un vieillard qui, par amitié pour moi, fait de son mieux pour. . . pour. . . qui fait de son mieux. Mécontent de cette faible péroraison Louitajouta,J'appelleçal'acted'un- ,- ,- ,- ,- , - , - , - , - - , soit en clair une bordée d'injures si grossières qu'un homme moins doux de caractère que Mon- sieur O'Meldon s'en serait certainement formalisé, tant elles étaient grossières et véhémentes. Mais le caractère de Mon- sieur O'Me1don était d'une telle douceur que lorsque Mon- sieur Fitzwein se leva, et avec colère déclara la séance levée, Monsieur O'Me1don se leva aussi et calma Monsieur Fitz- wein, en lui expliquant que c'était lui et lui seul le coupable, pour avoir pris un zéro pour un un et non pas pour un zéro, comme il aurait dû. Mais vous ne l'avez pas fait de propos dé - dé - délibéré, dit Monsieur Fitzwein, et avec
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prémé - mé - méditation. Il s'ensuivit un silence qui se prolongea jusqu'à ce que Monsieur O'Meldon, baissant la tête, et la balançant lentement de droite et de gauche, et se dandinant d'une jambe sur l'autre, répondît enfin, Oh non non non non non, le ciel m'est témoin que non. En ce cas, dit Monsieur Fitzwein, je dois demander à Monsieur Lingard de vous faire des excuses. Oh non non non non non, pas d'excuses, s'écria Monsieur O'Meldon. Monsieur Lingard ? dit Monsieur Magershon. J'ai dit Monsieur Lingard? dit Monsieur Fitzwein, Dame, dit Monsieur Magershon. Où avais-je donc la tête? dit Monsieur Fitzwein. Ma mère est née Lingard, dit Monsieur MacStern. En effet, dit Monsieur Fitzwein, je m'en souviens, une femme exquise. Elle est morte en me donnant le jour, dit Monsieur MacStern. Met- tez-vous à sa place, dit Monsieur de Baker. Exquise exquise, dit Monsieur Fitzwein. La démonstration terminée, ce fut l'heure des questions. Derrière les baies occidentales de la vaste salle flamboyait le rouge soleil d'hiver, déjà bas sur l'horizon, faisant frémir l'air captif de ses furieux rayons derniers, pendant que par les ouvertures opposées ou orien- tales arrivait le murmure, faible et apaisant, des innorn- brables clairons de la nuit. C'était l'heure des questions. Et la racine quatrième? dit Monsieur Fitzwein, se piquant au jeu. Louit répondit. Et la racine cinquième? dit Monsieur Fitzwein. Ainsi de suite. Rose et sombre, adieu et avé, s'affrontaient confondus, vainqueur, vaincu, vaincu, vain- queur, dans la vaste salle indifférente. Et la racine treizième? dit Monsieur Fitzwein. Pitié! dit Monsieur Magershon. Vous dites? dit Monsieur Fitzwein. Pitié, dit Monsieur Mager- shon. De quoi vous mêlez-vous? dit Monsieur Fitzwein. Messieurs messieurs, dit Monsieur MacStern. Monsieur O'Meldon leva le nez de son papier et dit, Monsieur Louit, en examinant de près ces colonnes de chiffres j'ai pu cons- tater que l'une, ou colonne racines, ne comporte aucun nombre de plus de deux chiffres, et l'autre, ou colonne cubes,
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aucun de plus de six. Colonne cubes! s'écria Monsieur Mac- Stern. Qu'est-ce qui ne va pas maintenant? dit Monsieur Fitzwein. Comme c'est beau, dit Monsieur MacStern. Vous êtes d'accord, Monsieur L o u i t ? dit Monsieur O'Meldon. Je suis fermé à la musique, dit Louit. Je ne parle pas de ça, dit Monsieur O'Meldon. De quoi parleriez-vous? dit Mon- sieur Fitzwein. Je parle, dit Monsieur O'Meldon, d'une part de l'absence. dans l'une des colonnes, ou colonne raci- nes, de tout nombre de plus de deux chiffres, et de l'autre, dans l'autre, ou colonne cubes, de l'absence de tout nombre de plus de six chiffres. Est-ce que je me trompe, Monsieur Louit? Vous avez la liste sous les yeux, dit Louit. Colonne racines, c'est joli aussi, non? dit Monsieur de Baker. Oui, mais moins que colonne cubes, dit Monsieur MacStern.
Peut- être, dit Monsieur de Baker, un peu moins peut-être, mais guère. Monsieur de Baker chanta :
Colonne cubes dit à colonnes racines, Que veux-tu boire, ma chère? Colonne cubes dit à colonne racines, Que veux-tu boire, ma chère? Colonne cubes dit à colonne racines, Que veux-tu boire, ma chère?
Je boirais bien un pot, dit colonne racines, De ton extrait mortuaire.
Hahahaha, haha, ha, hum, dit Monsieur de Baker. Pas d'autres questions, dit Monsieur Fitzwein, avant que je rentre me coucher? J'en soulevais une, dit Monsieur O'Mel- don, quand on m'a interrompu. Peut-être qu'il pourrait reprendre là où il s'est arrêté, dit Monsieur Magershon. La question que je soulevais, dit Monsieur O'Meldon, quand on m'a interrompu, est celle-ci : en examinant de près ces colonnes de chiffres j'ai pu constater que l'une, ou - . Il
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l'a déjà dit deux fois, dit Monsieur MacStern. Sinon trois, dit Monsieur de Baker. Monsieur Magershon dit, Reprenez là où vous vous êtes arrêté, non pas là où vous avez com- mencé. Ou êtes-vous comme la chenille de Darwin? La quoi de qui? dit Monsieur de Baker. La chenille de Darwin, dit Monsieur Magershon. Qu'est-ce qu'elle avait qui n'allait pas? dit Monsieur MacStern. Elle avait ceci, dit Monsieur Magershon, que lorsqu'elle filait son enveloppe, si on la dérangeait - . Sommes-nous ici pour parler chenilles ? dit Monsieur O'Meldon. Soulevez votre question pour l'amour
de Dieu, dit Monsieur Fitzwein, que j'aille retrouver ma femme. Il ajouta, Et mes enfants. La question que j'étais en train de soulever, dit Monsieur O'Meldon, quond on m'a si grossièrement interrompu, est celle-ci : si dans la colonne de gauche, ou colonne racines, il y avait des nombres non plus de deux chiffres au plus, mais de trois chiffres, voire de quatre chiffres, pour nous en tenir là, alors dans la colonne de droite, ou colonne cubes, il y aurait des nom- bres non plus de six chiffres au plus, mais de sept, huit, neuf, dix, onze, voire douze chiffres. Un silence s'ensuivit. Oui ou non, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Meldon. C'est probable, dit Louit. Alors pourquoi, dit Monsieur O'Meldon, se penchant en avant et écrasant son poing sur la table, pourquoi n'yen a-t-il pas? Pourquoi n'y a-t-il pas q u o i ? dit Monsieur Fitzwein. Ce que je viens de dire, dit Monsieur O'Meldon. Pitié, dit Monsieur Magershon. C'est-à-dire P, dit Monsieur Fitzwein. Mon- sieur O'Meldon répondit, D'une part, dans l'une des colon- nes - . Ou colonne racines, dit Monsieur de Baker. Mon- sieur O'Meldon reprit, Des nombres de trois chiffres, voire de - . Pour nous en tenir là, dit Monsieur MacStern. Monsieur O'Meldon reprit, Et de l'autre; dans l'autre - . Ou colonne cubes, dit Monsieur Magershon. Monsieur O'Meldon reprit, Des nombres de sept - . Huit, dit Mon- sieur de Baker. Neuf, dit Monsieur MacStern. Dix, dit
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Monsieur Magershon. Onze, dit Monsieur de Baker. Voire Gouze, dit Monsieur MacStern. Chiffres, dit Monsieur Magers- shon. Pourquoi y en aurait-Il ? dit Monsieur Fitzwein. Petit à petit l'oiseau, dit Louit. Dois-je donc supposer, Monsieur Louit, dit Monsieur O'Meldon, que si je demandais à cet individu la racine cubique de mettons - il se pencha sur son papier - mettons neuf cent soixante-treize millions deux cent cinquante-deux mille deux cent soixante-et-onze, il ne serait pas capable de la fournir? Pas ce soir, dit Louit.
Ou, poursuivit Monsieur O'Meldon, consultant de nouveau son papier, Neuf cent quatre-vingt-dix-huit billions sept cents millions cent vingt-neuf mille neuf cent quatre-vingt- dix-neuf, par exemple. Pas en ce moment, une autre fois, dit Louit. Aha, dit Monsieur O'Meldon. Votre question est- elle soulevée à présent? dit Monsieur Fitzwein. Elle l'est, dit Monsieur O'Meldon. A la bonne heure, dit Monsieur Fitzwein. Vous nous expliquerez ça plus tard, dit Monsieur Magershon. Ou ai-je déjà vu ce visage? dit Monsieur Fitz- wein. Une dernière chose, dit Monsieur MacStern. Le soleil s'est couché, au ponant, dit Monsieur de Baker, tournant la tête, étendant le bras, dans cette direction. Alors les autres de se tourner aussi, pour fixer d'un long regard l'endroit où, voilà un instant à peine, le soleil était. Mais Monsieur de Baker, d'une brusque virevolte, désigna la direction oppo- sée, en disant, Pendant qu'au levant la nuit tombe, à grand" pas. Alors les autres de se retourner aussi, face à ces fenê- tres luisantes, au ciel gris foncé en bas, gris plus clair en haut. Car la nuit semblait moins tomber que se lever, tel un jour nouveau. Mais comme à la fosse, Monsieur Graves, à la fosse pas encore comblée, ou au véhicule s'ébranlant avec la bien-aimée, je dis bien, au véhicule s'ébranlant avec la bien-aimée, en soupirant ils s'arrachèrent lentement à la nuit enfin, et Monsieur Fitzwein se mit à rassembler vive- ment ses papiers, car dans cette lumière finissante il avait retrouvé l'endroit, l'endroit ancien où déjà il avait vu ce
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visage, puis se leva et quitta rapidement la salle (comme s'il avait pu quitter rapidement la salle sans se lever), suivi plus mollement de ses aides dans l'ordre suivant, d'abord Monsieur O'Meldon, puis Monsieur MacStern, puis Mon- sieur de Baker, et enfin Monsieur Magershon, au gré du hasard, ou d'une autre force quelconque. Puis Monsieur O'Meldon, s'attardant pour serrer la main à Louit, et pour appliquer une tape sur le crâne de Monsieur Nackybal, tape preste que sournoisement aussitôt il essuya sur le fond de son pantalon, fut rattrapé et dépassé, d'abord par Monsieur MacStern, puis par Monsieur de Baker, et enfin par Mon- sieur Magershon. Puis Monsieur MacStern, s'immobilisant pour mieux formuler cette dernière chose, fut rattrapé et dépassé, d'abord par Monsieur de Baker, puis par Monsieur Magershon. Puis Monsieur de Baker, se baissant pour renouer son lacet qui s'était défait, à la manière des lacets, fut rattrapé et dépassé par Monsieur Magershon qui conti- nua sur son erre, lent et solitaire, comme dans une histoire de Poe, vers la porte, et l'aurait assurément atteinte, et même franchie, sans une pensée subite qui le figea sur place, au milieu d'un pas, en équilibre précaire sur la plante gauche et les orteils droits, image même de la consternation bipède. Voilà donc renversé l'ordre dans lequel, à la suite de Mon- sieur Fitzwein, déjà sur l'impériale du tram numéro onze, ils s'étaient élancés, si bien que le premier était dernier, et Je dernier premier, et le deuxième troisième, et le troisième deuxième, et que là où l'on avait pu voir, par ordre de marche, Monsieur O'Meldon, Monsieur MacStern, Monsieur de Baker et Monsieur Magershon, on voyait maintenant, étonné, baissé, songeur, saluant, Monsieur Magershon, Mon- sieur de Baker, Monsieur MacStern et Monsieur O'Meldon. Mais à peine Monsieur o'Meldon, cessant de saluer, eut-tl repris sa marche vers Monsieur MacStern que Monsieur MacStern, cessant de songer, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon, vers Monsieur de Baker. Mais à
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peine Monsieur O'Me1don et Monsieur MacStern, ayant cessé le premier de saluer, le deuxième de songer, eurent- ils repris ensemble leur marche vers Monsieur de Baker que Monsieur de Baker, cessant de se baisser, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon et de Mon- sieur MacStern, vers Monsieur Magershon. Mais à peine Monsieur O'Meldon et Monsieur MacStern et Monsieur de Baker, ayant cessé le premier de saluer, le deuxième de songer, le troisième de se baisser, eurent-ils repris ensemble leur marche vers Monsieur Magershon que Monsieur Magers- shon, cessant de s'étonner, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon et de Monsieur MacStern et de Mon- sieur de Baker, vers la porte. Ainsi à travers la porte, après la coagulation de rigueur, les dérobades, les recu- lades, les écartades, les bousculades, et par le petit palier, et par le noble escalier, et jusque dans la cour débor- dante de nuit, un à un ils passèrent, Monsieur MacStern, Monsieur O'Meldon, Monsieur Magershon et Monsieur de Baker, dans cet ordre, selon les exigences du hasard, ou d'une autre puissance quelconque. Ainsi celui qui avait été en premier premier, et en deuxième dernier, main- tenant était deuxième, et celui qui avait été en premier deuxième, et en deuxième troisième, maintenant était pre- mier, et celui qui avait été en premier troisième, et en deu- xième deuxième, maintenant était dernier, et celui qui avait été en premier dernier, et en deuxième premier, maintenant était troisième. Et peu après Monsieur Nackybal se leva, remit ses vêtements de dessus et s'en alla. Et peu après Louit s'en alla. Et comme Louit descendait l'escalier il croisa l'appariteur Power, moins aigre-doux que doux-amer, qui montait. Et comme ils se croisaient l'appariteur ôta sa cas- quette et Louit sourit. Et bien leur en prit. Car si Louit n'avait souri, alors Power n'aurait pas ôté sa casquette, et si Power n'avait ôté sa casquette, alors Louit n'aurait pas souri. Mais ils se seraient croisés, chacun poursuivant sa
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voie, Louis vers le bas, Power vers le haut, l'un impassible, l'autre couvert. Or le lendemain - .
Mais ici Arthur parut se lasser de son histoire, car il quitta Monsieur Graves et rentra dans la maison. Watt s'en réjouit, car lui aussi était las, de l'histoire d'Arthur, qu'il avait écoutée avec la plus grande attention. Et c'est sans mentir qu'il pouvait dire, comme il le faisait longtemps après, que de tout ce qu'il avait vu et entendu, pendant son séjour chez Monsieur Knott, il n'avait rien vu aussi clairement, rien entendu aussi nettement, qu'Arthur et Monsieur Graves par cet après-midi doré, sur la pelouse, et Louit, et Monsieur Nackybal, et Monsieur O'Meldon, et Monsieur Magershon, et Monsieur Fitzwein, et Monsieur de Baker, et Monsieur MacStern, et tout ce qu'ils avaient fait, et tout ce qu'ils avaient dit. Il avait tout compris aussi, très bien, même s'il ne pouvait garantir l'exactitude des chiffres, qu'il ne s'était pas donné la peine de vérifier, n'ayant pas la bosse des raci-
nes. Et s'il ne rapportait pas mot pour mot les propos tenus par Arthur, par Louit, par Monsieur Nackybal et par les autres, il ne s'en fallait pas de beaucoup. Il y prit plaisir aussi, à cet incident, tant qu'il dura, plus qu'il n'en avait pris à rien, depuis longtemps, plus qu'avant longtemps à rien il n'allait en prendre. Mais il finit par s'en lasser et vit avec satisfaction Arthur s'interrompre, et s'en aller. Puis Watt descendit, de son mamelon, songeant combien il ferait bon de retrouver l'ombre fraîche de la maison, devant un verre de lait. Mais il répugnait, à vrai dire sans motif, à laisser Monsieur Knott tout seul dans le jardin. Puis il vit s'agiter les branches d'un arbre et Monsieur Knott qui des- cendait parmi elles, on aurait dit presque de branche en branche, de plus en plus bas, jusqu'à toucher terre. Puis Monsieur Knott se dirigea vers la maison et Watt lui emboîta le pas, enchanté de son après-midi, sur le mame-
lon, et savourant à l'avance le bon verre de lait froid qu'il allait boire, au frais, à l'ombre, dans un instant. Et Monsieur
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Graves restait seul, appuyé sur sa fourche, tout seul, pendant que les ombres s'allongeaient.
Watt apprit plus tard, de la bouche d'Arthur, que la narration de cette histoire, tant qu'elle dura, jusqu'à Ct: qu'Arthur s'en lasse, avait transporté Arthur loin de Mon- sieur Knott et de son domaine dont les mystères, la fixité, l'existence tout court, lui étaient par moments insupportables.
Arthur était bien brave, ouvert et sans malice, tout le contraire d'Erskine.
Dans un autre endroit, dit-il, à partir d'un autre endroit, peut-être qu'il aurait pu finir son histoire, révéler la véri- table identité de Monsieur Nackybal (de son vrai nom Tisler,
il pourrissait dans une chambre sur le canal), expliquer sa méthode d'extraction mentale et relater les forfaits de Louit, sa chute et son ascension, grâce au trafic du Bando.
Mais dans le domaine de Monsieur Knott, à partir du domaine de Monsieur Knott, cela ne lui était pas possible, à Arthur.
Car si Arthur s'arrêta au milieu de son histoire, et se tut, ce n'est pas vraiment qu'il fût las de son histoire, car il ne l'était pas vraiment, c'est qu'il éprouvait le désir de revenir. de quitter Louit et de revenir, à la maison de Monsieur Knott, à ses mystères, à sa fixité. Car en rester absent plus longtemps lui était insupportable.
Mais dans un autre endroit, à partir d'un autre endroit, peut-être qu'il n'aurait jamais commencé cette histoire.
Car un endroit et un seul, là où était Monsieur Knott, recélait dans ses mystères, dans sa fixité, de quoi pousser l'âme dehors, d'une telle poussée.
Mais s'il avait commencé, dans un autre endroit, à partir d'un autre endroit, à raconter cette histoire, alors il l'aurait probablement finie.
Car un endroit et un seul, là où était Monsieur Knott, avait l'étrange propriété de pouvoir, ayant d'une telle poussée poussé l'âme dehors, la rappeler à lui, d'un tel rappel.
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Watt prenait part à ce dilemme. N'avait-il pas lui aussi, au début, eu recours à de semblables faux-fuyants?
En avait-il fini à présent? Eh bien presque.
Fixité n'est pas le terme qu'il aurait employé.
Watt n'avait pas grand'chose àdire au sujet de la seconde
ou dernière période de son séjour chez Monsieur Knott.
Au cours de la seconde ou dernière période du séjour de Watt chez Monsieur Knott les renseignements glanés par
Watt, à ce sujet, étaient maigres.
De la nature de Monsieur Knott en particulier il conti-
nuait de tout ignorer.
Il y avait à cela de nombreuses et excellentes raisons dont
deux au moins semblaient à Watt dignes d'être relevées : d'une part la pénurie des matériaux proposés à ses sens, de l'autre l'altération de ceux-ci. Le peu qu'il y avait à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, comme frappé de stupeur il le voyait, l'entendait, le sentait, le goûtait, le tou- chait.
Dans le vide feutré, l'ombre close, de la vaste pièce réser- vée à la jouissance de Monsieur Knott et de son serviteur, Monsieur Knott demeurait. Et cette ambiance le suivait dehors et allait avec lui, partout où il allait, dans la maison, dans le jardin, assombrissant tout, affadissant tout, assour- dissant tout, engourdissant tout, partout où il passait.
Les vêtements que portait Monsieur Knott, dans sa cham bre, par sa maison, parmi son jardin, étaient d'une grande diversité, d'une très grande diversité. Tantôt lourds, tantôt légers; tantôt habillés, tantôt négligés; tantôt sobres, tantôt voyants; tantôt décents, tantôt osés (son costume de bain sans jupette, par exemple). Et souvent il portait, au coin du feu, ou quand il errait par les chambres, les escaliers, les couloirs de sa demeure, un chapeau, ou une casquette, ou, emprisonnant son cheveu folâtre et rare, un filet. Et tout aussi souvent sa tête était nue.
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Quant à ses pieds, tantôt il avait à chacun une chaussette, ou à l'un une chaussette et à l'autre un bas, ou un brode- quin, ou un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas, ou à l'un un bas et à l'autre un, brodequin, ou un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un brodequin, ou à l'un un brodequin et à l'autre un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à cha- cun un soulier, ou à l'un un soulier et à l'autre un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un chausson, ou à l'un un chausson et à l'autre une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun une chaussette et un brode- quin, ou à l'un une chaussette et un brodequin et à l'autre
une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un sou- lier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun une chaussette et un soulier, ou à l'un une chaussette et un soulier et à l'autre une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un sou- lier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il
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avait à chacun une chaussette et un chausson, ou à l'un une chaussette et un chausson et à l'autre un bas et un brode- quin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un brode- quin, ou à l'un un bas et un brodequin et à l'autre un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un soulier, ou à l'un un bas et un soulier et à l'autre un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un chausson, ou à l'un un bas et un chausson et à l'autre rien du tout. Et tantôt il allait pieds nus.
Penser, quand on n'est plus jeune, quand on n'est pas encore vieux, qu'on n'est plus jeune, qu'on n'est pas encore vieux, ce n'est peut-être pas rien. Faire une pause, vers la fin de sa journée de trois heures, et considérer : l'aise tou-
jours plus sombre, la peine toujours plus claire; le plaisir là encore parce qu'il fut, la douleur là déjà parce qu'elle sera; l'acte joyeux devenu volontaire, en attendant de se faire acharné; le halètement, le tremblement, vers l'être révolu, devant l'être à venir; et le vrai qui ne l'est plus, et le faux qui ne l'est pas encore. Et décider de ne pas sourire après tout, assis à l'ombre à écouter les cigales, à réclamer la nuit, à réclamer le matin, à écouter le murmure, Non, ce n'est pas le cœur, non, ce n'est pas le foie, non, ce n'est pas la prostate, c'est musculaire, c'est nerveux. Puis la rage s'achève, ou elle continue, et l'on est au fond du trou, au- delà du désir du désir, de l'horreur de l'horreur, au fin fond du trou, au pied de toutes les pentes enfin, des chemins qui montent, des chemins qui descendent, et libre, libre enfin,
pour un instant libre enfin, rien enfin.
Mais quoi qu'il choisît en se levant, car minuit le voyait
toujours en chemise de nuit, quoi qu'il choisît alors, pour sa tête, pour son corps, pour ses pieds, il n'y touchait plus, mais le gardait toute la journée, dans sa chambre, par sa mai- son, parmi son jardin, jusqu'au moment où il mettait sa che-
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mise de nuit, une fois de plus. Oui, pas question de toucher au moindre bouton, pour le boutonner ou le déboutonner, sauf nécessité naturelle, et là il ne boutonnait jamais, depuis le moment où il mettait ses vêtements, en les ajustant à sa convenance, jusqu'au moment où il les enlevait, encore une fois. Si bien qu'il n'était pas rare de le voir, dans sa cham- bre, par sa maison, parmi son jardin, en tenue bizarre et hors de saison, comme s'il n'avait pas conscience du temps qu'il faisait, ou de l'époque de l'année. Et le voir quelque- fois ainsi, nu-pieds et accoutré pour le canotage, dans la neige, dans la gadoue, dans la bise glaciale de l'hiver, ou, l'été revenu, au coin du feu, chargé de fourrures, c'était se demander, Cherche-t-il à savoir de nouveau ce que c'est, le froid, le chaud? Mais c'était là une impertinence anthropo- morphique de courte durée.
Car sauf, primo, d'être sans besoin et, secundo, d'un témoin de son absence de besoin, Monsieur Knott n'avait besoin de rien, pour autant que Watt pût en juger.
S'il mangeait, et il mangeait copieusement; s'il buvait, et il buvait abondamment; s'il dormait, et il dormait pro- fondément; s'il faisait autre chose, et il faisait autre chose régulièrement, ce n'était pas par besoin de nourriture, ou de boisson, ou de sommeil, ou d'autre chose, non, mais par besoin d'être sans besoin, à tout jamais sans besoin, de nourriture, de boisson, de sommeil et d'autre chose.
Ce fut là, de la part de Watt, sur le compte de Monsieur Knott, la première conjecture non dépourvue d'intérêt.
Et Monsieur Knott n'ayant besoin de rien sinon, primo, d'être sans besoin et, secundo, d'un témoin de son absence de besoin, sur lui-même ne savait rien. D'où son besoin d'un témoin, non pas aux fins de savoir, non, mais aux fim de ne pas cesser.
Ce fut là, sur le compte de Monsieur Knott, de la part de Watt, la seconde et dernière hypothèse pas entièrement gratuite.
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Hésitantes, défaillantes d'incertitude, elles franchirent à peine ses lèvres.
Son ton habituel était celui de l'assurance.
Mais quelle sorte de témoin était Watt, dont la vue décli- nait, l'ouïe baissait, et même les sens autrement intimes laissaient sérieusement à désirer?
Un témoin tout besoin, tout insuffisance.
Pour mieux témoigner et plus mal.
Pour en tant que besoin témoigner de son absence.
Pour en tant qu'insuffisance en témoigner mal.
Pour gue sans jamais cesser Monsieur Knott aille sans
cesse cessant.
Tel semblait être le système.
Quand Monsieur Knott circulait par sa maison il le faisait
comme quelqu'un étranger aux lieux, tâtonnant à des portes immémorialement condamnées, regardant étonné par les fenêtres, trébuchant dans le noir de toujours, errant partout à la recherche des toilettes, se figeant perplexe au pied de l'escalier, se figeant perplexe en haut de l'escalier.
Quand Monsieur Knott circulait parmi son jardin il le faisait comme que1gu'un ignorant de ses beautés, tombant en arrêt devant les arbres, devant les fleurs, devant les buis- sons, devant les légumes, comme si leur création, ou la sienne, avait eu lieu dans la nuit.
Mais c'était dans sa chambre, même s'il lui arrivait de vouloir en sortir par la porte du placard, gue Monsieur Knott semblait le moins perdu, et se montrait sous son meilleur jour. \
Ici il se tenait immobile. Debout. Assis. A genoux. Cou- ché. Ici il allait et venait. De la porte à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu au lit; de la porte au feu, du feu à la porte; du feu à la porte, de la porte au feu; de la fenêtre au lit, du lit à la fenêtre; du lit à la fenêtre, de la fenêtre au lit; du
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feu à la fenêtre, de la fenêtre au feu; de la fenêtre au feu, du feu à la fenêtre; du lit à la porte, de la porte au lit ; de la porte au lit, du lit à la porte; de la porte à la fenêtre, de la fenêtre au feu ; du feu à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte au lit ; du lit à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit à la fenêtre; de la fenêtre au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu à la porte'; de la porte au feu, du feu au lit; de la porte à la fenêtre, de la fenêtre au lit; du lit à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte au feu; du feu à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit à la porte; de la porte au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu à la fenêtre; de la fenêtre au feu, du feu au lit; de la porte au feu, du feu à la fenêtre; de la fenêtre au feu, du feu à la porte; de la fenêtre au lit, du lit à la porte; de la porte au lit, du lit à la fenêtre; du feu à la fenêtre, de la fenêtre au lit ; du lit à la fenêtre, de
la fenêtre au feu; du lit à la porte, de la porte au feu; du feu à la porte, de la porte au lit.
Cette chambre était meublée solidement et avec sobriété.
Ce mobilier solide et sobre était soumis par Monsieur Knott à de fréquents changements de position, tant absolus que relatifs. Ainsi il n'était pas rare de voir le dimanche la commode debout près du feu, et la coiffeuse pieds en l'air près du lit, et la table de nuit sur le ventre près de la porte, et la table de toilette sur le dos près de la fenê- tre; et le lundi la commode sur le dos près du lit, et la coiffeuse sur le ventre près de la porte, et la table de nuit sur le dos près de la fenêtre, et la table de toilette debout près du f e u ; et le mardi la commode sur le ventre près de la porte, et la coiffeuse sur le dos près de la fenêtre, et la table de nuit debout près du feu, et la table de toi- lette pieds en l'air près du lit; et le mercredi la commode sur le dos près de la fenêtre, et la coiffeuse debout près du feu, et la table de nuit pieds en l'air près du lit, et
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la table de toilette sur le ventre près de la porte; et le jeudi la commode sur le flanc près du feu, et la coiffeuse debout près du lit, et la table de nuit pieds en l'air près de la porte, et la table de toilette sur le ventre près de la fenêtre; et le vendredi la commode debout près du lit, et la coiffeuse pieds en l'air près de la porte, et la table
de nuit sur le ventre près de la fenêtre, et la table de toi- lette sur le flanc près du f e u ; et le samedi la commode pieds en l'air près de la porte, et la coiffeuse sur le ventre près de la fenêtre, et la table de nuit sur le flanc près du feu, et la table de toilette debout près du lit; et le dimanche suivant la commode sur le ventre près de la fenêtre, et la coiffeuse sur le flanc près du feu, et la table de nuit debout près du lit, et la table de toilette pieds en l'air près de la porte; et le lundi suivant la commode sur le dos près du feu, et la coiffeuse sur le flanc près du lit, et la table de nuit debout près de la porte, et la table de toilette pieds
en l'air près de la fenêtre; et le mardi suivant la commode sur le flanc près du lit, et la coiffeuse debout près de la porte, et la table de nuit pieds en l'air près de la fenêtre, et la table de toilette sur le dos près du feu; et le mercredi suivant la commode debout près de la porte, et la coif- feuse pieds en l'air près de la fenêtre, et la table de nuit sur le dos près du feu, et la table de toilette sur le flanc près du lit; et le jeudi suivant la commode pieds en l'air
près de la fenêtre, et la coiffeuse sur le dos près du feu, et la table de nuit sur le flanc près du lit, et la table de toilette debout près de la porte ; et le vendredi suivant la commode sur le ventre près du feu, et la coiffeuse sur le dos près du lit, et la table de nuit sur le flanc près de la porte, et la table de toilette debout près de la fenêtre; et le samedi suivant la commode sur le dos près du lit, et la
coiffeuse sur le flanc près de la porte, et la table de nuit debout près de la fenêtre, et la table de toilette sur le ventre près du f e u ; et le dimanche suivant la commode
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sur le flanc près de la porte, et la coiffeuse debout près de la fenêtre, et la table de nuit sur le ventre près du feu, et la table de toilette sur le dos près du lit; et le lundi suivant la commode debout près de la fenêtre, et la coif- feuse sur le ventre près du feu, et la table de nuit sur le dos près du lit, et la table de toilette sur le flanc près de la porte; et le mardi suivant la commode pieds en l'air près du feu, et la coiffeuse sur le ventre près du lit, et la table de nuit sur le dos près de la porte, et la table de toilette sur le flanc près de la fenêtre; et le mercredi suivant la commode sur le ventre près du lit, et la coif- feuse sur le dos près de la porte, et la table de nuit sur le flanc près de la fenêtre, et la table de toilette pieds
en l'air près du feu; et le jeudi suivant la commode sur le dos près de la porte, et la coiffeuse sur le flanc près de la fenêtre, et la table de nuit pieds en l'air près du feu, et la table de toilette sur le ventre près du lit; et le vendredi suivant la commode sur le flanc près de la fenêtre, et la coiffeuse pieds en l'air près du feu, et la table de nuit sur le ventre près du lit, et la table de toi- lette sur le dos près de la porte, par exemple, pas du tout rare, pour considérer seulement, sur une période de vingt jours seulement, la commode, la coiffeuse, la table de nuit et la table de toilette, et leurs pieds, leurs ventres, leurs dos et leurs flancs non précisés, et le feu, le lit, la porte et la fenêtre, pas du tout rare.
Car les sièges aussi, pour ne parler que des sièges aussi, voyageaient sans cesse.
Car les encoignures aussi, pour ne parler que des encoi- gnures aussi, étaient rarement dégagées.
Seul le lit donnait l'illusion de la fixité, le lit si sobre, le lit si solide, qu'il en était rond, et vissé au sol.
La tête de Monsieur Knott, les pieds de Monsieur Knott, à raison d'un déplacement de près d'un degré par nuit, bouclaient en douze mois le tour de cette couche
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solitaire. Son coccyx aussi, et appareil adjacent, accomplis- saient leur petite révolution annuelle, comme en faisaient foi les draps (changés régulièrement à la Saint-Lazare) et même le matelas.
Des étranges agissements dans les étages, qui avaient tant préoccupé Watt pendant son séjour au rez-de-chaussée, nulle explication ne se présentait. Mais ils ne le préoccu- paient plus.
De temps en temps Monsieur Knott disparaissait de sa chambre, laissant Watt tout seul. Un moment il était là, le moment d'après envolé. Mais Watt en ces occasions, à l'en- contre d'Erskine, ne se sentait pas tenu de partir à sa recher- che, dans les étages et au rez-de-chaussée, massacrant de ses pas le silence de la maison et importunant son collègue dans la cuisine, non, mais il demeurait tranquillement à sa place, ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé, en atten- dant que Monsieur Knott revînt.
Watt ne souffrait ni de la présence de Monsieur Knott, ni de son absence. Quand il était avec lui il était content d'être avec lui, quand il était loin de lui il était content d'être loin de lui. Jamais avec soulagement, jamais à regret, il ne le quittait le soir, ni le matin ne le retrouvait.
Cette ataraxie s'étendait à la maison tout entière, au jardin de plaisance, au potager et bien sûr à Arthur.
De sorte que, venu pour Watt le moment du départ, il gagna la grille le plus sereinement du monde.
Mais il n'était pas plus tôt sur la voie publique qu'il fondit en larmes. Il se voyait encore, planté là, tête basse, un sac à chaque main, et ses larmes qui dégouttaient lentes et avares, pour se répandre sur la chaussée qui venait d'être refaite. Il n'aurait pas cru possible une chose pareille, s'il n'y avait assisté, De cette effusion, la source partie, il esti- mait que la route avait dû garder des traces pendant deux minutes au moins, sinon trois. Encore heureux que le temps fût au sec.
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La chambre de \Vatt ne recélait aucun indice. C'était un réduit sordide et, quoique Watt ne fût pas exactement sale de sa personne, malodorant. L'unique fenêtre avait une belle vue sur un champ de courses. La peinture, ou reproduction
en couleurs, ne livrait rien de plus. Au contraire, plus le temps passait, moins elle avait de sens.
De la voix de Monsieur Knott il n'y avait rien à tirer. Entre Monsieur' Knott et Watt, aucune conversation.
(1) Locution latine signifiant à peu près : errer (errare) humain (hurru num) est (est).
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ha ha, dit Monsieur de Baker. Qu'est-ce que ça veut dire, le cube à sa racine? dit Monsieur Fitzwein. Ça ne veut rien dire, dit Monsieur MacStern. Comment ça ne veut rien dire? dit Monsieur O'Meldon. Monsieur MacStern répondit, A sa combientième racine? Un cube peut avoir une masse de racines. Comme le concombre géant d'Istambul, dit Mon- sieur Fitzwein. Pas tous les cubes, dit Monsieur O'Meldon. Qui vous parle de tous les cubes? dit Monsieur MacStern. Pas ce cube-là, dit Monsieur O'Meldon. C'est vous qui le dites, dit Monsieur MacStern. Je nage, dit Monsieur Fitz- wein. Et moi alors, dit Monsieur Magershon. Qu'est-ce qui est merveilleux merveilleux? dit Monsieur Fitzwein. Mon- sieur O'Meldon répondit, Que Monsieur Ballynack - . Nac- kybal, dit Louit. Monsieur ü'Meldon reprit, Que Monsieur Nackybal ait pu, de tête, dans le bref espace de trente-cinq ou quarante secondes, extirper la racine cubique d'un nom- bre de six chiffres. Monsieur MacStern dit, Quarante secon- des! Voici au moins cinq minutes qu'on entend parler de ce produit. Qu'est-ce qu'il y a là de si merveilleux? dit Mon- sieur Fitzwein. Possible que notre président ait oublié, dit Monsieur MacStern. Deux est la racine cubique de huit, dit Monsieur ü'Meldon. Vraiment, dit Monsieur Fitzwein. Oui, dit Monsieur O'Meldon, deux fois deux quatre et deux fois quatre huit. Ça alors, dit Monsieur Fitzwein, deux est la racine cubique de huit. Oui, et huit est le cube de deux, dit
Monsieur O'Meldon. Huit est le cube de deux, dit Monsieur Fitzwein. Voilà, dit Monsieur O'Meldon. Qu'est-ce qu'il y a là de si merveilleux? dit Monsieur Fitzwein. Monsieur O'Meldon répondit, Que deux soit la racine cubique de huit, et huit le cube de deux, il y a belle lurette que cela ne nous étonne plus. Ce qui est étonnant, c'est que Mon- sieur Nallyback ait pu, de tête, en si peu de temps, extirper la racine cubique d'un nombre de six chiffres. Oh, dit Mon- sieur Fitzwein. Est-ce donc si difficile? dit Monsieur Ma- gershon. Impossible, dit Monsieur MacStern. Eh ben, dit
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Monsieur Fitzwein. Un exploit encore jamais réalisé par l'homme, dit Monsieur O'Meldon, et une seule fois par un cheval. Un cheval! s'exclama Monsieur Fitzwein. Un épisode du Kulturkampf, dit Monsieur O'Meldon. Ah je
vois, dit Monsieur Fitzwein. Louit ne cacha pas sa satis- faction. Monsieur Nackybal gisait sur le flanc et semblait dormir. Mais Monsieur Nackybal n'est pas un cheval, dit Monsieur Fitzwein. Loin de là, dit Monsieur O'Mel- don. Vous êtes sûr de ce que vous avancez? dit Mon- sieur Magershon. Non, dit Monsieur O'Meldon. C'est lou- che, dit Monsieur MacStern. Je proteste, dit Louit. Contre q u o i ? dit Monsieur Fitzwein. Contre le mot louche, dit Louit. Prenez-en note, Monsieur de Baker, dit Monsieur Fitzwein. Louit sortit une feuille de papier de sa poche et la passa à Monsieur O'Meldon. Mon Dieu, qu'est-ce que vous me donnez là, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Mel-
don. Une liste de cubes parfaits, dit Louit, de six chiffres et au-dessous, quatre-vingt-dix-neuf au total, avec les racines cubiques correspondantes. Et que voulez-vous que j'en fasse, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Meldon. Que vous mettiez mon ami à l'épreuve, dit Louit. Oh, dit Monsieur Fitzwein. En mon absence, puisque vous doutez de notre bonne foi, dit Louit. Allons allons, Monsieur Louit, dit Monsieur
Magershon. Déshabillez-le, bandez-lui les yeux, mettez-moi dehors, dit Louit. Vous oubliez la télépathie, ou transmission de pensée, dit Monsieur MacStern. Louit dit, Masquez les cubes en demandant les cubes des racines, masquez les raci- nes en demandant les racines des cubes. Qu'est-ce que ça changera? dit Monsieur O'Me1don. Vous ne saurez pas la réponse avant lui, dit Louit. Monsieur Fitzwein quitta la salle, suivi de ses aides. Louit secoua Monsieur Nackybal et l'aida à se lever. Monsieur O'Meldon revint, le papier de Louit à la main. Je peux le garder jusqu'à demain, Monsieur Louit? dit-il. Toute la vie, dit Louit. Bonsoir à tous les deux, dit Monsieur O'Meldon. Bonsoir, Monsieur O'Meldon, dit
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Louit. Il ajouta, Tom, dis bonsoir gentiment à Monsieur ü'Meldon, dis, Bonsoir, Monsieur ü'Meldon. Soir, dit Mon- sieur Nackybal, Charmant charmant, dit Monsieur ü'Mel- don. Il s'en alla, suivi peu après de Louit et de Monsieur
Nackybal, bras dessus bras dessous. La salle à présent vide s'emplit bientôt de l'ombre du soir. Nature. Un appariteur apparut, alluma, rangea les chaises, s'assura que tout était en état, éteignit et disparut, laissant la vaste salle dans l'obs- curité, car la nuit était tombée, encore une fois. Eh bien, Monsieur Graves, croyez-moi si vous voulez, le lendemain à la même heure, au même endroit, dans l'immense et haute salle inondée à présent de lumière, les mêmes personnes se réunirent et Monsieur Nackybal fut soumis à un test sévère, en matière d'élévation aussi bien que d'extraction, à partir de la table fournie par Louit. Les précautions préconisées par Louit furent adoptées, à ceci près que Louit ne fut pas mis dehors, mais posté le dos à la salle devant la fenêtre ouverte, et que Monsieur Nackybal se vit autoriser à garder une grande partie de ses sous-vêtements. De cette épreuve ardue Monsieur Nackybal se tira avec honneur, ne s'étant trompé et encore de peu sur les quarante-six cubes demandés que vingt-cinq fois et sur les cinquante-trois extractions pro- posées n'ayant commis que la bagatelle de quatre erreurs insignifiantes. L'intervalle entre question et réponse, tantôt bref, tantôt allant jusqu'à une minute, était en moyenne, au dire de Monsieur ü'Me1don, qui s'était muni de son chro- nomètre, d'un peu plus de trente-quatre et d'un peu moins de trente-cinq secondes. Une fois Monsieur Nackybal s'abs- tint de répondre. Un ange passa. Monsieur ü'Meldon, les yeux sur la feuille, venait d'annoncer, Six cent cinquante-huit mille quatre cent treize. Il s'écoula une minute, une minute un quart, une minute et demie, une minute trois quarts, deux minutes, deux minutes un quart, deux minutes et demie, deux minutes trois quarts, trois minutes, trois minutes un quart, trois minutes et demie, trois minutes trois quarts, et
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toujours pas de réponse de Monsieur Nackybal! Allons allons, Monsieur, dit Monsieur O'Meldon avec aigreur, Six cent cinquante-huit mille quatre cent treize. Et toujours pas de réponse de Monsieur Nackybal ! De deux choses l'une, dit Monsieur Magershon, ou bien il sait ou bien il ne sait pas. Là Monsieur de Baker rit aux larmes. Monsieur Fitzwein dit, Si vous n'entendez pas, dites que vous n'entendez pas, si vous ne savez, pas, dites que vous ne savez pas, on n'a pas toute la nuit à perdre. Louit se retourna et dit, Ce nom- bre est-il sur la liste? Silence, Monsieur Louit, dit Monsieur Fitzwein. Ce nombre est-il sur la liste? tonna Louit, avan- çant d'un pas, le visage soudain blême de colère, de livide qu'il avait été. J'accuse le Trésorier, dit-il, dardant son index vers ce monsieur, comme s'il y avait deux, ou trois, ou quatre, ou cinq, ou même six trésoriers dans la salle au lieu d'un seul, d'avoir annoncé un nombre qui n'est pas sur la liste et n'a pas plus de racine cubique que mon cul. Mon- sieur Louit! s'écria Monsieur Fitzwein. Son quoi? dit Monsieur O'Me1don. Son cul, dit Monsieur Magershon. Je l'accuse, dit Louit, d'avoir essayé froidement, avec une mal- veillance calculée, de brimer et d'égarer un vieillard qui, par amitié pour moi, fait de son mieux pour. . . pour. . . qui fait de son mieux. Mécontent de cette faible péroraison Louitajouta,J'appelleçal'acted'un- ,- ,- ,- ,- , - , - , - , - - , soit en clair une bordée d'injures si grossières qu'un homme moins doux de caractère que Mon- sieur O'Meldon s'en serait certainement formalisé, tant elles étaient grossières et véhémentes. Mais le caractère de Mon- sieur O'Me1don était d'une telle douceur que lorsque Mon- sieur Fitzwein se leva, et avec colère déclara la séance levée, Monsieur O'Me1don se leva aussi et calma Monsieur Fitz- wein, en lui expliquant que c'était lui et lui seul le coupable, pour avoir pris un zéro pour un un et non pas pour un zéro, comme il aurait dû. Mais vous ne l'avez pas fait de propos dé - dé - délibéré, dit Monsieur Fitzwein, et avec
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prémé - mé - méditation. Il s'ensuivit un silence qui se prolongea jusqu'à ce que Monsieur O'Meldon, baissant la tête, et la balançant lentement de droite et de gauche, et se dandinant d'une jambe sur l'autre, répondît enfin, Oh non non non non non, le ciel m'est témoin que non. En ce cas, dit Monsieur Fitzwein, je dois demander à Monsieur Lingard de vous faire des excuses. Oh non non non non non, pas d'excuses, s'écria Monsieur O'Meldon. Monsieur Lingard ? dit Monsieur Magershon. J'ai dit Monsieur Lingard? dit Monsieur Fitzwein, Dame, dit Monsieur Magershon. Où avais-je donc la tête? dit Monsieur Fitzwein. Ma mère est née Lingard, dit Monsieur MacStern. En effet, dit Monsieur Fitzwein, je m'en souviens, une femme exquise. Elle est morte en me donnant le jour, dit Monsieur MacStern. Met- tez-vous à sa place, dit Monsieur de Baker. Exquise exquise, dit Monsieur Fitzwein. La démonstration terminée, ce fut l'heure des questions. Derrière les baies occidentales de la vaste salle flamboyait le rouge soleil d'hiver, déjà bas sur l'horizon, faisant frémir l'air captif de ses furieux rayons derniers, pendant que par les ouvertures opposées ou orien- tales arrivait le murmure, faible et apaisant, des innorn- brables clairons de la nuit. C'était l'heure des questions. Et la racine quatrième? dit Monsieur Fitzwein, se piquant au jeu. Louit répondit. Et la racine cinquième? dit Monsieur Fitzwein. Ainsi de suite. Rose et sombre, adieu et avé, s'affrontaient confondus, vainqueur, vaincu, vaincu, vain- queur, dans la vaste salle indifférente. Et la racine treizième? dit Monsieur Fitzwein. Pitié! dit Monsieur Magershon. Vous dites? dit Monsieur Fitzwein. Pitié, dit Monsieur Mager- shon. De quoi vous mêlez-vous? dit Monsieur Fitzwein. Messieurs messieurs, dit Monsieur MacStern. Monsieur O'Meldon leva le nez de son papier et dit, Monsieur Louit, en examinant de près ces colonnes de chiffres j'ai pu cons- tater que l'une, ou colonne racines, ne comporte aucun nombre de plus de deux chiffres, et l'autre, ou colonne cubes,
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aucun de plus de six. Colonne cubes! s'écria Monsieur Mac- Stern. Qu'est-ce qui ne va pas maintenant? dit Monsieur Fitzwein. Comme c'est beau, dit Monsieur MacStern. Vous êtes d'accord, Monsieur L o u i t ? dit Monsieur O'Meldon. Je suis fermé à la musique, dit Louit. Je ne parle pas de ça, dit Monsieur O'Meldon. De quoi parleriez-vous? dit Mon- sieur Fitzwein. Je parle, dit Monsieur O'Meldon, d'une part de l'absence. dans l'une des colonnes, ou colonne raci- nes, de tout nombre de plus de deux chiffres, et de l'autre, dans l'autre, ou colonne cubes, de l'absence de tout nombre de plus de six chiffres. Est-ce que je me trompe, Monsieur Louit? Vous avez la liste sous les yeux, dit Louit. Colonne racines, c'est joli aussi, non? dit Monsieur de Baker. Oui, mais moins que colonne cubes, dit Monsieur MacStern.
Peut- être, dit Monsieur de Baker, un peu moins peut-être, mais guère. Monsieur de Baker chanta :
Colonne cubes dit à colonnes racines, Que veux-tu boire, ma chère? Colonne cubes dit à colonne racines, Que veux-tu boire, ma chère? Colonne cubes dit à colonne racines, Que veux-tu boire, ma chère?
Je boirais bien un pot, dit colonne racines, De ton extrait mortuaire.
Hahahaha, haha, ha, hum, dit Monsieur de Baker. Pas d'autres questions, dit Monsieur Fitzwein, avant que je rentre me coucher? J'en soulevais une, dit Monsieur O'Mel- don, quand on m'a interrompu. Peut-être qu'il pourrait reprendre là où il s'est arrêté, dit Monsieur Magershon. La question que je soulevais, dit Monsieur O'Meldon, quand on m'a interrompu, est celle-ci : en examinant de près ces colonnes de chiffres j'ai pu constater que l'une, ou - . Il
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l'a déjà dit deux fois, dit Monsieur MacStern. Sinon trois, dit Monsieur de Baker. Monsieur Magershon dit, Reprenez là où vous vous êtes arrêté, non pas là où vous avez com- mencé. Ou êtes-vous comme la chenille de Darwin? La quoi de qui? dit Monsieur de Baker. La chenille de Darwin, dit Monsieur Magershon. Qu'est-ce qu'elle avait qui n'allait pas? dit Monsieur MacStern. Elle avait ceci, dit Monsieur Magershon, que lorsqu'elle filait son enveloppe, si on la dérangeait - . Sommes-nous ici pour parler chenilles ? dit Monsieur O'Meldon. Soulevez votre question pour l'amour
de Dieu, dit Monsieur Fitzwein, que j'aille retrouver ma femme. Il ajouta, Et mes enfants. La question que j'étais en train de soulever, dit Monsieur O'Meldon, quond on m'a si grossièrement interrompu, est celle-ci : si dans la colonne de gauche, ou colonne racines, il y avait des nombres non plus de deux chiffres au plus, mais de trois chiffres, voire de quatre chiffres, pour nous en tenir là, alors dans la colonne de droite, ou colonne cubes, il y aurait des nom- bres non plus de six chiffres au plus, mais de sept, huit, neuf, dix, onze, voire douze chiffres. Un silence s'ensuivit. Oui ou non, Monsieur Louit? dit Monsieur O'Meldon. C'est probable, dit Louit. Alors pourquoi, dit Monsieur O'Meldon, se penchant en avant et écrasant son poing sur la table, pourquoi n'yen a-t-il pas? Pourquoi n'y a-t-il pas q u o i ? dit Monsieur Fitzwein. Ce que je viens de dire, dit Monsieur O'Meldon. Pitié, dit Monsieur Magershon. C'est-à-dire P, dit Monsieur Fitzwein. Mon- sieur O'Meldon répondit, D'une part, dans l'une des colon- nes - . Ou colonne racines, dit Monsieur de Baker. Mon- sieur O'Meldon reprit, Des nombres de trois chiffres, voire de - . Pour nous en tenir là, dit Monsieur MacStern. Monsieur O'Meldon reprit, Et de l'autre; dans l'autre - . Ou colonne cubes, dit Monsieur Magershon. Monsieur O'Meldon reprit, Des nombres de sept - . Huit, dit Mon- sieur de Baker. Neuf, dit Monsieur MacStern. Dix, dit
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Monsieur Magershon. Onze, dit Monsieur de Baker. Voire Gouze, dit Monsieur MacStern. Chiffres, dit Monsieur Magers- shon. Pourquoi y en aurait-Il ? dit Monsieur Fitzwein. Petit à petit l'oiseau, dit Louit. Dois-je donc supposer, Monsieur Louit, dit Monsieur O'Meldon, que si je demandais à cet individu la racine cubique de mettons - il se pencha sur son papier - mettons neuf cent soixante-treize millions deux cent cinquante-deux mille deux cent soixante-et-onze, il ne serait pas capable de la fournir? Pas ce soir, dit Louit.
Ou, poursuivit Monsieur O'Meldon, consultant de nouveau son papier, Neuf cent quatre-vingt-dix-huit billions sept cents millions cent vingt-neuf mille neuf cent quatre-vingt- dix-neuf, par exemple. Pas en ce moment, une autre fois, dit Louit. Aha, dit Monsieur O'Meldon. Votre question est- elle soulevée à présent? dit Monsieur Fitzwein. Elle l'est, dit Monsieur O'Meldon. A la bonne heure, dit Monsieur Fitzwein. Vous nous expliquerez ça plus tard, dit Monsieur Magershon. Ou ai-je déjà vu ce visage? dit Monsieur Fitz- wein. Une dernière chose, dit Monsieur MacStern. Le soleil s'est couché, au ponant, dit Monsieur de Baker, tournant la tête, étendant le bras, dans cette direction. Alors les autres de se tourner aussi, pour fixer d'un long regard l'endroit où, voilà un instant à peine, le soleil était. Mais Monsieur de Baker, d'une brusque virevolte, désigna la direction oppo- sée, en disant, Pendant qu'au levant la nuit tombe, à grand" pas. Alors les autres de se retourner aussi, face à ces fenê- tres luisantes, au ciel gris foncé en bas, gris plus clair en haut. Car la nuit semblait moins tomber que se lever, tel un jour nouveau. Mais comme à la fosse, Monsieur Graves, à la fosse pas encore comblée, ou au véhicule s'ébranlant avec la bien-aimée, je dis bien, au véhicule s'ébranlant avec la bien-aimée, en soupirant ils s'arrachèrent lentement à la nuit enfin, et Monsieur Fitzwein se mit à rassembler vive- ment ses papiers, car dans cette lumière finissante il avait retrouvé l'endroit, l'endroit ancien où déjà il avait vu ce
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visage, puis se leva et quitta rapidement la salle (comme s'il avait pu quitter rapidement la salle sans se lever), suivi plus mollement de ses aides dans l'ordre suivant, d'abord Monsieur O'Meldon, puis Monsieur MacStern, puis Mon- sieur de Baker, et enfin Monsieur Magershon, au gré du hasard, ou d'une autre force quelconque. Puis Monsieur O'Meldon, s'attardant pour serrer la main à Louit, et pour appliquer une tape sur le crâne de Monsieur Nackybal, tape preste que sournoisement aussitôt il essuya sur le fond de son pantalon, fut rattrapé et dépassé, d'abord par Monsieur MacStern, puis par Monsieur de Baker, et enfin par Mon- sieur Magershon. Puis Monsieur MacStern, s'immobilisant pour mieux formuler cette dernière chose, fut rattrapé et dépassé, d'abord par Monsieur de Baker, puis par Monsieur Magershon. Puis Monsieur de Baker, se baissant pour renouer son lacet qui s'était défait, à la manière des lacets, fut rattrapé et dépassé par Monsieur Magershon qui conti- nua sur son erre, lent et solitaire, comme dans une histoire de Poe, vers la porte, et l'aurait assurément atteinte, et même franchie, sans une pensée subite qui le figea sur place, au milieu d'un pas, en équilibre précaire sur la plante gauche et les orteils droits, image même de la consternation bipède. Voilà donc renversé l'ordre dans lequel, à la suite de Mon- sieur Fitzwein, déjà sur l'impériale du tram numéro onze, ils s'étaient élancés, si bien que le premier était dernier, et Je dernier premier, et le deuxième troisième, et le troisième deuxième, et que là où l'on avait pu voir, par ordre de marche, Monsieur O'Meldon, Monsieur MacStern, Monsieur de Baker et Monsieur Magershon, on voyait maintenant, étonné, baissé, songeur, saluant, Monsieur Magershon, Mon- sieur de Baker, Monsieur MacStern et Monsieur O'Meldon. Mais à peine Monsieur o'Meldon, cessant de saluer, eut-tl repris sa marche vers Monsieur MacStern que Monsieur MacStern, cessant de songer, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon, vers Monsieur de Baker. Mais à
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peine Monsieur O'Me1don et Monsieur MacStern, ayant cessé le premier de saluer, le deuxième de songer, eurent- ils repris ensemble leur marche vers Monsieur de Baker que Monsieur de Baker, cessant de se baisser, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon et de Mon- sieur MacStern, vers Monsieur Magershon. Mais à peine Monsieur O'Meldon et Monsieur MacStern et Monsieur de Baker, ayant cessé le premier de saluer, le deuxième de songer, le troisième de se baisser, eurent-ils repris ensemble leur marche vers Monsieur Magershon que Monsieur Magers- shon, cessant de s'étonner, reprit sa marche, accompagné de Monsieur O'Meldon et de Monsieur MacStern et de Mon- sieur de Baker, vers la porte. Ainsi à travers la porte, après la coagulation de rigueur, les dérobades, les recu- lades, les écartades, les bousculades, et par le petit palier, et par le noble escalier, et jusque dans la cour débor- dante de nuit, un à un ils passèrent, Monsieur MacStern, Monsieur O'Meldon, Monsieur Magershon et Monsieur de Baker, dans cet ordre, selon les exigences du hasard, ou d'une autre puissance quelconque. Ainsi celui qui avait été en premier premier, et en deuxième dernier, main- tenant était deuxième, et celui qui avait été en premier deuxième, et en deuxième troisième, maintenant était pre- mier, et celui qui avait été en premier troisième, et en deu- xième deuxième, maintenant était dernier, et celui qui avait été en premier dernier, et en deuxième premier, maintenant était troisième. Et peu après Monsieur Nackybal se leva, remit ses vêtements de dessus et s'en alla. Et peu après Louit s'en alla. Et comme Louit descendait l'escalier il croisa l'appariteur Power, moins aigre-doux que doux-amer, qui montait. Et comme ils se croisaient l'appariteur ôta sa cas- quette et Louit sourit. Et bien leur en prit. Car si Louit n'avait souri, alors Power n'aurait pas ôté sa casquette, et si Power n'avait ôté sa casquette, alors Louit n'aurait pas souri. Mais ils se seraient croisés, chacun poursuivant sa
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voie, Louis vers le bas, Power vers le haut, l'un impassible, l'autre couvert. Or le lendemain - .
Mais ici Arthur parut se lasser de son histoire, car il quitta Monsieur Graves et rentra dans la maison. Watt s'en réjouit, car lui aussi était las, de l'histoire d'Arthur, qu'il avait écoutée avec la plus grande attention. Et c'est sans mentir qu'il pouvait dire, comme il le faisait longtemps après, que de tout ce qu'il avait vu et entendu, pendant son séjour chez Monsieur Knott, il n'avait rien vu aussi clairement, rien entendu aussi nettement, qu'Arthur et Monsieur Graves par cet après-midi doré, sur la pelouse, et Louit, et Monsieur Nackybal, et Monsieur O'Meldon, et Monsieur Magershon, et Monsieur Fitzwein, et Monsieur de Baker, et Monsieur MacStern, et tout ce qu'ils avaient fait, et tout ce qu'ils avaient dit. Il avait tout compris aussi, très bien, même s'il ne pouvait garantir l'exactitude des chiffres, qu'il ne s'était pas donné la peine de vérifier, n'ayant pas la bosse des raci-
nes. Et s'il ne rapportait pas mot pour mot les propos tenus par Arthur, par Louit, par Monsieur Nackybal et par les autres, il ne s'en fallait pas de beaucoup. Il y prit plaisir aussi, à cet incident, tant qu'il dura, plus qu'il n'en avait pris à rien, depuis longtemps, plus qu'avant longtemps à rien il n'allait en prendre. Mais il finit par s'en lasser et vit avec satisfaction Arthur s'interrompre, et s'en aller. Puis Watt descendit, de son mamelon, songeant combien il ferait bon de retrouver l'ombre fraîche de la maison, devant un verre de lait. Mais il répugnait, à vrai dire sans motif, à laisser Monsieur Knott tout seul dans le jardin. Puis il vit s'agiter les branches d'un arbre et Monsieur Knott qui des- cendait parmi elles, on aurait dit presque de branche en branche, de plus en plus bas, jusqu'à toucher terre. Puis Monsieur Knott se dirigea vers la maison et Watt lui emboîta le pas, enchanté de son après-midi, sur le mame-
lon, et savourant à l'avance le bon verre de lait froid qu'il allait boire, au frais, à l'ombre, dans un instant. Et Monsieur
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Graves restait seul, appuyé sur sa fourche, tout seul, pendant que les ombres s'allongeaient.
Watt apprit plus tard, de la bouche d'Arthur, que la narration de cette histoire, tant qu'elle dura, jusqu'à Ct: qu'Arthur s'en lasse, avait transporté Arthur loin de Mon- sieur Knott et de son domaine dont les mystères, la fixité, l'existence tout court, lui étaient par moments insupportables.
Arthur était bien brave, ouvert et sans malice, tout le contraire d'Erskine.
Dans un autre endroit, dit-il, à partir d'un autre endroit, peut-être qu'il aurait pu finir son histoire, révéler la véri- table identité de Monsieur Nackybal (de son vrai nom Tisler,
il pourrissait dans une chambre sur le canal), expliquer sa méthode d'extraction mentale et relater les forfaits de Louit, sa chute et son ascension, grâce au trafic du Bando.
Mais dans le domaine de Monsieur Knott, à partir du domaine de Monsieur Knott, cela ne lui était pas possible, à Arthur.
Car si Arthur s'arrêta au milieu de son histoire, et se tut, ce n'est pas vraiment qu'il fût las de son histoire, car il ne l'était pas vraiment, c'est qu'il éprouvait le désir de revenir. de quitter Louit et de revenir, à la maison de Monsieur Knott, à ses mystères, à sa fixité. Car en rester absent plus longtemps lui était insupportable.
Mais dans un autre endroit, à partir d'un autre endroit, peut-être qu'il n'aurait jamais commencé cette histoire.
Car un endroit et un seul, là où était Monsieur Knott, recélait dans ses mystères, dans sa fixité, de quoi pousser l'âme dehors, d'une telle poussée.
Mais s'il avait commencé, dans un autre endroit, à partir d'un autre endroit, à raconter cette histoire, alors il l'aurait probablement finie.
Car un endroit et un seul, là où était Monsieur Knott, avait l'étrange propriété de pouvoir, ayant d'une telle poussée poussé l'âme dehors, la rappeler à lui, d'un tel rappel.
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Watt prenait part à ce dilemme. N'avait-il pas lui aussi, au début, eu recours à de semblables faux-fuyants?
En avait-il fini à présent? Eh bien presque.
Fixité n'est pas le terme qu'il aurait employé.
Watt n'avait pas grand'chose àdire au sujet de la seconde
ou dernière période de son séjour chez Monsieur Knott.
Au cours de la seconde ou dernière période du séjour de Watt chez Monsieur Knott les renseignements glanés par
Watt, à ce sujet, étaient maigres.
De la nature de Monsieur Knott en particulier il conti-
nuait de tout ignorer.
Il y avait à cela de nombreuses et excellentes raisons dont
deux au moins semblaient à Watt dignes d'être relevées : d'une part la pénurie des matériaux proposés à ses sens, de l'autre l'altération de ceux-ci. Le peu qu'il y avait à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, comme frappé de stupeur il le voyait, l'entendait, le sentait, le goûtait, le tou- chait.
Dans le vide feutré, l'ombre close, de la vaste pièce réser- vée à la jouissance de Monsieur Knott et de son serviteur, Monsieur Knott demeurait. Et cette ambiance le suivait dehors et allait avec lui, partout où il allait, dans la maison, dans le jardin, assombrissant tout, affadissant tout, assour- dissant tout, engourdissant tout, partout où il passait.
Les vêtements que portait Monsieur Knott, dans sa cham bre, par sa maison, parmi son jardin, étaient d'une grande diversité, d'une très grande diversité. Tantôt lourds, tantôt légers; tantôt habillés, tantôt négligés; tantôt sobres, tantôt voyants; tantôt décents, tantôt osés (son costume de bain sans jupette, par exemple). Et souvent il portait, au coin du feu, ou quand il errait par les chambres, les escaliers, les couloirs de sa demeure, un chapeau, ou une casquette, ou, emprisonnant son cheveu folâtre et rare, un filet. Et tout aussi souvent sa tête était nue.
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Quant à ses pieds, tantôt il avait à chacun une chaussette, ou à l'un une chaussette et à l'autre un bas, ou un brode- quin, ou un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas, ou à l'un un bas et à l'autre un, brodequin, ou un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un brodequin, ou à l'un un brodequin et à l'autre un soulier, ou un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à cha- cun un soulier, ou à l'un un soulier et à l'autre un chausson, ou une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un chausson, ou à l'un un chausson et à l'autre une chaussette et un brodequin, ou une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun une chaussette et un brode- quin, ou à l'un une chaussette et un brodequin et à l'autre
une chaussette et un soulier, ou une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un sou- lier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun une chaussette et un soulier, ou à l'un une chaussette et un soulier et à l'autre une chaussette et un chausson, ou un bas et un brodequin, ou un bas et un sou- lier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il
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avait à chacun une chaussette et un chausson, ou à l'un une chaussette et un chausson et à l'autre un bas et un brode- quin, ou un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un brode- quin, ou à l'un un bas et un brodequin et à l'autre un bas et un soulier, ou un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un soulier, ou à l'un un bas et un soulier et à l'autre un bas et un chausson, ou rien du tout. Et tantôt il avait à chacun un bas et un chausson, ou à l'un un bas et un chausson et à l'autre rien du tout. Et tantôt il allait pieds nus.
Penser, quand on n'est plus jeune, quand on n'est pas encore vieux, qu'on n'est plus jeune, qu'on n'est pas encore vieux, ce n'est peut-être pas rien. Faire une pause, vers la fin de sa journée de trois heures, et considérer : l'aise tou-
jours plus sombre, la peine toujours plus claire; le plaisir là encore parce qu'il fut, la douleur là déjà parce qu'elle sera; l'acte joyeux devenu volontaire, en attendant de se faire acharné; le halètement, le tremblement, vers l'être révolu, devant l'être à venir; et le vrai qui ne l'est plus, et le faux qui ne l'est pas encore. Et décider de ne pas sourire après tout, assis à l'ombre à écouter les cigales, à réclamer la nuit, à réclamer le matin, à écouter le murmure, Non, ce n'est pas le cœur, non, ce n'est pas le foie, non, ce n'est pas la prostate, c'est musculaire, c'est nerveux. Puis la rage s'achève, ou elle continue, et l'on est au fond du trou, au- delà du désir du désir, de l'horreur de l'horreur, au fin fond du trou, au pied de toutes les pentes enfin, des chemins qui montent, des chemins qui descendent, et libre, libre enfin,
pour un instant libre enfin, rien enfin.
Mais quoi qu'il choisît en se levant, car minuit le voyait
toujours en chemise de nuit, quoi qu'il choisît alors, pour sa tête, pour son corps, pour ses pieds, il n'y touchait plus, mais le gardait toute la journée, dans sa chambre, par sa mai- son, parmi son jardin, jusqu'au moment où il mettait sa che-
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mise de nuit, une fois de plus. Oui, pas question de toucher au moindre bouton, pour le boutonner ou le déboutonner, sauf nécessité naturelle, et là il ne boutonnait jamais, depuis le moment où il mettait ses vêtements, en les ajustant à sa convenance, jusqu'au moment où il les enlevait, encore une fois. Si bien qu'il n'était pas rare de le voir, dans sa cham- bre, par sa maison, parmi son jardin, en tenue bizarre et hors de saison, comme s'il n'avait pas conscience du temps qu'il faisait, ou de l'époque de l'année. Et le voir quelque- fois ainsi, nu-pieds et accoutré pour le canotage, dans la neige, dans la gadoue, dans la bise glaciale de l'hiver, ou, l'été revenu, au coin du feu, chargé de fourrures, c'était se demander, Cherche-t-il à savoir de nouveau ce que c'est, le froid, le chaud? Mais c'était là une impertinence anthropo- morphique de courte durée.
Car sauf, primo, d'être sans besoin et, secundo, d'un témoin de son absence de besoin, Monsieur Knott n'avait besoin de rien, pour autant que Watt pût en juger.
S'il mangeait, et il mangeait copieusement; s'il buvait, et il buvait abondamment; s'il dormait, et il dormait pro- fondément; s'il faisait autre chose, et il faisait autre chose régulièrement, ce n'était pas par besoin de nourriture, ou de boisson, ou de sommeil, ou d'autre chose, non, mais par besoin d'être sans besoin, à tout jamais sans besoin, de nourriture, de boisson, de sommeil et d'autre chose.
Ce fut là, de la part de Watt, sur le compte de Monsieur Knott, la première conjecture non dépourvue d'intérêt.
Et Monsieur Knott n'ayant besoin de rien sinon, primo, d'être sans besoin et, secundo, d'un témoin de son absence de besoin, sur lui-même ne savait rien. D'où son besoin d'un témoin, non pas aux fins de savoir, non, mais aux fim de ne pas cesser.
Ce fut là, sur le compte de Monsieur Knott, de la part de Watt, la seconde et dernière hypothèse pas entièrement gratuite.
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Hésitantes, défaillantes d'incertitude, elles franchirent à peine ses lèvres.
Son ton habituel était celui de l'assurance.
Mais quelle sorte de témoin était Watt, dont la vue décli- nait, l'ouïe baissait, et même les sens autrement intimes laissaient sérieusement à désirer?
Un témoin tout besoin, tout insuffisance.
Pour mieux témoigner et plus mal.
Pour en tant que besoin témoigner de son absence.
Pour en tant qu'insuffisance en témoigner mal.
Pour gue sans jamais cesser Monsieur Knott aille sans
cesse cessant.
Tel semblait être le système.
Quand Monsieur Knott circulait par sa maison il le faisait
comme quelqu'un étranger aux lieux, tâtonnant à des portes immémorialement condamnées, regardant étonné par les fenêtres, trébuchant dans le noir de toujours, errant partout à la recherche des toilettes, se figeant perplexe au pied de l'escalier, se figeant perplexe en haut de l'escalier.
Quand Monsieur Knott circulait parmi son jardin il le faisait comme que1gu'un ignorant de ses beautés, tombant en arrêt devant les arbres, devant les fleurs, devant les buis- sons, devant les légumes, comme si leur création, ou la sienne, avait eu lieu dans la nuit.
Mais c'était dans sa chambre, même s'il lui arrivait de vouloir en sortir par la porte du placard, gue Monsieur Knott semblait le moins perdu, et se montrait sous son meilleur jour. \
Ici il se tenait immobile. Debout. Assis. A genoux. Cou- ché. Ici il allait et venait. De la porte à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu au lit; de la porte au feu, du feu à la porte; du feu à la porte, de la porte au feu; de la fenêtre au lit, du lit à la fenêtre; du lit à la fenêtre, de la fenêtre au lit; du
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feu à la fenêtre, de la fenêtre au feu; de la fenêtre au feu, du feu à la fenêtre; du lit à la porte, de la porte au lit ; de la porte au lit, du lit à la porte; de la porte à la fenêtre, de la fenêtre au feu ; du feu à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte au lit ; du lit à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit à la fenêtre; de la fenêtre au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu à la porte'; de la porte au feu, du feu au lit; de la porte à la fenêtre, de la fenêtre au lit; du lit à la fenêtre, de la fenêtre à la porte; de la fenêtre à la porte, de la porte au feu; du feu à la porte, de la porte à la fenêtre; du feu au lit, du lit à la porte; de la porte au lit, du lit au feu; du lit au feu, du feu à la fenêtre; de la fenêtre au feu, du feu au lit; de la porte au feu, du feu à la fenêtre; de la fenêtre au feu, du feu à la porte; de la fenêtre au lit, du lit à la porte; de la porte au lit, du lit à la fenêtre; du feu à la fenêtre, de la fenêtre au lit ; du lit à la fenêtre, de
la fenêtre au feu; du lit à la porte, de la porte au feu; du feu à la porte, de la porte au lit.
Cette chambre était meublée solidement et avec sobriété.
Ce mobilier solide et sobre était soumis par Monsieur Knott à de fréquents changements de position, tant absolus que relatifs. Ainsi il n'était pas rare de voir le dimanche la commode debout près du feu, et la coiffeuse pieds en l'air près du lit, et la table de nuit sur le ventre près de la porte, et la table de toilette sur le dos près de la fenê- tre; et le lundi la commode sur le dos près du lit, et la coiffeuse sur le ventre près de la porte, et la table de nuit sur le dos près de la fenêtre, et la table de toilette debout près du f e u ; et le mardi la commode sur le ventre près de la porte, et la coiffeuse sur le dos près de la fenêtre, et la table de nuit debout près du feu, et la table de toi- lette pieds en l'air près du lit; et le mercredi la commode sur le dos près de la fenêtre, et la coiffeuse debout près du feu, et la table de nuit pieds en l'air près du lit, et
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la table de toilette sur le ventre près de la porte; et le jeudi la commode sur le flanc près du feu, et la coiffeuse debout près du lit, et la table de nuit pieds en l'air près de la porte, et la table de toilette sur le ventre près de la fenêtre; et le vendredi la commode debout près du lit, et la coiffeuse pieds en l'air près de la porte, et la table
de nuit sur le ventre près de la fenêtre, et la table de toi- lette sur le flanc près du f e u ; et le samedi la commode pieds en l'air près de la porte, et la coiffeuse sur le ventre près de la fenêtre, et la table de nuit sur le flanc près du feu, et la table de toilette debout près du lit; et le dimanche suivant la commode sur le ventre près de la fenêtre, et la coiffeuse sur le flanc près du feu, et la table de nuit debout près du lit, et la table de toilette pieds en l'air près de la porte; et le lundi suivant la commode sur le dos près du feu, et la coiffeuse sur le flanc près du lit, et la table de nuit debout près de la porte, et la table de toilette pieds
en l'air près de la fenêtre; et le mardi suivant la commode sur le flanc près du lit, et la coiffeuse debout près de la porte, et la table de nuit pieds en l'air près de la fenêtre, et la table de toilette sur le dos près du feu; et le mercredi suivant la commode debout près de la porte, et la coif- feuse pieds en l'air près de la fenêtre, et la table de nuit sur le dos près du feu, et la table de toilette sur le flanc près du lit; et le jeudi suivant la commode pieds en l'air
près de la fenêtre, et la coiffeuse sur le dos près du feu, et la table de nuit sur le flanc près du lit, et la table de toilette debout près de la porte ; et le vendredi suivant la commode sur le ventre près du feu, et la coiffeuse sur le dos près du lit, et la table de nuit sur le flanc près de la porte, et la table de toilette debout près de la fenêtre; et le samedi suivant la commode sur le dos près du lit, et la
coiffeuse sur le flanc près de la porte, et la table de nuit debout près de la fenêtre, et la table de toilette sur le ventre près du f e u ; et le dimanche suivant la commode
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sur le flanc près de la porte, et la coiffeuse debout près de la fenêtre, et la table de nuit sur le ventre près du feu, et la table de toilette sur le dos près du lit; et le lundi suivant la commode debout près de la fenêtre, et la coif- feuse sur le ventre près du feu, et la table de nuit sur le dos près du lit, et la table de toilette sur le flanc près de la porte; et le mardi suivant la commode pieds en l'air près du feu, et la coiffeuse sur le ventre près du lit, et la table de nuit sur le dos près de la porte, et la table de toilette sur le flanc près de la fenêtre; et le mercredi suivant la commode sur le ventre près du lit, et la coif- feuse sur le dos près de la porte, et la table de nuit sur le flanc près de la fenêtre, et la table de toilette pieds
en l'air près du feu; et le jeudi suivant la commode sur le dos près de la porte, et la coiffeuse sur le flanc près de la fenêtre, et la table de nuit pieds en l'air près du feu, et la table de toilette sur le ventre près du lit; et le vendredi suivant la commode sur le flanc près de la fenêtre, et la coiffeuse pieds en l'air près du feu, et la table de nuit sur le ventre près du lit, et la table de toi- lette sur le dos près de la porte, par exemple, pas du tout rare, pour considérer seulement, sur une période de vingt jours seulement, la commode, la coiffeuse, la table de nuit et la table de toilette, et leurs pieds, leurs ventres, leurs dos et leurs flancs non précisés, et le feu, le lit, la porte et la fenêtre, pas du tout rare.
Car les sièges aussi, pour ne parler que des sièges aussi, voyageaient sans cesse.
Car les encoignures aussi, pour ne parler que des encoi- gnures aussi, étaient rarement dégagées.
Seul le lit donnait l'illusion de la fixité, le lit si sobre, le lit si solide, qu'il en était rond, et vissé au sol.
La tête de Monsieur Knott, les pieds de Monsieur Knott, à raison d'un déplacement de près d'un degré par nuit, bouclaient en douze mois le tour de cette couche
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solitaire. Son coccyx aussi, et appareil adjacent, accomplis- saient leur petite révolution annuelle, comme en faisaient foi les draps (changés régulièrement à la Saint-Lazare) et même le matelas.
Des étranges agissements dans les étages, qui avaient tant préoccupé Watt pendant son séjour au rez-de-chaussée, nulle explication ne se présentait. Mais ils ne le préoccu- paient plus.
De temps en temps Monsieur Knott disparaissait de sa chambre, laissant Watt tout seul. Un moment il était là, le moment d'après envolé. Mais Watt en ces occasions, à l'en- contre d'Erskine, ne se sentait pas tenu de partir à sa recher- che, dans les étages et au rez-de-chaussée, massacrant de ses pas le silence de la maison et importunant son collègue dans la cuisine, non, mais il demeurait tranquillement à sa place, ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé, en atten- dant que Monsieur Knott revînt.
Watt ne souffrait ni de la présence de Monsieur Knott, ni de son absence. Quand il était avec lui il était content d'être avec lui, quand il était loin de lui il était content d'être loin de lui. Jamais avec soulagement, jamais à regret, il ne le quittait le soir, ni le matin ne le retrouvait.
Cette ataraxie s'étendait à la maison tout entière, au jardin de plaisance, au potager et bien sûr à Arthur.
De sorte que, venu pour Watt le moment du départ, il gagna la grille le plus sereinement du monde.
Mais il n'était pas plus tôt sur la voie publique qu'il fondit en larmes. Il se voyait encore, planté là, tête basse, un sac à chaque main, et ses larmes qui dégouttaient lentes et avares, pour se répandre sur la chaussée qui venait d'être refaite. Il n'aurait pas cru possible une chose pareille, s'il n'y avait assisté, De cette effusion, la source partie, il esti- mait que la route avait dû garder des traces pendant deux minutes au moins, sinon trois. Encore heureux que le temps fût au sec.
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La chambre de \Vatt ne recélait aucun indice. C'était un réduit sordide et, quoique Watt ne fût pas exactement sale de sa personne, malodorant. L'unique fenêtre avait une belle vue sur un champ de courses. La peinture, ou reproduction
en couleurs, ne livrait rien de plus. Au contraire, plus le temps passait, moins elle avait de sens.
De la voix de Monsieur Knott il n'y avait rien à tirer. Entre Monsieur' Knott et Watt, aucune conversation.
