Les nations de race germanique sont toutes
naturellement
re-
ligieuses; et le ze`le de ce sentiment a fait nai^tre plusieurs guer-
res dans leur sein.
ligieuses; et le ze`le de ce sentiment a fait nai^tre plusieurs guer-
res dans leur sein.
Madame de Stael - De l'Allegmagne
ue pour critiquer ceux avec qui l'on passe sa vie, et l'on
empe^che ainsi toute affection profonde de nai^tre ou de subsister;
car en e? coutant des moqueries sur ceux qui nous sont chers, on
fle? trit ce que l'affection a de pur et d'exalte? : les sentiments dans
lesquels on n'est pas d'une ve? rite? parfaite, font plus de mal que
l'indiffe? rence.
Chacun a en soi un co^te? ridicule; il n'y a que de loin qu'un
caracte`re semble complet; mais ce qui faitl'existence individuelle
e? tant toujours une singularite? quelconque, cette singularite? pre^te
a` la plaisanterie : aussi, l'homme qui la craint avant tout cher-
che-t-il , autant qu'il est possible, a` faire disparai^tre en lui ce qui
pourrait le signaler de quelque manie`re, soit en bien, soit en mal.
Cette nature efface? e, de quelque bon gou^t qu'elle paraisse, a bien
aussi ses ridicules; mais peu de gens ont l'esprit assez fin pour
les saisir.
La moquerie a cela de particulier, qu'elle nuit essentiellement
a` ce qui est bon, mais point a` ce qui est fort. La puissance a
quelque chose d'a^pre et de triomphant qui tue le ridicule; d'ail-
leurs, les esprits frivoles respectent te prudence de la chair, selon
l'expression d'un moraliste du seizie`me sie`cle; et l'on est e? tonne?
de trouver toute la profondeur de l'inte? re^t personnel dans ces
hommes qui semblaient incapables de suivre une ide? e ou un sen-
timent, quand il n'en pouvait rien re? sulter d'avantageux pour
leurs calculs de fortune ou de vanite? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? i>e L'IGNORANCE. ,sil
La frivolite? d'esprit ne porte point a` ne? gliger les affaires de ce
monde. On trouve, au contraire, une bien plus noble insou-
ciance a` cet e? gard dans les caracte`res se? rieux que dans les hom-
mes d'une nature le? ge`re; car la le? ge`rete? de ceux-ci ne consiste
le plus souvent qu'a` de? daigner les ide? es ge? ne? rales, pour mieux
s'occuper de ce qui ne concerne qu'eux-me^mes.
Il y a quelquefois de la me? chancete? dans les gens d'esprit; mais
le ge? nie est presque toujours plein de bonte? . La me? chancete?
vient, non pas de ce qu'on a trop d'esprit, mais de ce qu'on n'en
a pas assez. Si l'on pouvait parler sur les ide? es, on laisserait en
paix les personnes; si l'on se croyait assure? de l'emporter sur les
autres par ses talents naturels, on ne chercherait pas a` niveler le
parterre sur lequel on veut dominer. Il y a des me? diocrite? s d'tlme
de? guise? es en esprits piquants et malicieux ; mais la vraie supe? riorite?
est rayonnante de bons sentiments comme de hautes pense? es.
L'habitude des occupations intellectuelles inspire une bien-
veillance e? claire? e pour les hommes et pour les choses; on ne
tient plus a` soi comme a` un e^tre privile? gie? : quand on en sait
beaucoup sur la destine? e humaine, on ne s'irrite plus de chaque
circonstance comme d'une chose sans exemple , et la justice n'e? -
tant que l'habitude de conside? rer les rapports des e^tres entre
eux sous un point de vue ge? ne? ral, l'e? tendue de l'esprit sert a`
nous de? tacher des calculs personnels. On a plane? sur sa propre
existence comme sur celle des autres, quand on s'est livre? a` la
contemplation de l'univers.
Un des grands inconve? nients aussi de l'ignorance, dans les
temps actuels, c'est qu'elle rend tout a` fait incapable d'avoir
une opinion a` soi sur la plupart des objets qui exigent de la re? -
flexion; en conse? quence, lorsque telle ou telle manie`re de voir
est mise en honneur par l'ascendant des circonstances, la plu-
part des hommes croient que ces mots: tout le monde pense
oufait ainsi, doivent tenir a` chacun lieu de raison et de
conscience.
Dans la classe oisive de la socie? te? , il est presque impossible
d'avoir de l'a^me sans que l'esprit soit cultive? . Jadis il suffisait
de la nature pour instruire l'homme, et de? velopper son imagina-
tion; mais depuis que la pense? e, cette ombre efface? e du senti-
ment, a change? tout en abstractions, il faut beaucoup savoir
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 512 DE L'IGNOBANCE.
pour bien sentir. Ce n'est plus entre les e? lans de l'a^me livre? e a`
elle-me^me, ou les e? tudes philosophiques qu'il faut choisir, mais
c'est entre le murmure importun d'une socie? te? commune et fri-
vole, et le langage que les beaux ge? nies ont tenu de sie`cle en sie`-
cle jusqu'a` nos jours.
Comment pourrait-on, sans la connaissance des langues, sans
l'habitude de la lecture, communiquer avec ces hommes qui ne
sont plus, et que nous sentons si bien nos amis, nos concitoyens,
nos allie? s? Il faut e^tre me? diocre de coeur pour se refuser a` de si
nobles plaisirs. Ceux-la` seulement qui remplissent leur vie de
bonnes oeuvres, peuvent se passer de toute e? tude : l'ignorance,
dans les hommes oisifs, prouve autant la se? cheresse de l'a^me
que la le? ge`rete? de l'esprit.
Enfin, il reste encore une chose vraiment belle et morale, dont
l'ignorance et la frivolite? ne peuvent jouir, c'est l'association de
tous les hommes qui pensent, d'un bout de l'Europe a` l'autre.
Souvent ils n'ont entre eux aucune relation; ils sont disperse? s
souvent a` de grandes distances l'un de l'autre; mais quand ils
se rencontrent, un mot suffit pour qu'ils se reconnaissent. Ce
n'est pas telle religion, telle opinion, tel genre d'e? tude, c'est le
culte de la ve? rite? qui les re? unit. Tanto^t, comme les mineurs, ils
creusent jusqu'au fond de la terre, pour pe? ne? trer, au sein de l'e? -
ternelle nuit, les myste`res du monde te? ne? breux; tanto^t ils s'e? le`-
vent au sommet du Chimboraco, pour de? couvrir au point le
plus e? leve? du globe quelques phe? nome`nes inconnus; tanto^t ils
e? tudient les langues de l'Orient, pour y chercher l'histoire pri-
mitive de l'homme; tanto^t ils vont a` Je? rusalem pour faire sortir
des ruines saintes une e? tincelle qui ranime la religion et la poe? -
sie; enfin, ils sont vraiment le peuple de Dieu, ces hommes qui
ne de? sespe`rent pas encore de la race humaine, et veulent lui
conserver l'empire de la pense? e.
Les Allemands me? ritent a` cet e? gard une reconnaissance par-
ticulie`re; c'est une honte parmi eux que l'ignorance etl'insou-
ciance sur tout ce qui tient a` la litte? rature et aux beaux-arts, et
leur exemple prouve que, de nos jours, la culture de l'esprit con-
serve dans les classes inde? pendantes des sentiments et des prin-
cipes.
La direction de la litte? rature et de la philosophie n'a pas e? te?
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE L IGNORANCE. 513
bonne en France, dans la dernie`re partie du dix-huitie`me sie`cle;
mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, la direction de l'ignorance
est encore plus redoutable; car aucun livre ne fait du mal a` celui
qui les lit tous. Si les oisifs du monde, au contraire, s'occupent
quelques instants, l'ouvrage qu'ils rencontrent fait e? ve? nement
dans leur te^te, comme l'arrive? e d'un e? tranger dans un de? sert; et
lorsque cet ouvrage contient des sophismes dangereux, ils n'ont
point d'arguments a` y opposer. La de? couverte de l'imprimerie
est vraiment funeste pour ceux qui ne lisent qu'a` demi, ou par
hasard; car le savoir, comme la lance de Te? le`phe, doit gue? rir
les blessures qu'il a faites.
L'ignorance, au milieu des raffinements de la socie? te? , est le
plus odieux de tous les me? langes : elle rend, a` quelques e? gards,
semblable aux gens du peuple, qui n'estiment que l'adresse et
la ruse ; elle porte a` ne chercher que le bien-e^tre et les jouissances
physiques, a` se servir d'un peu d'esprit pour tuer beaucoup
d'a^me; a` s'applaudir de ce qu'on ne sait pas, a` se vanter de ce
qu'on n'e? prouve pas; enfin, a` combiner les bornes de l'intelli-
gence avec la durete? du coeur, de fac? on qu'il n'y ait plus rien a`
faire de ce regard tourne? vers le ciel, qu'Ovide a ce? le? bre? comme
le plus noble attribut de la nature humaine:
Os homini sublime dedit; coelunique tueri
Jussit, et erectos ad sidcra to^liere vultus.
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? 514 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
QUATRIE`ME PARTIE.
LA RELIGION ET L'ENTHOUSIASME.
CHAPITRE PREMIER.
Conside? rations ge? ne? rales sur la religion en Allemagne.
Les nations de race germanique sont toutes naturellement re-
ligieuses; et le ze`le de ce sentiment a fait nai^tre plusieurs guer-
res dans leur sein. Cependant, en Allemagne surtout, l'on est
plus porte? a` l'enthousiasme qu'au fanatisme. L'esprit de secte
doit se manifester sous diverses formes, dans un pays ou` l'acti-
vite? de la pense? e est la premie`re de toutes; mais d'ordinaire
l'on n'y me^le pas les discussions the? ologiques aux passions hu-
maines; et les diverses opinions, en fait de religion, ne sortent
pas de ce monde ide? al ou` re`gne une paix sublime.
Pendant longtemps on s'est occupe? , comme je le montrerai
dans le chapitre suivant, de l'examen des dogmes du christia-
nisme; mais depuis vingt ans, depuis que les e? crits de Kant
ont fortement influe? sur les esprits, il s'est e? tabli dans la ma-
nie`re de concevoir la religion, une liberte? et une grandeur qui
n'exigent ni ne rejettent aucune forme de culte en particulier,
mais qui font des choses ce? lestes le principe dominant de l'exis-
tence.
Plusieurs personnes trouvent que la religion des Allemands est
trop vague, et qu'il vaut mieux se rallier sous l'e? tendard d'un culte plus positif et plus se? ve`re. Lessingdit, dans son Essai sur
l'e? ducation du genre humain, que les re? ve? lations religieuses
ont toujours e? te? proportionne? es aux lumie`res qui existaient a` l'e? -
poque ou` ces re? ve? lations ont paru. L'ancien Testament, l'E? van-
gile, et, sous plusieurs rapports, la re? formation, e? taient, selon
leur temps, parfaitement en harmonie avec les progre`s des es-
prits; et peut-e^tre sommes-nous a` la veille d'un de? veloppement
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? SUR LA RELIGION. 515
du christianisme, qui rassemblera dans un me^me foyer tous les
rayons e? pars, et qui nous fera trouver dans la religion plus que
la morale, plus quele bonheur, plus que la philosophie, plus que
le sentiment me^me, puisque chacun de ces biens sera multiplie?
par sa re? union avec les autres.
Quoi qu'il en soit, il est peut-e^tre inte? ressant de connai^tre sous
quel point de vue la religion est conside? re? e en Allemagne, et com-
ment on a trouve? le moyen d'y rattacher tout le syste`me litte? raire et philosophique dont j'ai trace? l'esquisse. C'est une chose
imposante que cet ensemble de pense? es qui de? veloppe a` nos yeux
l'ordre moral tout entier, et donne a` cet e? difice sublime le de? -
vouement pour base, et la Divinite? pour fai^te.
C'est au sentiment de l'infini que la plupart des e? crivains alle-
mands rapportent toutes les ide? es religieuses. L'on demande s'il
est possible de concevoir l'infini; cependant, ne le conc? oit-on pas,
au moins d'une manie`re ne? gative, lorsque, dans les mathe? mati-
ques , on ne peut supposer aucun terme a` la dure? e ni a` l'e? tendue?
Cet infini consiste dans l'absence des bornes; mais le sentiment
de l'infini, tel que l'imagination et le coeur l'e? prouvent, est posi-
tif et cre? ateur.
L'enthousiasme que le beau ide? al nous fait e? prouver, cette
e? motion pleine de trouble et de purete? tout ensemble, c'est le
sentiment de l'infini qui l'excite. Nous nous sentons comme de? ga-
ge? s, par l'admiration, des entraves de la destine? e humaine, et il
nous semble qu'on nous re? ve`le des secrets merveilleux, pour
affranchir l'a^me a` jamais dela langueur et du de? clin. Quand
nous contemplons le ciel e? toile? , ou` des e? tincelles de lumie`re sont
des univers comme le no^tre, ou` la poussie`re brillante de la voie
lacte? e trace avec des mondes une route dans le firmament, notre
pense? e se perd dans l'infini, notre coeur bat pour l'inconnu,
pour l'immense, et nous sentons que ce n'est qu'au dela` des ex-
pe? riences terrestres que notre ve? ritable vie doit commencer. En-
fin , les e? motions religieuses, plus que toutes les autres encore,
re? veillent en nous le sentiment de l'infini; mais, en le re? veillant,
elles le satisfont; et c'est pour cela sans doute qu'un homme d'un
grand esprit disait: << Que la cre? ature pensante n'e? tait heureuse
que quand l'ide? e de l'infini e? tait devenue pour elle une jouis-
<< sauce, au lieu d'e^tre un poids. >>
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 516 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
En effet, quand nous nous livrons en entier aux re? flexions, aux images, aux de? sirs qui de? passent les limites de l'expe? rience,
c'est alors seulement que nous respirons. Quand on veut s'en
tenir aux inte? re^ts, aux convenances, aux lois de ce monde, le
ge? nie, la sensibilite? , l'enthousiasme, agitent pe? niblement notre
a^me; mais ils l'inondent de de? lices quand on les consacre a` ce
souvenir, a` cette attente de l'infini qui se pre? sente, dans la me? ta-
physique, sous la forme des dispositions inne? es ; dans la vertu .
sous celle du de? vou^ment; dans les arts, sous celle de l'ide? al, et
dans la religion elle-me^me, sous celle de l'amour divin.
Le sentiment de l'infini est le ve? ritable attribut de l'a^me :tout
ce qui est beau dans tous les genres excite en nous l'espoir et le
de? sir d'un avenir e? ternel et d'une existence sublime; on ne peut
entendre ni le vent dans la fore^t, ni les accords de? licieux des
voix humaines; on ne peut e? prouver l'enchantement de l'e? lo-
quence ou de la poe? sie ; enfin, surtout, enfin on ne peut aimer
avec innocence, avec profondeur, sans e^tre pe? ne? tre? de religion et
d'immortalite? .
Tous les sacrifices de l'inte? re^t personnel viennent du besoin de
se mettre en harmonie avec ce sentiment de l'infini dont on e? prouve
tout le charme, quoiqu'on ne puisse l'exprimer. Si la puissance
du devoir e? tait renferme? e dans le court espace de cette vie, com-
ment donc aurait-elle plus d'empire que les passions sur notre
a^me? qui sacrifierait des bornes a` des bornes? Tout ce qui finit
est si court? dit saint Augustin; les instants de jouissance que
peuvent valoir les penchants terrestres, et les jours de paix qu'as-
sure une conduite morale, diffe? reraient de bien peu, si des e? mo-
tions sans limite et sans terme ne s'e? levaient pas au fond du coeur
de l'homme qui se de? voue a` la vertu.
Beaucoup de gens nieront ce sentiment de l'infini; et, certes,
ils sont sur un excellent terrain pour le nier, car il est impossible
de le leur expliquer; ce n'est pas quelques mots de plus qui
re? ussiront a` leur faire comprendre ce que l'univers ne leur a pas
dit. La nature a reve^tu l'infini des divers symboles qui peuvent le
faire arriver jusqu'a` nous: la lumie`re et les te? ne`bres, l'orage et
le silence, le plaisir et la douleur, tout inspire a` l'homme cette
religion universelle dont son coeur est le sanctuaire.
Un homme dont j'ai de? ja` eu l'occasion deparier, INI. Ancillon,
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? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e?
empe^che ainsi toute affection profonde de nai^tre ou de subsister;
car en e? coutant des moqueries sur ceux qui nous sont chers, on
fle? trit ce que l'affection a de pur et d'exalte? : les sentiments dans
lesquels on n'est pas d'une ve? rite? parfaite, font plus de mal que
l'indiffe? rence.
Chacun a en soi un co^te? ridicule; il n'y a que de loin qu'un
caracte`re semble complet; mais ce qui faitl'existence individuelle
e? tant toujours une singularite? quelconque, cette singularite? pre^te
a` la plaisanterie : aussi, l'homme qui la craint avant tout cher-
che-t-il , autant qu'il est possible, a` faire disparai^tre en lui ce qui
pourrait le signaler de quelque manie`re, soit en bien, soit en mal.
Cette nature efface? e, de quelque bon gou^t qu'elle paraisse, a bien
aussi ses ridicules; mais peu de gens ont l'esprit assez fin pour
les saisir.
La moquerie a cela de particulier, qu'elle nuit essentiellement
a` ce qui est bon, mais point a` ce qui est fort. La puissance a
quelque chose d'a^pre et de triomphant qui tue le ridicule; d'ail-
leurs, les esprits frivoles respectent te prudence de la chair, selon
l'expression d'un moraliste du seizie`me sie`cle; et l'on est e? tonne?
de trouver toute la profondeur de l'inte? re^t personnel dans ces
hommes qui semblaient incapables de suivre une ide? e ou un sen-
timent, quand il n'en pouvait rien re? sulter d'avantageux pour
leurs calculs de fortune ou de vanite? .
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? i>e L'IGNORANCE. ,sil
La frivolite? d'esprit ne porte point a` ne? gliger les affaires de ce
monde. On trouve, au contraire, une bien plus noble insou-
ciance a` cet e? gard dans les caracte`res se? rieux que dans les hom-
mes d'une nature le? ge`re; car la le? ge`rete? de ceux-ci ne consiste
le plus souvent qu'a` de? daigner les ide? es ge? ne? rales, pour mieux
s'occuper de ce qui ne concerne qu'eux-me^mes.
Il y a quelquefois de la me? chancete? dans les gens d'esprit; mais
le ge? nie est presque toujours plein de bonte? . La me? chancete?
vient, non pas de ce qu'on a trop d'esprit, mais de ce qu'on n'en
a pas assez. Si l'on pouvait parler sur les ide? es, on laisserait en
paix les personnes; si l'on se croyait assure? de l'emporter sur les
autres par ses talents naturels, on ne chercherait pas a` niveler le
parterre sur lequel on veut dominer. Il y a des me? diocrite? s d'tlme
de? guise? es en esprits piquants et malicieux ; mais la vraie supe? riorite?
est rayonnante de bons sentiments comme de hautes pense? es.
L'habitude des occupations intellectuelles inspire une bien-
veillance e? claire? e pour les hommes et pour les choses; on ne
tient plus a` soi comme a` un e^tre privile? gie? : quand on en sait
beaucoup sur la destine? e humaine, on ne s'irrite plus de chaque
circonstance comme d'une chose sans exemple , et la justice n'e? -
tant que l'habitude de conside? rer les rapports des e^tres entre
eux sous un point de vue ge? ne? ral, l'e? tendue de l'esprit sert a`
nous de? tacher des calculs personnels. On a plane? sur sa propre
existence comme sur celle des autres, quand on s'est livre? a` la
contemplation de l'univers.
Un des grands inconve? nients aussi de l'ignorance, dans les
temps actuels, c'est qu'elle rend tout a` fait incapable d'avoir
une opinion a` soi sur la plupart des objets qui exigent de la re? -
flexion; en conse? quence, lorsque telle ou telle manie`re de voir
est mise en honneur par l'ascendant des circonstances, la plu-
part des hommes croient que ces mots: tout le monde pense
oufait ainsi, doivent tenir a` chacun lieu de raison et de
conscience.
Dans la classe oisive de la socie? te? , il est presque impossible
d'avoir de l'a^me sans que l'esprit soit cultive? . Jadis il suffisait
de la nature pour instruire l'homme, et de? velopper son imagina-
tion; mais depuis que la pense? e, cette ombre efface? e du senti-
ment, a change? tout en abstractions, il faut beaucoup savoir
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 512 DE L'IGNOBANCE.
pour bien sentir. Ce n'est plus entre les e? lans de l'a^me livre? e a`
elle-me^me, ou les e? tudes philosophiques qu'il faut choisir, mais
c'est entre le murmure importun d'une socie? te? commune et fri-
vole, et le langage que les beaux ge? nies ont tenu de sie`cle en sie`-
cle jusqu'a` nos jours.
Comment pourrait-on, sans la connaissance des langues, sans
l'habitude de la lecture, communiquer avec ces hommes qui ne
sont plus, et que nous sentons si bien nos amis, nos concitoyens,
nos allie? s? Il faut e^tre me? diocre de coeur pour se refuser a` de si
nobles plaisirs. Ceux-la` seulement qui remplissent leur vie de
bonnes oeuvres, peuvent se passer de toute e? tude : l'ignorance,
dans les hommes oisifs, prouve autant la se? cheresse de l'a^me
que la le? ge`rete? de l'esprit.
Enfin, il reste encore une chose vraiment belle et morale, dont
l'ignorance et la frivolite? ne peuvent jouir, c'est l'association de
tous les hommes qui pensent, d'un bout de l'Europe a` l'autre.
Souvent ils n'ont entre eux aucune relation; ils sont disperse? s
souvent a` de grandes distances l'un de l'autre; mais quand ils
se rencontrent, un mot suffit pour qu'ils se reconnaissent. Ce
n'est pas telle religion, telle opinion, tel genre d'e? tude, c'est le
culte de la ve? rite? qui les re? unit. Tanto^t, comme les mineurs, ils
creusent jusqu'au fond de la terre, pour pe? ne? trer, au sein de l'e? -
ternelle nuit, les myste`res du monde te? ne? breux; tanto^t ils s'e? le`-
vent au sommet du Chimboraco, pour de? couvrir au point le
plus e? leve? du globe quelques phe? nome`nes inconnus; tanto^t ils
e? tudient les langues de l'Orient, pour y chercher l'histoire pri-
mitive de l'homme; tanto^t ils vont a` Je? rusalem pour faire sortir
des ruines saintes une e? tincelle qui ranime la religion et la poe? -
sie; enfin, ils sont vraiment le peuple de Dieu, ces hommes qui
ne de? sespe`rent pas encore de la race humaine, et veulent lui
conserver l'empire de la pense? e.
Les Allemands me? ritent a` cet e? gard une reconnaissance par-
ticulie`re; c'est une honte parmi eux que l'ignorance etl'insou-
ciance sur tout ce qui tient a` la litte? rature et aux beaux-arts, et
leur exemple prouve que, de nos jours, la culture de l'esprit con-
serve dans les classes inde? pendantes des sentiments et des prin-
cipes.
La direction de la litte? rature et de la philosophie n'a pas e? te?
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:50 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? DE L IGNORANCE. 513
bonne en France, dans la dernie`re partie du dix-huitie`me sie`cle;
mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, la direction de l'ignorance
est encore plus redoutable; car aucun livre ne fait du mal a` celui
qui les lit tous. Si les oisifs du monde, au contraire, s'occupent
quelques instants, l'ouvrage qu'ils rencontrent fait e? ve? nement
dans leur te^te, comme l'arrive? e d'un e? tranger dans un de? sert; et
lorsque cet ouvrage contient des sophismes dangereux, ils n'ont
point d'arguments a` y opposer. La de? couverte de l'imprimerie
est vraiment funeste pour ceux qui ne lisent qu'a` demi, ou par
hasard; car le savoir, comme la lance de Te? le`phe, doit gue? rir
les blessures qu'il a faites.
L'ignorance, au milieu des raffinements de la socie? te? , est le
plus odieux de tous les me? langes : elle rend, a` quelques e? gards,
semblable aux gens du peuple, qui n'estiment que l'adresse et
la ruse ; elle porte a` ne chercher que le bien-e^tre et les jouissances
physiques, a` se servir d'un peu d'esprit pour tuer beaucoup
d'a^me; a` s'applaudir de ce qu'on ne sait pas, a` se vanter de ce
qu'on n'e? prouve pas; enfin, a` combiner les bornes de l'intelli-
gence avec la durete? du coeur, de fac? on qu'il n'y ait plus rien a`
faire de ce regard tourne? vers le ciel, qu'Ovide a ce? le? bre? comme
le plus noble attribut de la nature humaine:
Os homini sublime dedit; coelunique tueri
Jussit, et erectos ad sidcra to^liere vultus.
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? 514 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
QUATRIE`ME PARTIE.
LA RELIGION ET L'ENTHOUSIASME.
CHAPITRE PREMIER.
Conside? rations ge? ne? rales sur la religion en Allemagne.
Les nations de race germanique sont toutes naturellement re-
ligieuses; et le ze`le de ce sentiment a fait nai^tre plusieurs guer-
res dans leur sein. Cependant, en Allemagne surtout, l'on est
plus porte? a` l'enthousiasme qu'au fanatisme. L'esprit de secte
doit se manifester sous diverses formes, dans un pays ou` l'acti-
vite? de la pense? e est la premie`re de toutes; mais d'ordinaire
l'on n'y me^le pas les discussions the? ologiques aux passions hu-
maines; et les diverses opinions, en fait de religion, ne sortent
pas de ce monde ide? al ou` re`gne une paix sublime.
Pendant longtemps on s'est occupe? , comme je le montrerai
dans le chapitre suivant, de l'examen des dogmes du christia-
nisme; mais depuis vingt ans, depuis que les e? crits de Kant
ont fortement influe? sur les esprits, il s'est e? tabli dans la ma-
nie`re de concevoir la religion, une liberte? et une grandeur qui
n'exigent ni ne rejettent aucune forme de culte en particulier,
mais qui font des choses ce? lestes le principe dominant de l'exis-
tence.
Plusieurs personnes trouvent que la religion des Allemands est
trop vague, et qu'il vaut mieux se rallier sous l'e? tendard d'un culte plus positif et plus se? ve`re. Lessingdit, dans son Essai sur
l'e? ducation du genre humain, que les re? ve? lations religieuses
ont toujours e? te? proportionne? es aux lumie`res qui existaient a` l'e? -
poque ou` ces re? ve? lations ont paru. L'ancien Testament, l'E? van-
gile, et, sous plusieurs rapports, la re? formation, e? taient, selon
leur temps, parfaitement en harmonie avec les progre`s des es-
prits; et peut-e^tre sommes-nous a` la veille d'un de? veloppement
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? SUR LA RELIGION. 515
du christianisme, qui rassemblera dans un me^me foyer tous les
rayons e? pars, et qui nous fera trouver dans la religion plus que
la morale, plus quele bonheur, plus que la philosophie, plus que
le sentiment me^me, puisque chacun de ces biens sera multiplie?
par sa re? union avec les autres.
Quoi qu'il en soit, il est peut-e^tre inte? ressant de connai^tre sous
quel point de vue la religion est conside? re? e en Allemagne, et com-
ment on a trouve? le moyen d'y rattacher tout le syste`me litte? raire et philosophique dont j'ai trace? l'esquisse. C'est une chose
imposante que cet ensemble de pense? es qui de? veloppe a` nos yeux
l'ordre moral tout entier, et donne a` cet e? difice sublime le de? -
vouement pour base, et la Divinite? pour fai^te.
C'est au sentiment de l'infini que la plupart des e? crivains alle-
mands rapportent toutes les ide? es religieuses. L'on demande s'il
est possible de concevoir l'infini; cependant, ne le conc? oit-on pas,
au moins d'une manie`re ne? gative, lorsque, dans les mathe? mati-
ques , on ne peut supposer aucun terme a` la dure? e ni a` l'e? tendue?
Cet infini consiste dans l'absence des bornes; mais le sentiment
de l'infini, tel que l'imagination et le coeur l'e? prouvent, est posi-
tif et cre? ateur.
L'enthousiasme que le beau ide? al nous fait e? prouver, cette
e? motion pleine de trouble et de purete? tout ensemble, c'est le
sentiment de l'infini qui l'excite. Nous nous sentons comme de? ga-
ge? s, par l'admiration, des entraves de la destine? e humaine, et il
nous semble qu'on nous re? ve`le des secrets merveilleux, pour
affranchir l'a^me a` jamais dela langueur et du de? clin. Quand
nous contemplons le ciel e? toile? , ou` des e? tincelles de lumie`re sont
des univers comme le no^tre, ou` la poussie`re brillante de la voie
lacte? e trace avec des mondes une route dans le firmament, notre
pense? e se perd dans l'infini, notre coeur bat pour l'inconnu,
pour l'immense, et nous sentons que ce n'est qu'au dela` des ex-
pe? riences terrestres que notre ve? ritable vie doit commencer. En-
fin , les e? motions religieuses, plus que toutes les autres encore,
re? veillent en nous le sentiment de l'infini; mais, en le re? veillant,
elles le satisfont; et c'est pour cela sans doute qu'un homme d'un
grand esprit disait: << Que la cre? ature pensante n'e? tait heureuse
que quand l'ide? e de l'infini e? tait devenue pour elle une jouis-
<< sauce, au lieu d'e^tre un poids. >>
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? 516 CONSIDE? RATIONS GE? NE? RALES
En effet, quand nous nous livrons en entier aux re? flexions, aux images, aux de? sirs qui de? passent les limites de l'expe? rience,
c'est alors seulement que nous respirons. Quand on veut s'en
tenir aux inte? re^ts, aux convenances, aux lois de ce monde, le
ge? nie, la sensibilite? , l'enthousiasme, agitent pe? niblement notre
a^me; mais ils l'inondent de de? lices quand on les consacre a` ce
souvenir, a` cette attente de l'infini qui se pre? sente, dans la me? ta-
physique, sous la forme des dispositions inne? es ; dans la vertu .
sous celle du de? vou^ment; dans les arts, sous celle de l'ide? al, et
dans la religion elle-me^me, sous celle de l'amour divin.
Le sentiment de l'infini est le ve? ritable attribut de l'a^me :tout
ce qui est beau dans tous les genres excite en nous l'espoir et le
de? sir d'un avenir e? ternel et d'une existence sublime; on ne peut
entendre ni le vent dans la fore^t, ni les accords de? licieux des
voix humaines; on ne peut e? prouver l'enchantement de l'e? lo-
quence ou de la poe? sie ; enfin, surtout, enfin on ne peut aimer
avec innocence, avec profondeur, sans e^tre pe? ne? tre? de religion et
d'immortalite? .
Tous les sacrifices de l'inte? re^t personnel viennent du besoin de
se mettre en harmonie avec ce sentiment de l'infini dont on e? prouve
tout le charme, quoiqu'on ne puisse l'exprimer. Si la puissance
du devoir e? tait renferme? e dans le court espace de cette vie, com-
ment donc aurait-elle plus d'empire que les passions sur notre
a^me? qui sacrifierait des bornes a` des bornes? Tout ce qui finit
est si court? dit saint Augustin; les instants de jouissance que
peuvent valoir les penchants terrestres, et les jours de paix qu'as-
sure une conduite morale, diffe? reraient de bien peu, si des e? mo-
tions sans limite et sans terme ne s'e? levaient pas au fond du coeur
de l'homme qui se de? voue a` la vertu.
Beaucoup de gens nieront ce sentiment de l'infini; et, certes,
ils sont sur un excellent terrain pour le nier, car il est impossible
de le leur expliquer; ce n'est pas quelques mots de plus qui
re? ussiront a` leur faire comprendre ce que l'univers ne leur a pas
dit. La nature a reve^tu l'infini des divers symboles qui peuvent le
faire arriver jusqu'a` nous: la lumie`re et les te? ne`bres, l'orage et
le silence, le plaisir et la douleur, tout inspire a` l'homme cette
religion universelle dont son coeur est le sanctuaire.
Un homme dont j'ai de? ja` eu l'occasion deparier, INI. Ancillon,
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? SUU LA RELIGION. 5(7
vient de faire parai^tre un ouvrage sur la nouvelle philosophie de
l'Allemagne, qui re? unit la lucidite? de l'esprit franc? ais a` la pro-
fondeur du ge? nie allemand. M. Ancillon s'est de? ja` acquis un nom
ce? le`bre comme historien; il est incontestablement ce qu'on a cou-
tume d'appeler en France une bonne te^te; son esprit me^me est
positif et me? thodique, et c'est par son a^me qu'il a saisi tout ce
que la pense? e de l'infini peut pre? senter de plus vaste et de plus
e? leve? . Ce qu'il a e? crit sur ce sujet porte un caracte`re tout a` fait
original; c'est, pour ainsi dire, le sublime mis a` la porte? e de la
logique: il trace avec pre? cision la ligne ou` les connaissances ex-
pe? rimentales s'arre^tent, soit dans les arts, soit dans la philoso-
phie, soit dans la religion; il montre que le sentiment va beau-
coup plus loin que les connaissances, et que par-dela` les preuves
de? monstratives, il y a l'e? vidence naturelle; par-dela` l'analyse,
l'inspiration; par-dela` les mots, les ide? es; par-dela` les ide? es, les
e? motions, et que le sentiment de l'infini est un fait de l'a^me, un
fait primitif, sans lequel il n'y aurait riendans l'homme quede
l'instinct physique et du calcul.
Il est difficile d'e^tre religieux a` la manie`re introduite par les
esprits secs, ou parles hommes de bonne volonte? qui voudraient
faire arriver la religion aux honneurs de la de? monstration scien-
tifique. Ce qui touche si intimement au myste`re de l'existence
ne peut e^tre exprime? par les formes re? gulie`res de la parole. Le
raisonnement dans de tels sujets sert a` montrer ou` finit le raison-
nement, et la` ou` il finit commence la ve? ritable certitude; car les
ve? rite? s de sentiment ont une force d'intensite? qui appelle tout
notre e^tre a` leur appui. L'infini agit sur l'a^me pour l'e?
