une
impulsion
semblable aux Vien-
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de?
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de?
Madame de Stael - De l'Allegmagne
tat social le bon-
heur lui-me^me n'est, pour ainsi dire, qu'un accident heureux,
et qu'il n'est pas fonde? sur des institutions durables , qui garan-
tissent a` l'espe`ce humaine sa force et sa dignite? , le patriotisme
a peu de perse? ve? rance, et l'on abandonne facilement au hasard
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui. Fre? de? ric II, l'un des
plus beaux dons de ce hasard, qui semblait veiller sur la Prusse,
avait su se faire aimer since`rement dans son pays, et depuis
qu'il n'est plus, on le che? rit autant que pendant sa vie. Toutefois
le sort de la Prusse n'a que trop appris ce que c'est que l'in-
fluence me^me d'un grand homme , alors que durant son re`gne 1 Supprime? par la CCIUIItT.
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? 60 I. '. P-BUSS. F. .
il ne travaille point ge? ne? reusement a` se rendre utile : la nation
tout entie`re s'en reposait sur son roi de son principe d'exis-
tence, et semblait devoir finir avec lui.
Fre? de? ric II aurait voulu que la litte? rature franc? aise fu^t la
seule de ses E? tats. Il ne faisait aucun cas de la litte? rature alle-
mande. Sans doute elle n'e? tait pas de son temps a` beaucoup pre`s
aussi remarquable qu'a` pre? sent, mais il faut qu'un prince alle-
mand encourage toutce qui est allemand. Fre? de? ric avait le projet
de rendre Berlin un peu semblable a` Paris, etse flattait de trouver
dans les re? fugie? s franc? ais quelques e? crivains assez distingue? s
pour avoir une litte? rature franc? aise. Une telle espe? rance devait
ne? cessairement e^tre trompe? e : les cultures factices ne prospe`-
rent jamais; quelques individus peuvent lutter contre les diffi-
culte? s que pre? sentent les choses; mais les grandes masses sui-
vent toujours la pente naturelle. Fre? de? ric a fait un mal ve? ritable
a` son pays, en professant du me? pris pour le ge? nie des Allemands.
Il en est re? sulte? que le corps germanique a souvent conc? u d'injustes soupc? ons contre la Prusse.
Plusieurs e? crivains allemands, justement ce? le`bres, se firent
connai^tre vers la fin du re`gne de Fre? de? ric; mais l'opinion de? fa-
vorable que ce grand monarque avait conc? ue dans sa jeunesse
contre la litte? rature de son pays, ne s'effac? a point, et il composa
peu d'anne? es avant sa mort un petit e? crit, dans lequel il propose,
entre autres changements, d'ajouter une voyelle a` la fin de cha-
que verbe pour adoucir la langue tudesque. Cet allemand masque?
en italien produirait le plus comique effet du monde; mais nul
monarque, me^me en Orient, n'aurait assez de puissance pour
influer ainsi, non sur le sens, mais sur le son de chaque mot qui
se prononcerait dans son empire.
Klopstock a noblement reproche? a` Fre? de? ric de ne? gliger les
muses allemandes, qui, a` son insu, s'essayaienta` proclamer sa
gloire. Fre? de? ricn'a pas du tout devine? ce que sont les Allemands
en litte? rature et en philosophie; il ne les croyait pas inventeurs.
Il voulait discipliner les hommes de lettres comme ses arme? es.
<< 11 faut, e? crivait-il en mauvaisallemand, dans ses instructions a`
l'acade? mie, se conformer a` la me? thode de Boerhaave dans la
<< me? decine, a` celle de Locke dans la me? taphysique, et a` celle de
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? g|
<<Thomasius pour l'histoire naturelle. >> Ses conseils n'ont pas
e? te? suivis. Il ne se doutait gue`re que de tous les hommes les Alle-
mands e? taient ceux qu'on pouvait le moins assujettir a` la routine
litte? raire et philosophique :rien n'annonc? ait en eux l'audace qu'ils
ont montre? e depuis dans le champ de l'abstraction.
Fre? de? ric conside? rait ses sujets comme des e? trangers, et les hom-
mes d'esprit franc? ais comme ses compatriotes. Rien n'e? tait plus
naturel, il faut en convenir, que de se laisser se? duire par tout
ce qu'il y avait de brillant et de solide dans les e? crivains fran-
c? ais a` cette e? poque: ne? anmoins Fre? de? ric aurait contribue? pi as
efficacement encore a` la gloire de son pays, s'il avait compris et
de? veloppe? les faculte? s particulie`res a` la nation qu'il gouvernait. Mais comment re? sistera` l'influence de son temps, et quel est
l'homme dont le ge? nie me^me n'est pas a` beaucoup d'e? gards l'ou-
vrage de son sie`cle?
CHAPITRE XVII.
Berlin.
Berlin est une grande ville, dont les rues sont tre`s-larges, par-
faitement bien aligne? es, les maisons belles, et l'ensemble re? gu-
lier: mais comme il n'y a pas longtemps qu'elle est reba^tie, on
n'y voit rien qui retrace les temps ante? rieurs. Aucun monument
gothique ne subsiste au milieu des habitations modernes ; et ce
pays nouvellement forme? n'est ge^ne? par l'ancien en aucun genre.
Que peut-il y avoir de mieux, dira-t-on, soit pour les e? difices, soit
pour les institutions, que de n'e^tre pas embarrasse? par des rui -
ncs? Je sens que j'aimerais en Ame? rique les nouvelles villes et
les nouvelles lois : la nature et la liberte? y parlent assez a` l'a^me
pour qu'on n'y ait pas besoin de souvenirs; mais sur notre vieille
terre il faut dupasse? . Berlin, cette ville toute moderne, quelque
bellequ'elle soit, ne fait pas une impression assez se? rieuse ; on n'y
aperc? oit point l'empreinte de l'histoire du pays, ni du caracte`re
des habitants, et ces magnifiques demeures, nouvellement cons-
truites, ne semblent destine? es qu'aux rassemblements com-
modes des plaisirs et de l'industrie. Les plus beaux palais de
Berlin sont ba^tis en briques; on trouverait a` peine une pierie
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? S2 BERLIN.
i^le taille dans les arcs de triomphe. La capitale de la Prusse res-
semble a` la Prusse elle-me^me; les e? difices et les institutions
y ont a^ge d'homme, et rien deplus, parce qu'un homme seul
en est l'auteur.
La cour, pre? side? e par une reine belle et vertueuse, e? tait im-
posante et simple tout a` la fois; la famille royale, qui se re? pan-
dait volontiers dans la socie? te? , savait se me^ler noblement a` la
nation, et s'identifiait dans tous les coeurs avec la patrie. Le roi
avait su fixer a` Berlin J. de Mu`ller, Ancillon, Fichte, Humboldt,
Hufeland, une foule d'hommes distingue? s dans des genres dif-
fe? rents ; enfm tous les e? le? ments d'une socie? te? charmante et d'une
nation forte e? taient la` : mais ces e? le? ments n'e? taient point encore
combine? s ni re? unis. L'esprit re? ussissait cependant d'une fac? on
plus ge? ne? rale a` Berlin qu'a` Vienne; le he? ros du pays, Fre? de? ric,
ayant e? te? un homme prodigieusement spirituel, le reflet de son
nom faisait encore aimer tout ce qui pouvait lui ressembler. Ma-
rie-The? re`se n'a point donne?
une impulsion semblable aux Vien-
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de? gou^te? s. Aucun spectacle en Allemagne n'e? galait celui de Berlin. Cette
ville, e? tant au centre du nord de l'Allemagne, peut e^tre consi-
de? re? e comme le foyer de ses lumie`res. On y cultive les sciences
et les lettres, et dans les di^ners d'hommes, chez les ministres et
ailleurs, on ne s'astreint point a` la se? paration de rang si nuisible
a` l'Allemagne, et l'on sait rassembler les gens de talent de tou-
tes les classes. Cet heureux me? lange ne s'e? tend pas encore ne? an-
moins jusqu'a` la socie? te? des femmes : il en est quelques-unes
dont les qualite? s et les agre? ments attirent autour d'elles tout ce
qui se distingue; mais eu ge? ne? ral, a` Berlin comme dans le reste
de l'Allemagne, la socie? te? des femmes n'est pas bien amalgame? e
avec celle des hommes. Le grand charme de la vie sociale, en
France, consiste dans l'art de concilier parfaitement ensemble
les avantages que l'esprit des femmes et celui des hommes re? unis
peuvent apporter dans la conversation. A Berlin, les hommes ne
causent gue`re qu'entre eux; l'e? tat militaire leur donne une cer-
taine rudesse qui leur inspire le besoin de ne pas se ge^ner pour
les femmes.
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? RERLIN. 83
Quand il y a, comme en Angleterre, de grands inte? re^ts po-
litiques a` discuter, les socie? te? s d'hommes sont toujours anime? es
par un noble inte? re^t commun : mais dans les pays ou` il n'y a
pas de gouvernement repre? sentatif, la pre? sence des femmes est
ne? cessaire pour maintenir tous les sentiments de de? licatesse et
de purete? , sans lesquels l'amour du beau doit se perdre. L'in-
fluence des femmes est plus salutaire aux guerriers qu'aux ci-
toyens; le re`gne de la loi se passe mieux d'elles que celui de
l'honneur; car ce sont elles seules qui conservent l'esprit che-
valeresque dans une monarchie purement militaire. L'ancienne
France a du^ tout son e? clat a` cette puissance de l'opinion publi-
que, dont l'ascendant des femmes e? tait la cause.
Il n'y avait qu'un tre`s-petit nombre d'hommes dans la socie? te?
a` Berlin, ce qui ga^te presque toujours ceux qui s'y trouvent,
en leur o^tant l'inquie? tude et le besoin de plaire. Les officiers
qui obtenaient un conge? pour venir passer quelques mois a` la
<<Ile, n'y cherchaient que la danse et le jeu. Le me? lange des
deux langues nuisait a` la conversation, et les grandes assemble? es
n'offraient pas plus d'inte? re^t a` Berlin qu'a` Vienne: on doit trou-
ver, me^me dans tout ce qui tient aux manie`res, plus d'usage du
monde a` Vienne qu'a` Berlin. Ne? anmoins la liberte? de la presse,
la re? union des hommes d'esprit, la connaissance de la litte? rature et de la langue allemande, qui s'e? tait ge? ne? ralement re? pandue
dans les derniers temps, faisaient de Berlin la vraie capitale de
l'Allemagne nouvelle, del'Allemagne e? claire? e. Les re? fugie? s
franc? ais affaiblissaient un peu l'impulsion toute allemande dont
Berlin est susceptible; ils conservaient encore un respect su-
perstitieux pour le sie`cle de Louis XIV; leurs ide? es sur la litte? ra-
ture se fle? trissaient et se pe? trifiaient, a` distance du pays d'ou`
elles e? taient tire? es; mais en ge? ne? ral Berlin aurait pris un grand
ascendant sur l'esprit public en Allemagne si l'on n'avait pas
conserve? , je le re? pe`te, du ressentiment contre le de? dain que Fre? -
de? ric avait montre? pour la nation germanique.
Les e? crivains philosophes ont eu souvent d'injustes pre? juge? s
contre la Prusse; ils ne voyaient en elle qu'une vaste caserne,
et c'e? tait sous ce rapport qu'elle valait le moins: ce qui doit in-
te? resser a` ce pays, ce sont les lumie`res, l'esprit de justice etles
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? 84 DES UNIVERSITE? S ALLEMANDES.
sentiments d'inde? pendance qu'on rencontre dans une foule
d'individus de toutes les classes; mais le lien de ces belles qua-
lite? s n'e? tait pas encore forme? . L'E? tat, nouvellement constitue? ,
ne reposait ni sur le temps ni sur le peuple.
Les punitions humiliantes, ge? ne? ralement admises parmi les
troupes allemandes, froissaient l'honneur dans l'a^me des sol-
dats. Les habitudes militaires ont pluto^t nui que servi a` l'esprit
guerrier des Prussiens; ces habitudes e? taient fonde? es sur de
vieilles me? thodes qui se? paraient l'arme? e de la nation, tandis
que, de nos jours, il n'y a de ve? ritable force que dans le carac-
te`re national. Ce caracte`re en Prusse est plus noble et plus exalte?
que les derniers e? ve? nements ne pourraient le faire supposer;
<< et l'ardent he? roi? sme du malheureux prince Louis doit jeter
<< encore quelque gloire sur ses compagnons d'armes ' >>.
CHAPITRE XVIII. Des universite? s allemandes.
Tout le nord de l'Allemagne est rempli d'universite? s les plus
savantes de l'Europe. Dans aucun pays,pas me^me en Angle-
terre, il n'y a autant de moyens de s'instruire et de perfectionner
ses faculte? s. A quoi tient donc que la nation manque d'e? nergie,
et qu'elle paraisse en ge? ne? ral lourde et borne? e, quoiqu'elle ren-
ferme un petit nombre d'hommes peut-e^tre les plus spirituels de
l'Europe? C'est a` la nature des gouvernements, et non a` l'e? du-
cation, qu'il faut attribuer ce singulier contraste. L'e? ducation
intellectuelle est parfaite en Allemagne, mais tout s'y passe en
the? orie: l'e? ducation pratique de? pend uniquement des affaires;
c'est par l'action seule que le caracte`re acquiert la fermete? ne? -
cessaire pour se guider dans la conduite dela vie. Le caracte`re
est un instinct; il tient de plus pre`s a` la nature que l'esprit, et
1 Supprime? par la censure. Je luttai pendant plusieurs jours, pour obtenir
la liberte? de rendre cet hommage au prince Louis, et je repre? sentai que c'e? -
tait relever la gloire des Franc? ais que de louer la bravoure de ceux qu'ils
avaient vaincus; mais il parut plus simple aux censeurs de ne rien permettre
en ce genre.
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? DES UNIVERSITES ALLEMANDES. 85
ne? anmoins les circonstances donnent seules aux hommes l'oc-
casion de le de? velopper. Les gouvernements sont les vrais insti-
tuteurs des peuples; et l'e? ducation publique elle-me^me, quelque
bonne qu'elle soit, peut former des hommes de lettres, mais non
des citoyens, des guerriers, ou des hommes d'E? tat.
En Allemagne, le ge? nie philosophique va plus loin que par-
tout ailleurs; rien ne l'arre^te, et l'absence me^me de carrie`re po-
litique, si funeste a` la masse, donne encore plus de liberte? aux
penseurs. Mais une distance immense se? pare les esprits du pre-
mier et du second ordre, parce qu'il n'y a point d'inte? re^t, ni
d'objet d'activite? , pour les hommes qui ne s'e? le`vent pas a` la
hauteur des conceptions les plus vastes. Celui qui ne s'occupe
pas de l'univers, en Allemagne, n'a vraiment rien a` faire.
Les universite? s allemandes ont une ancienne re? putation qui
date de plusieurs sie`cles avant la re? formation. Depuis cette e? po-
que, les universite? s protestantes sont incontestablement supe? -
rieures aux universite? s catholiques, et toute la gloire litte? raire
de l'Allemagne tient a` ces institutions'. Les universite? s anglai-
ses ont singulie`rement contribue? a` re? pandre parmi les Anglais
cette connaissance des langues et de la litte? rature ancienne, qui
donne aux orateurs et aux hommes d'E? tat en Angleterre une
instruction si libe? rale et si brillante. Il est de bon gou^t de savoir
autre chose que les affaires, quand on le sait bien: et, d'ailleurs,
l'e? loquence des nations libres se rattache a` l'histoire des Grecs
et des Romains , comme a` celle d'anciens compatriotes.
heur lui-me^me n'est, pour ainsi dire, qu'un accident heureux,
et qu'il n'est pas fonde? sur des institutions durables , qui garan-
tissent a` l'espe`ce humaine sa force et sa dignite? , le patriotisme
a peu de perse? ve? rance, et l'on abandonne facilement au hasard
les avantages qu'on croitne devoir qu'a` lui. Fre? de? ric II, l'un des
plus beaux dons de ce hasard, qui semblait veiller sur la Prusse,
avait su se faire aimer since`rement dans son pays, et depuis
qu'il n'est plus, on le che? rit autant que pendant sa vie. Toutefois
le sort de la Prusse n'a que trop appris ce que c'est que l'in-
fluence me^me d'un grand homme , alors que durant son re`gne 1 Supprime? par la CCIUIItT.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? 60 I. '. P-BUSS. F. .
il ne travaille point ge? ne? reusement a` se rendre utile : la nation
tout entie`re s'en reposait sur son roi de son principe d'exis-
tence, et semblait devoir finir avec lui.
Fre? de? ric II aurait voulu que la litte? rature franc? aise fu^t la
seule de ses E? tats. Il ne faisait aucun cas de la litte? rature alle-
mande. Sans doute elle n'e? tait pas de son temps a` beaucoup pre`s
aussi remarquable qu'a` pre? sent, mais il faut qu'un prince alle-
mand encourage toutce qui est allemand. Fre? de? ric avait le projet
de rendre Berlin un peu semblable a` Paris, etse flattait de trouver
dans les re? fugie? s franc? ais quelques e? crivains assez distingue? s
pour avoir une litte? rature franc? aise. Une telle espe? rance devait
ne? cessairement e^tre trompe? e : les cultures factices ne prospe`-
rent jamais; quelques individus peuvent lutter contre les diffi-
culte? s que pre? sentent les choses; mais les grandes masses sui-
vent toujours la pente naturelle. Fre? de? ric a fait un mal ve? ritable
a` son pays, en professant du me? pris pour le ge? nie des Allemands.
Il en est re? sulte? que le corps germanique a souvent conc? u d'injustes soupc? ons contre la Prusse.
Plusieurs e? crivains allemands, justement ce? le`bres, se firent
connai^tre vers la fin du re`gne de Fre? de? ric; mais l'opinion de? fa-
vorable que ce grand monarque avait conc? ue dans sa jeunesse
contre la litte? rature de son pays, ne s'effac? a point, et il composa
peu d'anne? es avant sa mort un petit e? crit, dans lequel il propose,
entre autres changements, d'ajouter une voyelle a` la fin de cha-
que verbe pour adoucir la langue tudesque. Cet allemand masque?
en italien produirait le plus comique effet du monde; mais nul
monarque, me^me en Orient, n'aurait assez de puissance pour
influer ainsi, non sur le sens, mais sur le son de chaque mot qui
se prononcerait dans son empire.
Klopstock a noblement reproche? a` Fre? de? ric de ne? gliger les
muses allemandes, qui, a` son insu, s'essayaienta` proclamer sa
gloire. Fre? de? ricn'a pas du tout devine? ce que sont les Allemands
en litte? rature et en philosophie; il ne les croyait pas inventeurs.
Il voulait discipliner les hommes de lettres comme ses arme? es.
<< 11 faut, e? crivait-il en mauvaisallemand, dans ses instructions a`
l'acade? mie, se conformer a` la me? thode de Boerhaave dans la
<< me? decine, a` celle de Locke dans la me? taphysique, et a` celle de
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? g|
<<Thomasius pour l'histoire naturelle. >> Ses conseils n'ont pas
e? te? suivis. Il ne se doutait gue`re que de tous les hommes les Alle-
mands e? taient ceux qu'on pouvait le moins assujettir a` la routine
litte? raire et philosophique :rien n'annonc? ait en eux l'audace qu'ils
ont montre? e depuis dans le champ de l'abstraction.
Fre? de? ric conside? rait ses sujets comme des e? trangers, et les hom-
mes d'esprit franc? ais comme ses compatriotes. Rien n'e? tait plus
naturel, il faut en convenir, que de se laisser se? duire par tout
ce qu'il y avait de brillant et de solide dans les e? crivains fran-
c? ais a` cette e? poque: ne? anmoins Fre? de? ric aurait contribue? pi as
efficacement encore a` la gloire de son pays, s'il avait compris et
de? veloppe? les faculte? s particulie`res a` la nation qu'il gouvernait. Mais comment re? sistera` l'influence de son temps, et quel est
l'homme dont le ge? nie me^me n'est pas a` beaucoup d'e? gards l'ou-
vrage de son sie`cle?
CHAPITRE XVII.
Berlin.
Berlin est une grande ville, dont les rues sont tre`s-larges, par-
faitement bien aligne? es, les maisons belles, et l'ensemble re? gu-
lier: mais comme il n'y a pas longtemps qu'elle est reba^tie, on
n'y voit rien qui retrace les temps ante? rieurs. Aucun monument
gothique ne subsiste au milieu des habitations modernes ; et ce
pays nouvellement forme? n'est ge^ne? par l'ancien en aucun genre.
Que peut-il y avoir de mieux, dira-t-on, soit pour les e? difices, soit
pour les institutions, que de n'e^tre pas embarrasse? par des rui -
ncs? Je sens que j'aimerais en Ame? rique les nouvelles villes et
les nouvelles lois : la nature et la liberte? y parlent assez a` l'a^me
pour qu'on n'y ait pas besoin de souvenirs; mais sur notre vieille
terre il faut dupasse? . Berlin, cette ville toute moderne, quelque
bellequ'elle soit, ne fait pas une impression assez se? rieuse ; on n'y
aperc? oit point l'empreinte de l'histoire du pays, ni du caracte`re
des habitants, et ces magnifiques demeures, nouvellement cons-
truites, ne semblent destine? es qu'aux rassemblements com-
modes des plaisirs et de l'industrie. Les plus beaux palais de
Berlin sont ba^tis en briques; on trouverait a` peine une pierie
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? S2 BERLIN.
i^le taille dans les arcs de triomphe. La capitale de la Prusse res-
semble a` la Prusse elle-me^me; les e? difices et les institutions
y ont a^ge d'homme, et rien deplus, parce qu'un homme seul
en est l'auteur.
La cour, pre? side? e par une reine belle et vertueuse, e? tait im-
posante et simple tout a` la fois; la famille royale, qui se re? pan-
dait volontiers dans la socie? te? , savait se me^ler noblement a` la
nation, et s'identifiait dans tous les coeurs avec la patrie. Le roi
avait su fixer a` Berlin J. de Mu`ller, Ancillon, Fichte, Humboldt,
Hufeland, une foule d'hommes distingue? s dans des genres dif-
fe? rents ; enfm tous les e? le? ments d'une socie? te? charmante et d'une
nation forte e? taient la` : mais ces e? le? ments n'e? taient point encore
combine? s ni re? unis. L'esprit re? ussissait cependant d'une fac? on
plus ge? ne? rale a` Berlin qu'a` Vienne; le he? ros du pays, Fre? de? ric,
ayant e? te? un homme prodigieusement spirituel, le reflet de son
nom faisait encore aimer tout ce qui pouvait lui ressembler. Ma-
rie-The? re`se n'a point donne?
une impulsion semblable aux Vien-
nois, et ce qui dans Joseph ressemblait a` de l'esprit, les en a
de? gou^te? s. Aucun spectacle en Allemagne n'e? galait celui de Berlin. Cette
ville, e? tant au centre du nord de l'Allemagne, peut e^tre consi-
de? re? e comme le foyer de ses lumie`res. On y cultive les sciences
et les lettres, et dans les di^ners d'hommes, chez les ministres et
ailleurs, on ne s'astreint point a` la se? paration de rang si nuisible
a` l'Allemagne, et l'on sait rassembler les gens de talent de tou-
tes les classes. Cet heureux me? lange ne s'e? tend pas encore ne? an-
moins jusqu'a` la socie? te? des femmes : il en est quelques-unes
dont les qualite? s et les agre? ments attirent autour d'elles tout ce
qui se distingue; mais eu ge? ne? ral, a` Berlin comme dans le reste
de l'Allemagne, la socie? te? des femmes n'est pas bien amalgame? e
avec celle des hommes. Le grand charme de la vie sociale, en
France, consiste dans l'art de concilier parfaitement ensemble
les avantages que l'esprit des femmes et celui des hommes re? unis
peuvent apporter dans la conversation. A Berlin, les hommes ne
causent gue`re qu'entre eux; l'e? tat militaire leur donne une cer-
taine rudesse qui leur inspire le besoin de ne pas se ge^ner pour
les femmes.
? ? Generated for (University of Chicago) on 2014-12-22 00:48 GMT / http://hdl. handle. net/2027/hvd. hwnks5 Public Domain, Google-digitized / http://www. hathitrust. org/access_use#pd-google
? RERLIN. 83
Quand il y a, comme en Angleterre, de grands inte? re^ts po-
litiques a` discuter, les socie? te? s d'hommes sont toujours anime? es
par un noble inte? re^t commun : mais dans les pays ou` il n'y a
pas de gouvernement repre? sentatif, la pre? sence des femmes est
ne? cessaire pour maintenir tous les sentiments de de? licatesse et
de purete? , sans lesquels l'amour du beau doit se perdre. L'in-
fluence des femmes est plus salutaire aux guerriers qu'aux ci-
toyens; le re`gne de la loi se passe mieux d'elles que celui de
l'honneur; car ce sont elles seules qui conservent l'esprit che-
valeresque dans une monarchie purement militaire. L'ancienne
France a du^ tout son e? clat a` cette puissance de l'opinion publi-
que, dont l'ascendant des femmes e? tait la cause.
Il n'y avait qu'un tre`s-petit nombre d'hommes dans la socie? te?
a` Berlin, ce qui ga^te presque toujours ceux qui s'y trouvent,
en leur o^tant l'inquie? tude et le besoin de plaire. Les officiers
qui obtenaient un conge? pour venir passer quelques mois a` la
<<Ile, n'y cherchaient que la danse et le jeu. Le me? lange des
deux langues nuisait a` la conversation, et les grandes assemble? es
n'offraient pas plus d'inte? re^t a` Berlin qu'a` Vienne: on doit trou-
ver, me^me dans tout ce qui tient aux manie`res, plus d'usage du
monde a` Vienne qu'a` Berlin. Ne? anmoins la liberte? de la presse,
la re? union des hommes d'esprit, la connaissance de la litte? rature et de la langue allemande, qui s'e? tait ge? ne? ralement re? pandue
dans les derniers temps, faisaient de Berlin la vraie capitale de
l'Allemagne nouvelle, del'Allemagne e? claire? e. Les re? fugie? s
franc? ais affaiblissaient un peu l'impulsion toute allemande dont
Berlin est susceptible; ils conservaient encore un respect su-
perstitieux pour le sie`cle de Louis XIV; leurs ide? es sur la litte? ra-
ture se fle? trissaient et se pe? trifiaient, a` distance du pays d'ou`
elles e? taient tire? es; mais en ge? ne? ral Berlin aurait pris un grand
ascendant sur l'esprit public en Allemagne si l'on n'avait pas
conserve? , je le re? pe`te, du ressentiment contre le de? dain que Fre? -
de? ric avait montre? pour la nation germanique.
Les e? crivains philosophes ont eu souvent d'injustes pre? juge? s
contre la Prusse; ils ne voyaient en elle qu'une vaste caserne,
et c'e? tait sous ce rapport qu'elle valait le moins: ce qui doit in-
te? resser a` ce pays, ce sont les lumie`res, l'esprit de justice etles
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? 84 DES UNIVERSITE? S ALLEMANDES.
sentiments d'inde? pendance qu'on rencontre dans une foule
d'individus de toutes les classes; mais le lien de ces belles qua-
lite? s n'e? tait pas encore forme? . L'E? tat, nouvellement constitue? ,
ne reposait ni sur le temps ni sur le peuple.
Les punitions humiliantes, ge? ne? ralement admises parmi les
troupes allemandes, froissaient l'honneur dans l'a^me des sol-
dats. Les habitudes militaires ont pluto^t nui que servi a` l'esprit
guerrier des Prussiens; ces habitudes e? taient fonde? es sur de
vieilles me? thodes qui se? paraient l'arme? e de la nation, tandis
que, de nos jours, il n'y a de ve? ritable force que dans le carac-
te`re national. Ce caracte`re en Prusse est plus noble et plus exalte?
que les derniers e? ve? nements ne pourraient le faire supposer;
<< et l'ardent he? roi? sme du malheureux prince Louis doit jeter
<< encore quelque gloire sur ses compagnons d'armes ' >>.
CHAPITRE XVIII. Des universite? s allemandes.
Tout le nord de l'Allemagne est rempli d'universite? s les plus
savantes de l'Europe. Dans aucun pays,pas me^me en Angle-
terre, il n'y a autant de moyens de s'instruire et de perfectionner
ses faculte? s. A quoi tient donc que la nation manque d'e? nergie,
et qu'elle paraisse en ge? ne? ral lourde et borne? e, quoiqu'elle ren-
ferme un petit nombre d'hommes peut-e^tre les plus spirituels de
l'Europe? C'est a` la nature des gouvernements, et non a` l'e? du-
cation, qu'il faut attribuer ce singulier contraste. L'e? ducation
intellectuelle est parfaite en Allemagne, mais tout s'y passe en
the? orie: l'e? ducation pratique de? pend uniquement des affaires;
c'est par l'action seule que le caracte`re acquiert la fermete? ne? -
cessaire pour se guider dans la conduite dela vie. Le caracte`re
est un instinct; il tient de plus pre`s a` la nature que l'esprit, et
1 Supprime? par la censure. Je luttai pendant plusieurs jours, pour obtenir
la liberte? de rendre cet hommage au prince Louis, et je repre? sentai que c'e? -
tait relever la gloire des Franc? ais que de louer la bravoure de ceux qu'ils
avaient vaincus; mais il parut plus simple aux censeurs de ne rien permettre
en ce genre.
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? DES UNIVERSITES ALLEMANDES. 85
ne? anmoins les circonstances donnent seules aux hommes l'oc-
casion de le de? velopper. Les gouvernements sont les vrais insti-
tuteurs des peuples; et l'e? ducation publique elle-me^me, quelque
bonne qu'elle soit, peut former des hommes de lettres, mais non
des citoyens, des guerriers, ou des hommes d'E? tat.
En Allemagne, le ge? nie philosophique va plus loin que par-
tout ailleurs; rien ne l'arre^te, et l'absence me^me de carrie`re po-
litique, si funeste a` la masse, donne encore plus de liberte? aux
penseurs. Mais une distance immense se? pare les esprits du pre-
mier et du second ordre, parce qu'il n'y a point d'inte? re^t, ni
d'objet d'activite? , pour les hommes qui ne s'e? le`vent pas a` la
hauteur des conceptions les plus vastes. Celui qui ne s'occupe
pas de l'univers, en Allemagne, n'a vraiment rien a` faire.
Les universite? s allemandes ont une ancienne re? putation qui
date de plusieurs sie`cles avant la re? formation. Depuis cette e? po-
que, les universite? s protestantes sont incontestablement supe? -
rieures aux universite? s catholiques, et toute la gloire litte? raire
de l'Allemagne tient a` ces institutions'. Les universite? s anglai-
ses ont singulie`rement contribue? a` re? pandre parmi les Anglais
cette connaissance des langues et de la litte? rature ancienne, qui
donne aux orateurs et aux hommes d'E? tat en Angleterre une
instruction si libe? rale et si brillante. Il est de bon gou^t de savoir
autre chose que les affaires, quand on le sait bien: et, d'ailleurs,
l'e? loquence des nations libres se rattache a` l'histoire des Grecs
et des Romains , comme a` celle d'anciens compatriotes.
